« Le temps de la République conquérante est revenu : vous ne cédez plus sur rien, vous sanctionnez le premier qui refuse d’écouter, vous faites entrer Auschwitz dans leur tête. » (p. 154)

Comment faire comprendre le génocide des Juifs à des esprits contaminés par le complotisme et se méfiant a priori d’autorités qu’il imagine hostiles ?

Les survivants des camps sont vieux et vont bientôt disparaître. Les professeurs ne sont pas formés pour et leurs paroles sont souvent perçues comme celles du « pouvoir ». Ils ont besoin d’aide. Qui peut dire Auschwitz en termes contemporains et être entendu ?

Lorsque notre documentaire sur le génocide des Tutsis du Rwanda fut projeté dans les écoles et des associations de quartiers dits « sensibles », je fus fasciné par l’écoute quasi religieuse dont bénéficiaient les jeunes rescapés qui nous accompagnaient. Pas un mot, pas un sarcasme.

Les survivants tutsis faisaient spontanément référence à la Shoah, pour démonter les logiques de haine qui sous-tendent tout projet génocidaire. Ils étaient à peine plus âgés que les collégiens ou lycéens qui leur faisaient face, ne pouvaient être suspectés d’être les maîtres cachés du monde ou de représenter la moindre autorité. L’identification avait lieu et ils étaient écoutés.

Pourquoi ne pas inviter ces rescapés dans nos classes et les faire parler de leur expérience, de la Shoah, de l’antisémitisme, du racisme, des ressorts mentaux, politiques, idéologiques qui conduisent à Auschwitz ?

Un Rwandais de trente ans dénonçant le négationnisme et le racisme d’une réflexion, d’une remarque, d’une question, ou proclamant « je suis moi-même un déporté juif », a – on peut le regretter, mais c’est ainsi – plus d’autorité sur ces questions auprès de l’audience ciblée que le seul professeur.

Raphaël Glucksmann – révolutionnaire juif professionnel – La Génération gueule de bois (2015) – p. 155