Littérature, société, langue, pédagogie : le Québec en revue!
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Dits et gestes d'une revue

par Gilles Dorion

Gilles Dorion est retraité de l’enseignement. Il a principalement œuvré au Département des Littératures de l’Université Laval. Il a été directeur de Québec français de 1986 à 1991.

Octobre 1970. Les plus âgés se souviendront sans doute de la fébrilité générale qui marquait chaque événement politique et social, chaque geste des Libéraux provinciaux et fédéraux devant les provocations et les violences du Front de libération du Québec (FLQ). L’enlèvement de Pierre Laporte, le ministre du Travail du Québec, mit le comble à l’excitation des esprits. Ce matin-là, un samedi, nous nous dirigions vers Montréal pour assister à une réunion de l’AQPF avec le président de l’Association, André Gaulin (actuellement député du comté de Taschereau), Aurélien Boivin et Roger Delisle. Je les accompagnais, eux qui avaient écrit le principal du texte du Livre noir. En cours de route, nous nous affairions à fignoler le manuscrit, dont le sous-titre révélait le sens : De l’impossibilité (presque totale) d’enseigner le français au Québec. Une halte dans un petit restaurant de l’autoroute 20 nous confirma dans notre projet : les napperons bilingues nous servirent même d’exemple. Ce manifeste forma le premier numéro d’un journal qui prit le nom d’un cri de ralliement, Québec français (il ne lui manquait que le point d’exclamation !), en novembre 1970. Parcourez les noms de l’équipe de rédaction du numéro 2 : Maurice Arguin, Irène Belleau, Aurélien Boivin, Gilles Dorion, André Gaulin et Jean-Louis Laverdière. Par la suite, le flambeau sera porté pendant quatre ans par Maurice Arguin et moi-même, avec la collaboration de plusieurs ouvriers de la première heure de l’AQPF. Des moyens de fortune servirent de soutien financier au journal, qui, au fil des mois, prit de plus en plus d’ampleur et de consistance. Dans le numéro de mai 1973 (n° 11), on trouve l’extrait suivant d’une lettre de Christian Vandendorpe adressée à Gaulin : Félicite de ma part Maurice Arguin et Gilles Dorion. Le journal se lit de moins en moins par obligation morale et de plus en plus par intérêt ! Mais je regrette de ne pas encore y trouver un reflet vivant de la vie culturelle, au moins sur le plan littéraire, du Québec. Pourquoi ne pas ouvrir davantage le journal sur les spectacles et les œuvres et les auteurs (en principe ce sont là des points qui devraient intéresser les professeurs de français). Je précise, brutalement : écarter les questions métaphysiques et répandre l’enthousiasme pour ce qui se fait en français au Québec, pour ce qui s’y écrit et ce qui s’y dit. Il ne faut pas se tromper de cible ! Un professeur de français ne peut pas passer son temps à convaincre ses élèves de la valeur théorique du cours de français, il doit… leur apprendre le français !

Quelques mois après, Christian se joignait à l’équipe des collaborateurs et, en janvier 1974, paraissait le premier numéro de la revue, avec une équipe de rédaction formée de Gilles Dorion, André Gaulin et Christian Vandendorpe. Au numéro 14 (mars 1974), commençait le mandat de Christian Vandendorpe comme directeur de la revue, qu’il dirigera jusqu’en 1985.

J’ai pris la relève. Comme il arrive en des occasions semblables, j’ai tenté de donner une orientation différente à la revue, compte tenu de mes intérêts de professeur de littérature et me souvenant de l’opinion de Christian, citée plus haut. L’équipe pédagogique m’opposa une solide résistance qui me convainquit de la nécessité d’harmoniser les préoccupations des « pédagogues » et des « littéraires ». Si l’idée fit lentement son chemin, la suite n’en donna pas moins raison à tous. Malgré des intérêts parfois divergents, les équipes ont finalement réussi à présenter aux lecteurs et lectrices un contenu approprié et substantiel qui a rejoint les préoccupations du plus grand nombre.

Pressés par nos subventionnaires de nous livrer à une analyse de notre lectorat afin de connaître les horizons d’attente variés de tous et chacun, nous avons mené une consultation en octobre 1988. Littérature et pédagogie obtinrent les faveurs d’un très grand pourcentage des lecteurs, car la rubrique « Nouveautés » et les « Cahiers pratiques » se classèrent en tête de liste.

En terminant, comment ne pas reconnaître et souligner avec force le rôle primordial joué par André Gaulin le grand instigateur de Québec français, qui n’aurait pas vu le jour sans sa générosité, sa détermination et son engagement socio-politique ? Comment ne pas réitérer mon admiration sans bornes pour le travail gigantesque effectué par Christian Vandendorpe et pour l’implusion extraordinairement dynamique qu’il a donnée à la revue ? Comment ne pas souligner l’apport exceptionnel de mon successeur Roger Chamberland, qui a apporté un souffle nouveau à une revue devenue le point de mire des autres publications ? Merci à toutes et à tous, directeurs et directrices des équipes de rédaction, à tous les membres de ces équipes, à tous nos collaborateurs proches et lointains ! Les résultats ont dépassé toutes les espérances des fondateurs et nous pouvons tous en être fiers ! Hommages à toutes et à tous !