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Voyages par train en Algérie : la galère

 
Malgré les efforts de l’état algérien, voyager par train en Algérie est parfois voire souvent une galère.
mercredi 4 mai 2005.

Les voyageurs, Gare de l'Agha, Alger, Algérie.notamment ceux qui empruntent en fin de journée les trains de banlieue, sont quotidiennement confrontés à des aventures au cours desquelles il leur arrive d’assister à des agressions à l’arme blanche, quand ils n’en sont pas eux-mêmes les victimes. A côté de cela, les retards accusés régulièrement par les trains deviennent une banalité. Les nouveaux projets annoncés par la Sntf mettront-ils fin à cette situation ?

Un constat, des explications

Déni « Non, ce n’est pas la Sntf, qui est la cause des fréquents retards » affirme un responsable de cette société, dégageant toute responsabilité de son entreprise.

« Ce sont les citoyens qui détériorent nos installations électriques », ajoute ce responsable qui précise : « Le conducteur ne peut pas prendre le risque d’engager sa locomotive si la signalisation est au rouge » une réponse « technique » qui ne semble pas suffisante pour tout expliquer. Il finit cependant par reconnaître : « Parfois, le réservoir n’est pas plein. Donc, le train ne peut pas partir, ce qui aboutit à un retard. » D’autres raisons sont soulevées par notre interlocuteur : « La Sntf fait bien son travail, mais des raisons indépendantes de sa volonté gênent, ainsi, le bon fonctionnement des trains. » « L’infrastructure ferroviaire date de l’époque coloniale, ce qui exige une prudence de la part des conducteurs de trains qui roulent lentement. » Ce responsable fera savoir qu’il existe, au niveau de la direction régionale, un service de suivi des trains de banlieue. « Ils contrôlent les départs et les arrivées ». Ces techniciens signalent à la direction générale « tous les retards, et autres suppressions de train ». Ils font quotidiennement des rapports en se basant sur « le rapport du chef de train qui signale le moindre retard, sa raison, la gare ou le lieu du retard ». Concernant la suppression pure et simple de certains départs de trains, pourtant clairement affichés sur le tableau de départs, ce même responsable avoue qu’il est « anormal de supprimer des trains sans le signaler aux voyageurs ». Mais, précise-t-il, « le train est contrôlé une première fois au niveau du dépôt, ensuite, lorsqu’il rejoint la gare de départ, une équipe technique effectue un deuxième contrôle. Lorsqu’elle constate une anomalie, elle préfère annuler le départ. » Un autre point qui mérite éclaircissement est le fait que les trains de banlieue ne dépassent pas les six voitures ce qui est vraiment insuffisant au regard de la demande, notamment, lors des heures de pointe où les voyageurs se bousculent pour monter. A ce propos, ce responsable fera savoir que le problème réside dans les locomotives qui ne sont pas adaptées à ce type de transport : « Ces locomotives sont faites juste pour les manœuvres au niveau des gares. Or, elles se retrouvent versées dans le transport des voyageurs. »

Les voyageurs désabusés

Fatalité « Nous sommes habitués à l’insécurité », déclare un voyageur résigné au sort que lui réserve quotidiennement la Sntf.

« C’est l’aventure. J’assiste chaque jour à des agressions. Des énergumènes s’en prennent à des voyageurs sans défense », déplore Mustapha, employé dans une banque. Mustapha prend chaque jour le dernier train d’Alger vers Reghaïa. « Avec le temps, je connais tous les habitués du train qui sont pratiquement les mêmes », mais « ça se dégrade de plus en plus », déplore-t-il. Amina, standardiste, qui termine son travail vers 17 h30, nous déclare : « Je suis obligée d’attendre le dernier train de 18h 30 et croyez-moi, j’attends la peur au ventre. » Amina, qui affirme avoir été plusieurs fois témoin d’agressions, explique : « A la gare pas de problèmes, car il y a un poste de police. Mais à l’intérieur du train, c’est l’aventure. J’ai assisté à des scènes violentes : des jeunes se battent, parfois, à l’arme blanche et personne n’ose s’interposer. » « L’insécurité fait partie de notre quotidien », insiste la jeune femme qui déplore « l’absence de véritables agents de sécurité dans les trains ». « Certes, on voit des jeunes vêtus de combinaison noir et bleu, circulant dans le train. Mais, ils ne sont jamais là lorsqu’on a besoin d’eux. » « La dernière fois, un groupe de jeunes a agressé un jeune devant tout le monde et personne n’est intervenu », témoigne Hakim. Pour Brahim « l’union fait la force et on peut, tous ensemble, changer les choses et renverser la tendance ». La ligne Alger- Blida semble être, de l’avis de certains voyageurs, particulièrement risquée : « A partir d’El-Harrach, des groupes de jeunes, parfois une dizaine, montent dans le train et s’en prennent à tout le monde ». L’insécurité n’est pas seulement dans les trains, des gares entières sont livrées aux voleurs et autres voyous qui ont fait de ces endroits leur repère : « Boudouaou, Tidjelabine, Corso sont pratiquement à l’abandon », fera remarquer un cheminot. « Les gens ont peur », constate-t-il, précisant : « Les voyageurs évitent de descendre dans ces gares. » « Je ne descends jamais à la gare de Boudouaou, pourtant c’est là que j’habite », confirme un voyageur. « Je préfère aller par train jusqu’à Reghaïa, car c’est moins cher, et de là, je continue vers Boudouaou par bus. Dans ces gares, c’est le Far West ». « Le voyageur est livré à lui-même. Il n’a aucune protection. »

Alger-Thénia

Image La nuit commence à tomber sur la gare de l’Agha. « Le train de Thénia arrive dans un instant », annonce une voix dans un haut-parleur.

Les voyageurs, une cinquantaine environ, attendent anxieusement le dernier train, qui les ramènera chez eux. Ce sont des habitués. Ils se connaissent, mais ne se parlent pas. Parmi eux, des fous, des voleurs, des travailleurs, des artistes, des jeunes désœuvrés sont là pour passer le temps. La longue attente est différemment vécue. Si, pour quelques-uns, c’est un moment de solitude, de réflexion, pour d’autres c’est un moment de grande anxiété. Enfin, le train arrive. La locomotive pénètre dans une gare triste, sous le regard ravi des voyageurs. Sur les six voitures que compte le train, cinq ne sont pas éclairés. Les voyageurs les plus chanceux trouvent un siège « vacant », les autres restent debout, s’accrochant comme ils peuvent. Têtes baissées, visages fatigués, moral rudement atteint par les fréquents retards au bout de journées harassantes, les voyageurs livrent leur sort, le temps d’une escale, à la machine vrombissante. Le train déchire les ténèbres de la nuit. Au bout d’une longue minute, les langues se délient. La réserve observée à la gare cède la place à la familiarité. Le silence est rompu par les brouhahas indéfinissables. Comme pour se rattraper d’un retard, tout le monde parle à la fois. De petits groupes se forment, comme dans un quartier. Les gens parlent à haute voix. Des critiques jaillissent de partout. Tout y passe : « Les cheminots, ces sales voleurs », « l’Etat mafieux », « les islamistes, ils bluffent », « l’équipe nationale, est nulle ».

Tous les voyageurs ont la même vision des choses : tout est négatif. L’objectif commun : se défouler et tuer le temps, pour ne pas sombrer dans la mélancolie. Celle-ci n’est pas la seule menace. Les agressions physiques, le vol sont une pratique courante dans ces territoires de l’incertitude. Lorsque les voleurs montent dans le train, ils commencent par une bonne prospection. Comme des requins, ils nagent lentement, tranquillement dans cet aquarium métallique. Au bout, de la prospection, la proie est localisée : un jeune qui parle au téléphone. C’est l’erreur fatale. Les requins sont à deux. Comme de coutume, ils attaqueront rapidement. Le terrain leur est favorable : le bruit des bogies, qui déroute la vigilance, le brouhaha des gens. Soudain les deux requins frappent. L’un met le couteau sous la gorge du jeune et l’autre lui arrache le portable. La scène dure quelques secondes, juste avant d’entrer à la gare d’El-Harrach, où les voleurs se volatilisent. Le jeune homme n’a même pas eu le temps de réaliser ce qui lui arrivait.

Des chiffres et des projets

Pour expliquer les retards, les responsables de la Sntf avancent des chiffres : « Nous avons plus de 100 départs quotidiens aller-retour, entre Alger-Thenia et Alger-Blida. En outre, nous avons quelque 100 000 voyageurs par jour, un nombre difficile à gérer ». Des explications qui ne tiennent pas la route, au vu des retards qui dépassent l’entendement.

Pour remédier à cette situation, les responsables annoncent plusieurs projets tous azimuts dont l’achat de 30 locomotives diesel, pour remplacer celles qui ne sont pas adaptées au transport et qui constituent la raison principale du retard, selon un responsable. Un autre projet annoncé concerne l’entame de l’électrification du réseau Sntf, durant le second semestre de l’année en cours, pour « gagner un quart d’heure » sur le trajet Alger-Thenia. Un projet opérationnel, selon ce responsable, dans deux ans. Pour ce qui est de la sécurité dans les trains, un responsable fera savoir que la Sntf a procédé au recrutement de 1 000 agents de sécurité dont 350 pour les trains de banlieue. Seulement, avec la centaine de départs chaque jour, il résulte que seulement trois agents sont affectés par train, ce qui est insuffisant.

Tout le monde se renvoie la balle

Dilemme « Comment voulez-vous intervenir à mains nues, face à des jeunes armés de couteaux ? », s’interroge un agent de sécurité, outré par les reproches des voyageurs.

« Nous n’avons ni les moyens de mettre fin aux agissements des voleurs ni l’autorité suffisante pour les combattre », ajoute un autre. « Nous sommes la cerise sur le gâteau », plaisante un autre agent, qui veut détendre un peu l’atmosphère. Son collègue conseille la « prudence face aux voyous », car « ils n’ont rien à perdre ». Les agents de sécurité rejettent les accusations des voyageurs qui leur reprochent leur passivité face aux voleurs. « La sécurité est l’affaire de tous. » Un jeune agent, lui, incrimine les voyageurs. « Les voyageurs n’interviennent jamais lorsque l’un d’eux se fait agresser. Ils ne nous aident pas dans notre tâche. Cette situation est décourageante. » « La dernière fois, des jeunes avait agressé notre collègue ils étaient cinq. Personne n’est intervenu », déplore ce jeune homme. Manifestement, il n’y a aucune solidarité. Ce qui a abouti à une désunion entre les principaux concernés par le problème, les agents de sécurité et les voyageurs, chacun tirant la couverture de son côté. « Comment voulez-vous que j’intervienne pour aider quelqu’un, tout en sachant que ces mêmes voyous reviendront le lendemain pour me régler mon compte ? », s’interroge un jeune homme.

« Ce qui fait mal, c’est que ces bandes sont connues de tout le monde. Ces pseudo-agents de sécurité les connaissent et pourtant ils ne font rien pour les chasser du train. Au contraire, ils sympathisent avec eux », ajoute ce jeune homme. Un avis partagé par de nombreux voyageurs qui feront remarquer que « les voleurs montent et descendent du train, en toute quiétude ».

« Des agents de sécurité couvrent les voleurs, car ces derniers leur donnent une tchipa », déplore un agent. « Comment expliquer le nombre impressionnant de voleurs qui circulent impunément dans les trains ? Lorsqu’un agent de sécurité reconnaît un voleur, il change de wagon. Pourtant, il sait que le voleur n’est pas ici par hasard. Il a dû repérer une proie. Donc, l’agent peut éviter le vol, en expulsant le voleur et en avertissant le voyageur. Mais il préfère laisser faire, précise-t-il, scandalisé par le comportement de ses collègues. Heureusement qu’ils ne sont pas tous pareils. ».

Formation en partenariat avec la France

La Société nationale des transports ferroviaires (Sntf) a entamé, récemment, avec le concours des Chemins de fer français, un cycle de formation spécialisée dans la sécurité de la circulation ferroviaire au profit de plusieurs centaines de ses agents, indique un communiqué de cette entreprise publique. Les cours, qui se déroulent à l’Institut supérieur de formation ferroviaire (Isff) de Rouiba, concernent tous les intervenants dans la sécurité de la circulation et consistent à former vingt formateurs, cent encadreurs de proximité et trois cents agents opérationnels, précise le communiqué sans indiquer la durée de ce cycle.

Selon la même source, la coopération des experts français renforcera l’efficacité de la formation et « permettra un transfert de compétences dans la conception et la rédaction des cahiers des charges de formation, dans la réponse pédagogique ainsi que dans la conduite et l’évaluation d’une formation ». La formation de 400 agents et cadres vise, affirme la Sntf, « l’amélioration de leurs performances pour l’exploitation et la maîtrise parfaite des installations de sécurité et contribuera au transport des voyageurs dans les meilleures conditions de sécurité celle-ci étant la priorité absolue de la société ». Quant à la vingtaine de formateurs à former, la Sntf veut en faire le moyen d’« asseoir une véritable tradition de formation efficace, évolutive et adaptée à ses installations ».

Par Ali Bouchekal, infosoir.com