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De l'attachement à l'addiction

Article publié le 23 février 2007

De l'attachement à l'addiction

La Seconde Guerre mondiale laissant derrière elle de nombreuses familles endeuillées, la souffrance causée par la perte devint alors un sujet de préoccupation majeur pour certains chercheurs et thérapeutes. C’est le psychanalyste René Spitz (1887-1974) qui, observant des enfants placés en institution, mit en évidence le syndrome d’hospitalisme et la dépression anaclitique (1945). Il compara le développement psychoaffectif d’enfants nés de mères emprisonnées mais mis quotidiennement en contact avec elles et celui d’enfants placés en orphelinat dès leur naissance, recevant des soins sans chaleur réelle humaine. Les premiers vivaient mieux la séparation temporaire d’avec leurs mères, tandis que les seconds, privés de toute relation affective significative, sombraient dans un état dépressif. Auparavant l’éthologue Konrad Lorentz (1903-1989) avait déterminé la notion d’empreinte laissée dans la mémoire d’un sujet par la première personne rencontrée dans son existence. C’est le psychiatre John Bowlby (1907-1990) qui développa un quart de siècle plus tard la théorie de l’attachement (1969), soulignant le caractère primaire de ce besoin. Depuis, de nombreux travaux ont enrichi le concept, et le sujet demeure intéressant pour les cliniciens et les chercheurs.

Formé par la psychanalyste Mélanie Klein (1882-1960), inspiré par les observations de René Spitz sur les enfants et les travaux de Konrad Lorentz et Harry Harlow (1905-1981) sur les animaux, John Bowlby a mis en évidence la nécessité pour le nourrisson d’une relation forte avec une figure maternelle significative et opérante. Cette dernière n’étant pas forcément la mère biologique, mais toute personne dispensant des soins, assurant une proximité physique et une relation chaleureuse. Un peu en porte-à-faux avec les psychanalystes estimant que la relation primordiale mère-enfant se joue autour de l’alimentation, il estimait que le besoin primordial du petit enfant était d’établir un lien stable et sécurisant avec une figure maternelle répondant à ses manques. Pour lui, attachement ne signifie pas dépendance maladive, mais sécurité favorisant la croissance.

Quinze ans avant de formaliser sa théorie de l’attachement, John Bowlby mettait déjà en évidence les liens entre séparations précoces prolongées et futurs comportements délinquants et agressifs (1954). A partir d’études menées sur divers échantillons psychiatriques, il constata que la personnalité psychopathique et la dépression, accompagnées de délinquance persistante et d’une propension au suicide, étaient associés à de fréquentes ruptures de liens affectifs durant l’enfance (1969). Ainsi, des carences subies durant la petite enfance ont des conséquences dramatiques à l’âge adulte.

Selon John Bowlby, l’attachement procède du besoin instinctif de proximité, proximité engendrant un sentiment de réconfort permettant la croissance. Ce qui est fondamentalement différent de la dépendance entravant toute évolution. L’attachement consiste à créer des liens avec des personnes et des buts. Créer un lien avec un but précis permet de développer des compétences particulières, qui favorisent le développement de l’estime de soi. C’est ainsi que le sujet apprend à « s’aimer ». Créer des liens avec des personnes développe le sentiment d’appartenance qui favorise l’intimité. C’est ainsi que le sujet apprend à « aimer et être aimé ». Tout attachement a inévitablement une fin marquée par la séparation engendrant naturellement un processus de deuil. Le départ temporaire ou définitif d’une personne investie, la possible déception causée par une personne significative, l’atteinte d’un but ou l’impossibilité de sa réalisation, sont autant de séparations réelles et/ou symboliques auxquelles le processus de deuil permet de faire face, et autorise la création de nouveaux liens.

Quand la séparation est vécue de façon abandonnique, le sujet éprouve alors par peur d’un nouvel abandon des difficultés à créer des liens et à renouveler l’attachement. Il y a ainsi rupture du cycle « attachement - création de liens - séparation - processus de deuil ». C’est là que se produit le détachement engendrant un fort sentiment de solitude. Ce vécu douloureux, renvoyant sans cesse à des traumatismes de la petite enfance, se manifeste sous diverses formes. La plus connue est la dépression où se rejoue à l’infini la dépression anaclitique du nourrisson. Mais il y a aussi les maladies psychosomatiques et les multiples somatisations dont le sujet est à la fois victime inconsciemment consentante et acteur à son corps défendant. Il n’y a là en aucun cas simulation, manipulation ou mystification. La souffrance psychique s’exprime à travers le corps, tout comme dans les syndromes de conversion des hystériques ou les syndromes catatoniques des schizophrènes. Moins évidente, la violence envers autrui et/ou soi-même est aussi une manifestation du vécu douloureux procédant du détachement. Et bien sûr, dans le même ordre d’idées, toutes les conduites addictives contribuent par leurs schémas autodestructeurs à une violence socialement plus acceptable que le suicide ou les voies de faits.

Il serait sincèrement naïf ou perfidement démagogique de limiter les conduites addictives à la prise de stupéfiants. Elles englobent très largement toute pratique ou consommation de substances s’inscrivant dans une dynamique de dépendance. La consommation immodérée de boissons alcoolisées ou de nourriture ou de tabac peuvent être des addictions au même titre que la pratique pathologique du jeu, la sexualité compulsive, l’intégrisme religieux ou politique ou philosophique, le culte de la pensée unique, les néos de tous types (nazisme, fascisme, hygiénisme..) ne se contentant pas de cultiver la nostalgie. Les exemples sont légion, mais ils ramènent tous et invariablement le sujet à une relation de dépendance avec une pratique et/ou une substance lui apportant une fausse assurance. Le sentiment de sécurité est dans ce cas un leurre et une entrave à la croissance. L’estime de soi en est totalement perturbée, allant de l’autodépréciation sinistre à la mégalomanie flamboyante. Celui qui se flagelle constamment ne va pas mieux dans sa tête que celui qui n’a jamais tort. Les deux attitudes expriment différemment la même faille de l’estime de soi qu’elles révèlent.

Aujourd’hui le marché de l’addiction n’est plus seulement porteur pour les fournisseurs, mais aussi pour les thérapeutes de tous ordres, les fabricants de produits de substitution, et bien sûr les ligues de vertu. Dans une société où la pensée unique et le politiquement correct prennent le pas sur l’autodétermination et la liberté d’expression, la volonté de laver plus blanc que blanc aboutira immanquablement à considérer l’addict comme un déviant à rééduquer, plutôt que de voir premièrement en lui un être en souffrance ayant surtout besoin de réassurance. L’emprise croissante des ligues de vertu sur la société et le lobbying des laboratoires pharmaceutiques compliquent singulièrement le problème. Les premières sont addicts au néohygiénisme et les seconds complètement accros au billet vert ! S’il est vrai que seuls des toxicomanes peuvent comprendre les toxicomanes, encore faut-il qu’ils partagent ou aient sans culpabilité projective partagé la même toxicomanie ! Que penser d’une clinique psychiatrique où les sadiques soigneraient les masochistes, les satyres s’occuperaient des nymphomanes et les maniaques traiteraient les dépressifs ? Ce serait assurément la cour des miracles où les miracles n’auraient point cours !

Il serait grand temps de nous pencher sérieusement sur les travaux de John Bowlby afin de repenser nos liens sociaux en termes d’attachement-détachement et non d’inclusion-exclusion comme veulent nous y forcer les promoteurs du communautarisme commune-au-taire et les ligues de vertu vers-tueuses...

Ouvrages de John Bowlby :
- Attachement et Perte (1969)
- Séparation : Anxiété et Colère (1974)
- Perte : Tristesse et Dépression (1980)

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