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chronique / ACTUALITÉS

Le plan anticrise : entre dispositifs d’attente et réformes structurelles

MUSTAPHA MEKIDECHE

Avec l’aggravation de la crise financière dans laquelle le pays est entré depuis juin 2014, il est pertinent de s’interroger pour savoir si le train de mesures mis en œuvre est suffisant pour en réduire les effets. Il est clair que ceux qui pensaient pouvoir maintenir le statu quo, dans l’attente d’un raffermissement des cours pétroliers, voient leur stratégie contrariée et, in fine, disqualifiée à l’épreuve des faits. Aussi la majorité des partenaires économiques, politiques et sociaux conviennent à présent de la nécessité de construire une alternative. Mais les partisans du statu quo, arrimés aux chasseurs de rentes et aux puissants lobbies de l’importation, reviennent par la fenêtre en proposant des dispositifs d’attente qui ne feront que maintenir les canaux de captation de ressources indues. À l’inverse, j’observe des prémisses de construction d’un front favorable à des réformes structurelles incontournables mais “progressives”, pour autant que les coûts en soient répartis équitablement. Reste que ce sera complexe et difficile à construire. Voyons pourquoi. D’abord il y a une difficulté conceptuelle et méthodologique à définir le contenu de ce qu’il est appelé “les réformes structurelles”. Éléments de rappel. La première génération des réformes structurelles avait été portée, certains de mes lecteurs s’en souviennent, par le programme d’ajustement structurel (PAS) mis en œuvre entre 1994 et 1998. Les réformes structurelles ont consisté en une dévaluation massive et brutale, sans commune mesure avec ce qu’a fait la Banque d’Algérie durant la crise actuelle, des coupures budgétaires dans les politiques de protection  sociale, de santé et d’éducation, un assèchement du crédit bancaire pour les entreprises publiques et privées. Résultats des courses : des dizaines de milliers de travailleurs mis au chômage, des milliers d’entreprises publiques et privées dissoutes, des systèmes de protection sociale et sanitaire quasiment démantelés. Cela avait été accompagné d’une ouverture totale du marché sans reconstruction préalable d’une offre algérienne de biens et de services. Lors de la crise financière de 2007, les grands pays de l’OCDE ont fait paradoxalement le contraire  en matière de réformes structurelles. Ainsi les États-Unis, le Japon, la France et l’Angleterre ont transféré les dettes et les créances douteuses de leur système bancaire à leurs Banques centrales respectives par le mécanisme “quantitative leasing”. En d’autres termes, l’argent public a été massivement utilisé pour sauver les banques privées d’un “risque systémique”. Les États-Unis ont fait mieux en transformant les dettes dues par le grand constructeur automobile General Motors en actions. Fait historique inédit, ce constructeur a été nationalisé pendant une certaine période. Dernier exemple la Chine. Ce pays a sa propre lecture des réformes structurelles dans lesquelles il devrait engager son économie. Ainsi, son plan de réformes prévoit la restructuration et la modernisation de l’offre. De sorte par exemple à rendre l’agriculture chinoise plus efficace par “un développement innovant, coordonné, vert, ouvert et partagé”. Alors quand les institutions internationales nous disent de réaliser des réformes structurelles, nous sommes en droit de leur dire lesquelles, tant leur spectre d’intervention s’est élargi, et dans certains cas de façon antinomique. S’agit-il de l’option néo-libérale remise en cause de “déréglementation sur les marchés de produits et la libéralisation et la déréglementation sur les marchés du travail” ou tout simplement de “modifier les arbitrages de politique économique en changeant les institutions qui leur sont sous-jacentes” ? Il me semble que les experts algériens, dans leurs différentes sensibilités préfèrent la seconde acception et convergent sur ce qu’il faudrait faire en matière de réformes structurelles. C’est un des enseignements du dernier panel d’experts qui s’est tenu dernièrement à l’initiative du Cnes. Alors, que faudrait-il faire en matière de réformes structurelles? D’abord initier un dialogue inclusif dont l’objectif est d’élaborer la réforme du système en vigueur de subventions implicite ou explicite, source de gaspillage, de captage de rentes et de fuites aux frontières.
Ensuite refonder le Pacte économique et social dans une démarche chiffrée contractuelle fixant les contreparties quantifiées à la charge de chaque partenaire concerné, notamment celles des syndicats de salariés et des organisations patronales. Trois exemples pour faire court. À la modération salariale acceptée par les syndicats de branches, les employeurs de branches devront s’engager à défaut de créer de nouveaux emplois de sauvegarder ceux qui existent. Ensuite la diminution de la taxe sur l’activité professionnelle (TAP) qui pénalise les APC aurait dû être accompagnée par un engagement des entreprises territorialement concernées à participer ou sponsoriser des projets communaux d’utilité publique. Enfin, aux facilités foncières, aux accompagnements bancaires et aux moins-values fiscales consentis par les pouvoirs publics aux entrepreneurs devraient correspondre des engagements chiffrés d’investissements, de création d’emplois, de valeurs ajoutées et de contribution au desserrement de la contrainte sur la balance des paiements par la substitution aux importations de certains produits et services et à l’exportation d’autres. Cette démarche de mise en œuvre, en ce qu’elle apaise et conforte le front social par la transparence des efforts faits par les partenaires sociaux et les pouvoirs publics, est partie constitutive des réformes structurelles.
 Je conclurais par la nécessité d’une rentabilité plus élevée des investissements publics et privés. L’ampleur du choc extérieur et des contraintes budgétaires est telle que l’on ne peut plus continuer à investir tous azimuts sans retour. Un double ciblage est à présent requis. Celui de l’investissement public au profit des infrastructures ayant les effets d’entraînements les plus grands sur l’agriculture, l’industrie et le développement territorial. Celui de l’investissement privé, y compris par les EPE, par la sélection de projets dans des filières industrielles structurantes et à haute valeur ajoutée. De sorte à ne pas se retrouver dans la situation du Maroc aujourd’hui qui investit 30% de son PIB sans que pour autant cela soit reflété dans le taux de croissance. Car ce n’est pas l’industrie, sous-capitalisée, ou l’agriculture qui en bénéficient le plus mais les branches du tourisme et de l’immobilier, niches potentielles de rentes spéculatives. Ce n’est pas moi qui le dit mais leur très sérieux Haut commissariat au plan (HCP).

M. M.


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