Jeux vidéo : une industrie lourde est née

Gilles Fontaine, publié le

En lançant, le 23 janvier dernier, la nouvelle de son mariage avec le fabricant de jouets Bandai, le patron de Sega, Hayao Nakayama, croyait tenir de la dynamite. Et redonner ainsi quelques couleurs à son empire vacillant. Qui bouderait son plaisir face à la constitution d'un géant du divertissement de 30 milliards de francs de chiffre d'affaires ? Pourtant, l'annonce a eu l'effet d'un pétard mouillé. Le jour de la publication des bans, l'action Sega chutait de 10 % à la Bourse de Tokyo. Même allié aux redoutables Power Rangers de Bandai, Sonic, le petit hérisson bleu star de Sega, n'est plus magique. Victime du même mal que celui qui a frappé son frère ennemi Super Mario, fils de Nintendo. Emportés tous les deux par ce qu'il est désormais convenu d'appeler la tornade Sony. 

Parti de zéro en 1995, Sony dicte désormais sa loi 

Aujourd'hui, le public comme la Bourse n'ont d'yeux que pour le géant japonais, devenu en un temps record le maître incontesté de cet univers. En un peu plus d'un an, Sony a pulvérisé le duopole qui régnait sans partage sur le marché des consoles vidéo depuis plus de dix ans. Parti de zéro en 1995, le groupe affiche un an plus tard 15 milliards de francs de chiffre d'affaires dans cette activité, presque autant que ses deux adversaires. Une croissance à peine croyable dans un délai aussi court ! Et pour réaliser une telle percée le père du Walkman n'a eu besoin que d'un seul produit, la PlayStation, une console escortée, il est vrai, de quelques dizaines de logiciels de jeu. Depuis, Sony Computer Entertainment (SCE) dicte sa loi sur un marché dont plus personne ne sait très bien jusqu'où il va grimper. Le potentiel de ce marché aujourd'hui évalué à plus de 100 milliards de francs, machines et logiciels compris, est loin d'être épuisé, tout le monde le sent bien. Depuis l'irruption de Sony, la machine s'est emballée, alimentée par une cascade de prouesses technologiques, par une créativité débordante, et aussi par la farouche volonté de Sega et de Nintendo de remonter sur le ring. Déchus, les deux empereurs préparent leur riposte. Avec une certitude : depuis l'arrivée de Sony, leur monde a radicalement changé de dimension. En débarquant avec ses méthodes rodées dans l'électronique grand public, dont il est le leader mondial, le groupe présidé par Nobuyuki Idei a aspiré le jeu vidéo dans la catégorie des industries lourdes hautement concurrentielles et à fort potentiel de croissance. 

Pour mettre KO ses adversaires, Sony a procédé en trois temps. Un : frapper fort en mettant sur le marché un produit utilisant le meilleur des technologies disponibles. La PlayStation est équipée de processeurs Risc utilisés en principe dans les stations de travail, ces gros ordinateurs offrant une puissance de calcul décuplée par rapport aux PC les plus efficaces. Côté logiciel, Sony dédaigne l'antique système des cartouches et opte pour le disque compact, un support très bon marché, qui permet de stocker cent fois plus de données. Deux : mettre hors course les concurrents en massacrant les prix. La Saturn de Sega est lancée à 3 300 francs ? La PlayStation attaque aussitôt le marché à 2 100 francs. Les deux machines sont descendues aujourd'hui sous la barre des 1 500 francs. Trois : donner le coup de grâce avec un marketing puissant. Rien qu'en France, SCE a investi 80 millions de francs en publicité l'an dernier, en multipliant les opérations de promotion. " Nous essayons de faire du bruit toute l'année, en allant là où se trouve notre clientèle cible : un jeune homme de 22 ans urbain et branché ", résume Georges Fornay, PDG de SCE-France. L'été, Sony fait la tournée des plages. L'hiver, 300 démonstrateurs sont lâchés dans les grands magasins au moment des achats de Noël. Et tout au long de l'année Sony parraine des groupes de rap et des dizaines de soirées d'étudiants. Mené au canon, ce Blitzkrieg produit de sérieux ravages dans les rangs. " Sony a acheté ses parts de marché avec un marketing très agressif alors que nous traversons une période de rigueur budgétaire ", explique Bruno Charpentier, patron de la filiale française de Sega. Bilan : Sega compte un parc installé de 7 millions de machines dans le monde, contre 11 millions pour Sony. Une véritable déroute. 

Une guerre des prix doublée d'une course technologique 

Sonnés mais pas vaincus, Sega et Nintendo ont mis de gros moyens sur la table pour refaire surface. Avec sa nouvelle console Saturn, Sega a adopté à son tour la technologie du disque compact et relevé le défi de la guerre des prix. De son côté, Nintendo, ravalé au rang de challenger de Sony, a aussi retenu la leçon du nouveau maître. Sa nouvelle console, la Nintendo 64, est un vrai prodige de technologie. Elle utilise des processeurs qui sont deux fois plus puissants et qui proposent des jeux en trois dimensions de la qualité d'un dessin animé. Le constructeur reste cependant fidèle à la cartouche, qui offfre, selon lui, une plus grande vitesse dans l'action de jeu et, surtout, qui permet beaucoup plus sûrement que le CD d'éviter les contrefaçons, estimées à 5 milliards de francs chaque année dans le domaine des jeux vidéo. Depuis sa sortie, il y a quelques mois, la Nintendo 64 s'est vendue à plus de 4 millions d'exemplaires au Japon et aux Etats-Unis. La déferlante atteindra l'Europe en mars. 

. Quelques semaines avant le lancement de la Nintendo 64 sur le Vieux Continent, Georges Fornay annonce clairement la couleur : " Nous réagirons à tous les niveaux, et notamment en mettant la pression sur les prix des consoles et des logiciels. " De son côté, Sega n'a pas l'intention de se cantonner dans un rôle d'outsider. " Nous sommes dans les jeux vidéo et nous avons la ferme intention d'y rester, annonce Bruno Charpentier. La baisse importante de nos coûts de production va nous permettre d'être plus agressifs sur notre offre de consoles, et de renforcer notre présence en communication. "  

Les logiciels sont devenus une mine d'or 

Ainsi relancée, la guerre des consoles va se traduire par une nouvelle baisse des prix. L'offre devrait se rapprocher des 1 000 francs, et les constructeurs ont accepté de sacrifier les marges sur le hardware. Car l'objectif, pour chacun, est de constituer le plus vite possible une clientèle captive de plusieurs dizaines de millions d'utilisateurs. " Personne ne gagne d'argent sur le hardware, pas même les distributeurs. Tout le monde tire aujourd'hui ses profits des ventes de logiciels ", explique Stephan Bole, directeur marketing de Nintendo-France. Et pour cause. Un utilisateur de console consomme en moyenne cinq à six logiciels de jeu, et la moyenne des prix se situe à environ 350 francs. En matière de création, chaque groupe a sa religion. Sony s'appuie sur des équipes internes de développement aux Etats-Unis ou au Japon ainsi que sur sa filiale Psygnosis, une société britannique rachetée en 1992. Les deux autres groupes conçoivent en interne quelques jeux phares de leur collection, comme le Super Mario de Nintendo ou le Sonic de Sega, devenus aujourd'hui les mascottes des deux groupes.  

Mais l'essentiel des catalogues, qui peuvent atteindre plusieurs centaines de titres par machine, est alimenté par des éditeurs tiers, qui pour chaque unité vendue doivent payer au fabricant des royalties de plusieurs dizaines de francs. Une sorte de droit d'accès aux consoles. En dix ans, il s'est vendu plus de 1 milliard de jeux pour les différentes consoles Nintendo et quelques centaines de millions pour les machines Sega. Un marché florissant, dopé par l'arrivée de Sony, qui vend actuellement 6 jeux par console en moyenne en Europe et aux Etats-Unis, et 8 au Japon. Cette guerre fratricide entre trois constructeurs japonais, si elle tire le marché, a coûté cher en marges à Sega et à Nintendo. 

Intel et Microsoft se jettent dans la mêlée 

Mais aujourd'hui, de l'autre côté du Pacifique, se lève une nouvelle tempête. Bluffés par le développement météorique du jeu vidéo, les seigneurs américains de l'informatique, Microsoft et Intel en tête, ont décidé de se jeter à leur tour dans la mêlée. Le clan informatique a très vite compris le parti qu'il pouvait tirer de cette " ludomania ". Le jeu pourrait bien être l'application miracle qui assurera enfin le succès de l'ordinateur multimédia dans les foyers. Toutes les études montrent que la majorité des propriétaires de PC utilisent leur machine pour jouer. Le jeu représente 60 % des ventes mondiales de CD-ROM pour PC, estimées l'an dernier à 13 milliards de francs. " Aucune autre application ne pourrait donner un tel dynamisme à ce marché ", estime Luc Boursier, directeur général de la filiale française de l'américain GT Interactive, l'un des leaders de l'édition de jeux avec un chiffre d'affaires de l'ordre de 1,3 milliard de francs.  

Jusqu'ici, le monde du PC n'offrait que peu d'attrait aux fêlés du jeux. L'ordinateur multimédia, dix fois plus cher qu'une console, ne dispose pas de la puissance suffisante pour faire tourner des logiciels de jeux, très gourmands en ressources de calcul. Sur les dernières générations de consoles, certains jeux tournent à 60 images par seconde, alors que le plus perfectionné des ordinateurs grand public atteint ses limites à 15 images par seconde. Plus gênant : l'utilisateur rencontre trop souvent des problèmes d'incompatibilité au moment d'installer son logiciel sur son ordinateur. Pour ces raisons, le jeu sur ordinateur est resté longtemps réservé aux hardcore gamers, à la fois informaticiens bidouilleurs et joueurs invétérés. Ils ne représentent que 20 % des utilisateurs de PC. Mais plus des deux tiers des acheteurs de logiciels de jeu. 

Nouvelle arme fatale technologique : le Pentium MMX 

Microsoft a mobilisé ses meilleures équipes. " Pour que le jeu sur PC devienne un marché de masse, il faut que les logiciels puissent être installés aussi facilement que sur une console ", explique Sébastien Motte, chef de produits jeux chez Microsoft. En un temps record, la firme de Seattle a mis au point un kit de développement de jeux pour les éditeurs, baptisé Direct X, dont le principe est de rendre tous les logiciels utilisables sous Windows 95, qui équipe aujourd'hui plus de 70 millions d'ordinateurs dans le monde. Moralité : " En décembre dernier, 50 % des jeux étaient conçus pour Windows 95. A la fin de cette année, 95 % des logiciels seront compatibles ", prévoit Sébastien Motte. Et Microsoft n'en restera pas là. Jusqu'ici, la place du jeu dans l'activité du n¡ 1 mondial de l'édition informatique se limitait à un seul produit, le Flight Simulator, conçu en 1982, qui s'est vendu à plus de 3 millions d'exemplaires. Mais son catalogue de jeux comportera une vingtaine de titres à la fin de cette année. Et pour les vrais " pros " Microsoft a lancé une gamme de manettes de jeu utilisant la technologie digitale optique. 

De son côté, Intel, leader mondial du microprocesseur, se charge de remédier au manque de puissance des ordinateurs. Début janvier, le fabricant a lancé un nouveau processeur qui donne quelques sueurs froides à la troïka de la console : le Pentium avec technologie MMX. " Ce produit a été spécialement conçu pour les jeux ", observe Dominique Cor, directeur marketing pour la France de l'éditeur de jeux américain Electronic Arts. Les nouveaux PC de la génération MMX seront d'ailleurs vendus avec un jeu de course de voitures en trois dimensions, tournant à une trentaine d'images par seconde. Baptisé POD, ce logiciel est l'oeuvre du français Ubi Soft. POD est un nouveau concept de jeu : on peut jouer seul, contre l'ordinateur, ou à plusieurs, via Internet. En se connectant au site Web d'Ubi Soft, le joueur peut se mesurer en temps réel avec les voitures d'autres participants connectés au réseau. L'éditeur français espère vendre plus de 5 millions d'exemplaires de son jeu cette année, ce qui le hisserait parmi les cinq premiers mondiaux. " Des produits comme POD démontrent que l'alternative aux consoles existe déjà ", estime Yves Guillemot, PDG d'Ubi Soft. 

Le seul marché réellement grand public : la console  

Sur le papier, le PC est gagnant sur au moins un point : les jeux sur console coûtent plus cher à développer, compte tenu de la complexité de la technologie utilisée et des royalties versées aux fabricants. En moyenne, il faut vendre 1 million d'exemplaires pour amortir un jeu sur console, alors que 100 000 unités suffisent pour un jeu sur PC. Au plan purement financier, le rêve des éditeurs serait de ne travailler que pour les ordinateurs. Mais personne ne prendrait ce pari. " Dans la galaxie des marchés appelés par convenance "le multimédia", le seul marché grand public aujourd'hui est celui des consoles. L'ordinateur en est au stade du Gramophone par rapport à ce qu'il deviendra ", estime Bruno Bonell, PDG d'Infogrames, leader européen des logiciels de loisirs. En fait, l'intérêt immédiat des éditeurs est que tout le monde trouve sa place. " Plus il y aura de machines installées utilisant des technologies variées, mieux nous nous porterons ", confirme Yves Guillemot.  

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Et le clan des consoles n'a pas dit son dernier mot. Nintendo expérimente au Japon un système de jeux à la carte où les 150 000 abonnés téléchargent les logiciels sur leur console via une connexion satellite. Et une équipe de techniciens de Sony, installée aux Etats-Unis, travaille dans le plus grand secret au développement de la PlayStation 2. 

A cette surenchère technologique répond un déluge créatif surgi d'une douzaine d'éditeurs majeurs. La plupart sont américains, cotés au Nasdaq, mais les Français tiennent la corde : Infogrames, qui devrait bientôt absorber les activités d'édition et de distribution multimédias de Philips, pèsera à terme plus de 1 milliard de francs de chiffre d'affaires. Ces éditeurs s'appuient sur la création de centaines de petites sociétés de développement qui alimentent un marché de plus en plus concurrentiel. Au moment des fêtes de Noël, plus de 900 jeux étaient disponibles sur le marché français. " Sur les dizaines de titres qui sortent chaque mois, moins de 5 % réalisent la moitié des ventes ", estime Nathalie Lamri, directeur marketing de Virgin Interactive-France. 

Concepteurs et éditeurs n'ont pas droit à l'erreur. La fabrication d'un jeu dure en moyenne dix-huit mois et occupe des dizaines de spécialistes : scénaristes, créateurs de personnages et de décors, musiciens, illustrateurs, informaticiens... et bien sûr acteurs, en pagaille. D'autant plus nombreux que chaque jeu doit être traduit dans une dizaine de langues pour atteindre un volume de ventes respectable. Cette course à la sophistication fait flamber les budgets de développement. Pour mieux gérer ces coûts, les gros éditeurs comme GT Interactive ou Electronic Arts ont entamé une vague de rachat des petites sociétés de développement les plus dynamiques. Ce mouvement de structuration du secteur de l'édition a déjà été réalisé par les français. Infogrames et Ubi Soft ont rapatrié en interne, depuis plusieurs années, leurs équipes de production. " Au départ nous avons travaillé avec des auteurs indépendants, des jeunes de 15 à 17 ans très brillants, mais trop difficiles à gérer ", explique Yves Guillemot. Suivant l'exemple du textile ou de l'automobile, les éditeurs acceptent de délocaliser une partie de leur production, à la recherche d'une main-d'oeuvre moins coûteuse. Ubi Soft a ainsi créé un studio de développement en Roumanie. 

Cette maturité s'explique par l'envolée des coûts de développement. " Le plus modeste des jeux nécessite un budget de 5 millions de francs ", estime Christian Brechteau, directeur général de l'éditeur Aclaim-France. Mais de plus en plus de créations atteignent des coûts de production de plusieurs dizaines de millions de francs. Dans la catégorie de la grosse production hollywoodienne, le logiciel sur PC Wing Commander IV, sorti en décembre 1995, bat tous les records, avec un budget de 60 millions de francs. Ce jeu d'action et d'aventure est un véritable film interactif, stocké sur 6 CD-ROM et intégrant des séquences vidéo qui ont nécessité trois semaines de tournage. Plus de 200 000 pièces ont été vendues en Europe. Dans la même lignée, Privateer II, un jeu d'action dans l'espace, sorti en décembre dernier, affiche une distribution très internationale, avec Mathilda May, Christopher Walken et John Hurt. Le budget est plus modeste : 40 millions. Ces deux oeuvres sont le fruit de l'imagination des équipes d'Origin, une société de développement de 240 personnes rachetée en 1992 par Electronic Arts. Le fondateur d'Origin est un digne représentant des personnages loufoques qui peuplent cet univers. Richard " lord British " Garriott, 35 ans, se considère en toute simplicité comme un demi-dieu, créateur de mondes virtuels. " Lord British " ­ ses ancêtres sont britanniques ­ tient de son père astronaute le virus de l'espace. Alors il s'est offert un Spoutnik lors d'une vente aux enchères. Il possède aussi une villa à Austin, dans le Texas, dont il a lui-même dessiné les plans sur le modèle d'une maison hantée, truffée de passages secrets. A la manière du cinéma, l'industrie du jeu vidéo aime à écrire sa propre légende. 

Le tapage médiatique démarre plusieurs mois à l'avance  

Devant l'ampleur prise par les investissements, la promotion d'un jeu n'a parfois plus rien à envier à la campagne de lancement d'un film. " La durée de vie d'un produit est très courte, quelques mois, voire quelques semaines ", explique Sébastien Motte. Le tapage médiatique démarre plusieurs mois à l'avance, avec des concours dans la presse spécialisée et l'ouverture d'un site Web qui donne un avant-goût du scénario. La promotion se poursuit après le lancement avec des opérations très ciblées. Les 2 millions de fans de Command & Conquer, le dernier jeu d'action sur PC de Virgin Interactive, vont être particulièrement gâtés : la gamme des produits à l'emblème de leur jeu favori est vaste. On citera en particulier l'ordinateur de combat camouflé, le bonnet " Happy Tchétchène ", sans oublier les produits d'hygiène, avec l'indispensable crème à raser antibouton. 

Du cinéma, le jeu vidéo ? De plus en plus les points de ressemblance se multiplient entre les deux mondes. Et il n'est plus exclu de voir un jour les jeux interactifs supplanter les meilleurs films d'action. Pour Bruno Bonell, le marché va bientôt se segmenter : " Le modèle du jouet, celui de la cartouche de jeu, simple à utiliser, avec une technologie fermée, restera. C'est la stratégie choisie par Nintendo, et elle sera payante. En revanche, les consoles qui hébergent des disques compacts et les jeux sur PC vont migrer sur les réseaux. C'est sur ce marché en ligne, qui va décupler dans les prochaines années, que l'on trouvera les futurs champions du divertissement. " Et peut-être les nouveaux rois de l'image. 

Une folle croissance qui n'est pas près de s'arrêter 

Un marché à 100 milliards de francs 

Les Etats-Unis et l'Asie ­ principalement le Japon ­ représentent plus des trois quarts des ventes mondiales de consoles et de logiciels de jeux vidéo. En 1997, le marché européen sera le théâtre d'une lutte impitoyable entre les trois fabricants japonais : Nintendo, Sega et Sony. 

Amérique du Nord : 42 milliards 

Asie du Sud-Est : 36 milliards 

Europe Occidentale : 18 milliards 

Reste du monde : 4 milliards 

Un formidable potentiel 

Ventes des nouvelles générations de consoles (en millions) 

1995 : 4,8 

1996 : 6,8 

1997 : 8,9 

2000 : 17,9 

Source : Dataquest 

La croissance du marché est générée par les nouvelles consoles mises sur le marché depuis fin 1995. Le volume de ventes va croître jusqu'en l'an 2000. Une nouvelle génération d'engins, plus sophistiqués, prendra alors le relais. 

Un business très rentable 

Résultats 1996 en milliards de francs 

Chiffre d'affaires Résultats nets 

SEGA 19 0,23 

NINTENDO 18 2,2 

SONY 15 NC 

Le business est très profitable, surtout pour Nintendo. Mais les marges se réduisent sous l'impact de la guerre des prix déclenchée par Sony. Au point que ce dernier se refuse à toute prévision de résultat. 

Un secteur hyperconcurrentiel où Sony dicte sa loi 

Asie Amérique du Nord Europe TOTAL 

SONY 

Playstation 

lancée en 1995 5 3,5 2,5 11 

SEGA 

Saturn 

lancée en 1995 4 1,5 1,5 7 

NINTENDO 

Nintendo 64 

lancée fin 1996 2,6 1,6 0 5  

Sony a gagné la première manche de la bataille des nouvelles consoles. Ces machines high-tech offrent des images dignes des meilleurs dessins animés. Nintendo, dont le produit est sorti avec un an de retard sur ses concurrents, est favori dans la deuxième manche. 

Au début était Atari 

- 1973 : Atari lance sa première console avec le logiciel Pong, un jeu en noir et blanc dont le but est de se renvoyer une bille lumineuse d'un bord à l'autre de l'écran. Un million de machines sont vendues. Dans les années 80, le secteur des jeux vidéo est dominé par Atari, qui détient 80 % du marché mondial. Commodore lance son ordinateur familial, l'Amiga, dédié principalement aux jeux. Amstrad lance sa première console. 

- 1983 : Nintendo attaque le marché avec la NES Famicon et son jeu vedette Super Mario. Plus de 60 millions de machines ont été vendues à ce jour. En 1986, Sega se lance à son tour, avec la MasterSystem. Faute d'un nombre suffisant de jeux, les fabricants américains entrent en crise. En quelques années, les deux groupes japonais se forgent une position de duopole. 

- 1989 : Sega lance la Megadrive, sa nouvelle génération de consoles. Nintendo fait de même quelques mois plus tard avec la Super Nintendo. En 1990, les deux fabricants créent le marché de la console portable, avec le Game Boy de Nintendo et le Game Gear de Sega.  

- 1995 : Sony lance la PlayStation. Sega lance la Saturn, sa nouvelle génération de consoles. Microsoft annonce qu'il se lance sur le marché des jeux : le PC devient un concurrent sérieux de la console. Fin 1996, Nintendo effectue un retour en force avec une nouvelle machine, la Nintendo 64, technologiquement plus sophistiquée que celles de ses deux concurrents. Début 1997, Intel annonce le lancement d'un nouveau processeur, conçu notamment pour les jeux sur ordinateur. 

La première console Atari : un must du jeu vidéo dans les années 70. 

Super Mario symbolise le succès du japonais Nintendo. 

11 millions de PlayStation ont été vendues dans le monde en un an. 

Où va l'argent d'un CD de jeu vendu 350 francs 

-Pour un PC 

TVA : 60F 

Distribution : 115F 

Fabrication (support, emballage et royalties) : 35F 

Conception du jeu : 38F 

Marketing : 17F 

Marge de l'éditeur : 85F 

-Pour une console 

TVA : 60F 

Distribution : 90F 

Fabrication (support, emballage et royalties) : 90F 

Conception du jeu : 38F 

marketing : 20F 

Marge de l'éditeur : 52F 

Financièrement, un éditeur a intérêt à produire un jeu sur Compact Disc pour PC. Il échappe ainsi au versement des royalties exigées par les fabricants de consoles. Mais le jeu sur PC reste encore confidentiel par rapport au marché de masse des consoles. 

De l'idée au lancement, comment se fabrique un jeu 

La fabrication d'un jeu est un travail de fourmi. Entre l'idée originale et le lancement du logiciel sur le marché, il s'écoule, en moyenne, plus de dix-huit mois. Le développement du projet durant cette période nécessite l'investissement de plusieurs millions de francs et l'intervention de dizaines de métiers spécialisés, proches de ceux du dessin animé. Voici la saga de la fabrication de Tim 7, le dernier jeu éducatif conçu par le français Ubi Soft, une production de 20 millions de francs. 

1. L'IDÉE 

Au départ, Yves Guillemot, PDG d'Ubi Soft, subit les litanies de ses enfants, qui se plaignent du faible contenu des jeux éducatifs. L'un des vingt-cinq chefs de projet, Gilles Langourieux, 28 ans, est chargé de développer une collection utilisant tous les potentiels du multimédia et de l'interactivité. Il lance une étude de marché. Durant plusieurs semaines, une société extérieure interroge des centaines de parents et d'enfants. Le dépouillement des questionnaires donne naissance au personnage de Tim 7, un adolescent au look branché, actif et très débrouillard, doté d'une personnalité positive. 

2. LE SCÉNARIO 

Des scénaristes rédigent la trame des aventures de Tim 7 avec le concours d'enseignants. Ensuite, les éléments de base sont jetés sur le papier : des illustrateurs, mais aussi des concepteurs de personnages et des spécialistes du décor, dessinent l'environnement du jeu.  

3. LA RÉALISATION 

Plusieurs équipes travaillent en parallèle à la réalisation des composantes du jeu. A ce stade, cela représente une quarantaine de personnes à temps plein durant un an. Un premier groupe d'informaticiens s'occupe de concevoir le " moteur ", un gros programme informatique servant à mettre au point les différents éléments du logiciel : le son, l'image, l'animation et la vidéo. Tous sont travaillés en studio par des ingénieurs du son, des spécialistes de l'image graphique et des cinéastes, puis stockés sous forme de fichiers informatiques. C'est ensuite aux acteurs d'entrer en scène pour doubler les personnages. Le jeu est traduit dès le départ dans une douzaine de langues. Puis des musiciens enregistrent en studio les différents airs des aventures de Tim 7. Pour finir, des intégrateurs multimédias sont chargés d'assembler les milliers de fichiers informatiques. 

4. LES TESTS 

Près de 200 personnes sont engagées durant les deux mois des vacances d'été pour tester le jeu. Elles sont chargées à la fois d'apprécier la convivialité du logiciel et de déceler les inévitables erreurs de programmation informatique commises lors de la réalisation. Après correction des erreurs de conception, une version définitive du jeu est arrêtée. 

5. LA PRODUCTION 

La Master Gold, le moule du logiciel Tim 7, est transmise à une entreprise sous-traitante pour la phase de production. 

6. LE LANCEMENT 

La promotion de Tim 7 démarre plusieurs mois avant le lancement effectif du jeu. Ubi Soft et ses huit filiales étrangères (Etats-Unis, Australie, Chine, Grande-Bretagne, Allemagne, Espagne, Italie, Japon) inondent la presse de jeux-concours. Le site Web de l'éditeur français donne un avant-goût du dernier-né des jeux signés Ubi Soft. Tim 7 sera un best-seller. 

Gilles Langourieux, 28 ans chef de projet chez Ubi Soft. 

Une quarantaine de spécialistes sont à l'oeuvre durant un an. 

Le personnage de Tim 7 est né d'une étude de marché : des centaines de gamins et de parents ont été sondés. 

Avant sa sortie, le logiciel est testé par près de 200 personnes.  

Les 10 best-sellers mondiaux de 1996 : tableau 

Il faut vendre en moyenne 1 million d'exemplaires pour amortir le coût de fabrication d'un jeu. 

Le savoir-faire français se vend bien 

Depuis une dizaine d'années, les concepteurs et éditeurs français de jeux vidéo ont pris leurs marques sur ce marché très concurrentiel. Portrait des poids lourds et des artisans. 

Frédéric Raynal, , 30 ans, fondateur de Delphine. Deux créations, deux best-sellers. 

DELPHINE : UNE PETITE MACHINE À HITS 

Son père tenait un magasin d'informatique à Brive-La-Gaillarde. Rien d'étonnant à ce que Frédéric Raynal soit devenu l'un des plus fertiles développeurs français de jeux. A 18 ans, il conçoit son premier hit, Pop Corn. Ce succès lui vaut d'être embauché par Infogrames, où il crée Alone in the Dark, un jeu d'aventure sur PC vendu à 600 000 unités. En 1992, il lance Delphine avec Paul de Senneville, le producteur de Richard Clayderman. La société d'édition de jeu a réalisé, en 1996, 23,5 millions de chiffre d'affaires ­ dont 50 % aux Etats-Unis ­ avec 23 salariés et deux best-sellers : Time Commando et surtout Little Big Adventure, vendu à 320 000 exemplaires. Frédéric Raynal sillonne actuellement les Etats-Unis pour promouvoir la sortie de son nouveau jeu. 

Bruno Bonnell, 36 ans, PDG d'Infogrames. Il mise sur les nouvelles générations de jeux en réseau. 

INFOGRAMES : UN LEADER EUROPÉEN INCONTESTÉ 

Le développement d'Infogrames a longtemps reposé sur le marché des consoles. Ses séries Schtroumpf, Astérix ou Jurassic Park se sont vendues à plusieurs millions d'exemplaires ; la société fondée en 1983 par Bruno Bonnell et Christophe Sapet est le n¡ 1 européen de l'édition de logiciels de loisirs. L'an dernier, l'éditeur lyonnais s'est attaqué au marché du jeu pour PC en rachetant la société britannique Ocean. Le chiffre d'affaires du groupe, clos fin juin 1997, devrait doubler par rapport à l'an dernier, à 700 millions de francs. A présent, il parie sur l'explosion des réseaux en ligne, où les joueurs téléchargent les logiciels directement sur leur PC. Bientôt, Infogrames vendra ses jeux comme l'on vend les droits d'un film. 

Jean-Martial Lefranc, 35 ans, directeur général de Cryo. Il se concentre sur le haut de gamme. 

CRYO : LA " FRENCH TOUCH " 

Les trois membres fondateurs de Cryo se sont fait une renommée mondiale en moins de cinq ans. L'équipe se compose aujourd'hui de 140 personnes et réalise 70 millions de francs de chiffre d'affaires, dont 80 % à l'étranger. En septembre 1995, le Groupe LVMH est entré à hauteur de 20 % dans le capital de Cryo. L'entreprise se charge désormais d'éditer son catalogue d'une quinzaine de titres, reconnaissables à leur design très sophistiqué, la french touch. Versailles, complot à la cour du roi, le dernier jeu signé Cryo, est devenu un best-seller avec plus de 120 000 exemplaires vendus. 

Yves Guillemot, 36 ans, PDG d'Ubi Soft. Il veut être dans le top 10 des éditeurs mondiaux. 

UBI SOFT : 1 500 titres à son catalogue 

Au commencement, les cinq frères Guillemot faisaient dans la distribution de produits informatiques. Ubi Soft est aujourd'hui l'un des premiers éditeurs européens de logiciels de loisirs, coté au second marché, possédant 16 filiales, dont 8 à l'étranger. Cette grosse PME réalise un chiffre d'affaires de 250 millions de francs avec 350 salariés et un catalogue de 1 500 titres pour consoles et PC, orienté aux trois quarts vers le jeu. Yves Guillemot, PDG du groupe, veut se classer parmi les leaders mondiaux de l'édition de jeux avant la fin du siècle et table sur un chiffre d'affaires de 500 millions de francs dès 1998. Cette croissance devrait être alimentée par de nouvelles activités,comme le dessin animé.  

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