La deuxième vie de Basile Boli au Japon

Lundi, 21 Avril, 1997
L'Humanité

Correspondance particulière.

de Yono (nord de Tokyo).



LE stade d'entraînement de la riche équipe première des Urawa Red Diamonds ne casse pas des briques. Fréquenté par un escadron de corbeaux, il campe au milieu de nulle part, au bord d'un terrain vague à l'orée de la petite commune urbaine de Yono. Passé l'entrée du «Ohara Grande», réglementée par un policier quotidiennement en faction avec son bâton fluorescent de la circulation (!), un unique long bâtiment renferme les vestiaires des équipes du club Urawa Red Diamonds, propriété de la puissante multinationale Mitsubishi.

En face de ce long bâtiment, côte à côte, deux terrains de football étalent leur juvénilité. A l'image du championnat japonais professionnel (Japan League à peine vieux d'un lustre et communément appelé J-League), ils ne sont pas encore bien verts

(voir ci-contre).

Autour, un haut grillage de mailles sur lesquelles s'accrochent - surtout - des grappes de gamines: «Pour moi, elles sont un peu le grand mystère du football japonais. A peu près 80% de nos supporters sont des supportrices. Et je ne sais pas toujours pourquoi! Je pose souvent la question aux Japonais. Mais, ils ne veulent jamais me répondre. En fait, peut-être qu'ils ne le savent pas non plus. Peut-être qu'elles nous trouvent beaux garçons...» Basile Boli rigole à pleines dents.

Une heure avant l'arrivée des joueurs, les grappes se forment. En silence, elles s'éparpillent autour du carré clôturé. Et, dès la fin de l'entraînement, elles se précipitent à l'entrée du stade. Là, elles attendent. Patiemment. Sagement. Toujours silencieusement. Longtemps: «Ici, à l'image des Japonais, nos supporters et supportrices sont très discrets. C'est très bon enfant. Si nous nous arrêtons, ils s'approchent pour nous faire signer des autographes notamment sur un de leurs vêtements. Sinon, ils ne bougent pas, ne tentent pas de nous arrêter et se satisfont juste d'un petit salut de la main, poursuit Basile Boli au volant de sa voiture. Tenez, regardez, ceux-là, ce sont ceux que je préfère: ils attendent que j'ai fini de signer les autographes, que j'ai remonté à moitié ma vitre et que j'ai enclenché ma première vitesse pour oser venir me demander un autographe!»

Les supportrices formant cette haie d'honneur identifient un joueur au profil de ses enjoliveurs. En effet, «Ohara Grande» abrite l'un des parterres de signes extérieurs de richesse les plus chics de la planète. Les gros culs de chevaux rutilants au museau profilé des joueurs professionnels côtoient les vélos sans pignons de vitesse des stagiaires. Aucun modèle ne ressemble à un autre. Mais, chaque modèle est du dernier cri, de la dernière série, parfois limitée. Très peu, excepté le 4 X 4 de Basile Boli, sont issus de la nippone maison mère. Ici, à l'image des deux entraîneurs de l'équipe première, on roule (surtout) allemand. Ici, l'intérieur d'une voiture possède (au moins) le nouveau-né des téléphones portables, (au minimum) un modèle réduit de chaîne hi-fi et (au mieux) une lilliputienne télévision. Ici, même le jeune équipementier de l'équipe première, chargé de la gestion des maillots noir et rouge, possède une spacieuse voiture rouge à faire pâlir un PDG occidental: «Et, ici, on roule à gauche, précise Basile Boli. Alors, pour rouler à gauche, si vous avez votre volant à gauche au lieu de l'avoir à droite, donc si vous avez vraiment une voiture européenne, vous produisez un très grand effet. Tiens, au fait, c'est ici, au volant, que j'ai pris un grand cours de moralité. Quand je vois un feu orange, je n'accélère plus, je freine! Depuis que je vis ici, je suis plus calme, plus serein, moins fou, plus respectueux des règles, voire de la hiérarchie. Maintenant, lorsque je reviens en France, mes potes me disent que je ne suis plus le même...

En avril, l'ex-défenseur tricolore aux 45 sélections (trente ans depuis janvier dernier) a entamé sa deuxième saison au Japon. En provenance de son dernier club européen, l'AS Monaco et ses treize matches joués, Basile Boli, formé à Romainville puis à Auxerre, est l'un des trois étrangers des «Urawa Red Diamonds».

Son surnom

«le mur rouge»

Aux côtés d'un filiforme allemand blond aux chaussures rouges et d'un discret brun autrichien toujours dans le sillage de «Base», le vainqueur de la coupe d'Europe des champions de 1993 aux 396 matches en première division française prêche - sans le brassard de capitaine - la bonne parole: «Ici, on ne confie pas ce type d'honneur ou de rôle à un étranger. Toutefois, ce que l'on demande à un joueur étranger va bien au-delà de ce qu'on attend d'un capitaine. Un joueur étranger doit être à la fois un guide et un chef d'orchestre. Il doit apporter son expérience notamment en matière de tactique. Au Japon, nous sommes très respectés. Ici, un ancien, même s'il n'a pas vraiment encore de cheveux blancs, est - comme en Afrique - très respecté et très écouté...» Les pros japonais écoutent ce Français originaire de la Côte d'Ivoire aussi religieusement que les cours annuels d'arbitrage dispensés au sein des clubs de première division de la J-League.

Tracassé par ses genoux, Basile Boli ne court plus aussi vite que du temps européen de l'Olympique de Marseille. Mais son expérience défend sa place. Dans les tribunes des stades, les Japonais sont conquis et brandissent une banderole avec son surnom: «le Mur rouge». Sur le terrain, «Base» monte la garde. Ses directives sont souvent gestuelles, ses ordres gueulés en anglais, ses encouragements distillés en japonais et ses jurons clamés en français: «Vous savez, quand on veut arriver à se faire comprendre, on y arrive toujours. Regardez, moi, lorsque j'ai besoin de commander une pizza, je demande à ma fille aînée, Bérangère (sept ans), qui lit couramment le kenji et le katakana! Ici, je m'applique surtout à perfectionner mon anglais démarré lors de ma saison chez les Glasgow Rangers (1994-1995) en Ecosse.» Sinon, en dehors du terrain, un interprète japonais, rémunéré à plein temps par le club, se tient - en permanence - à la disposition des trois joueurs étrangers et des deux entraîneurs allemands.

Dans ce riche club qui a des intérêts en Afrique, ce natif de Côte d'Ivoire ambitionne d'y terminer sa carrière: «J'aimerais jouer encore trois saisons au Japon. Et, pourquoi pas, revenir à Auxerre (où il a joué de 1982 à 1990, NDLR) en tant qu'entraîneur. Guy Roux, une des deux personnes du football français, avec mon frère Roger (joueur au Havre et un de ses sept frères, NDLR), à qui je téléphone de temps en temps, n'arrête pas de me le proposer...?» Au pays du Soleil Levant, Basile Boli a trouvé la sérénité, le début du chemin de sa seconde jeunesse. De la France, il parle peu. De la France, il n'est pas en manque: «Ce n'est pas la bouffe qui me manque! C'est juste l'humour à la française, d'entendre des gars comme De Caunes ou Lafesse. Au niveau du football? Je ne connais plus personne, je me sens moins concerné. Je ne serais même pas capable de vous donner les onze noms des titulaires du PSG! Mais, je me sens un peu responsable du football français. Je suis son évolution, je suis abonné à «France Football» et à «Officiel Hommes», pour le feeling! Ma génération a été la première à gagner une coupe d'Europe, à briser un complexe, à ouvrir les portes. Elle n'avait pas de grosse qualités techniques et tactiques. Mais elle avait un super moral. Elle a montré la voie. Un peu comme je tente de la montrer aux jeunes professionnels japonais...»



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