Un malaise ressenti des deux côtés de l’Atlantique

The people united can never be defeated!Ecrit par: Matthew Read

Actuellement, les Européens mettent en lumière les nombreux dangers que recellent les CETA et TTIP, mais que se passe-t-il de l’autre côté de l’Atlantique? Est-ce que les Américains et les Canadiens sont en train d’aiguiser fourches et couteaux impatients de partir à l’assaut des marchés européens?

Les Nord-Américains ont appris de précieuses leçons de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA). L’ALENA fut l’un des premiers traités dans la nouvelle mouvance des accords d’échange néo-libéraux et plus de 20 ans plus tard, de nombreux Américains et Canadiens en subissent encore les conséquences inatendues.

Le rôle que l’ALENA joua dans la destruction d’emplois nord-américains en fut sans doute l’effet le plus dévastateur. Des milliers d’emplois canadiens furent sous-traités, d’abord aux Etats-Unis, ensuite au Mexique, dans une course au pays offrant les protections sociales des travailleurs les plus faibles.

Les emplois ne furent pas les seuls à immigrer au sud, le maïs subsidié suivit rapidement et eu un impact désastreux sur les petites fermes mexicaines. Par la faute de l’ALENA, des millions de personnes perdirent leurs emplois et maisons et pour la plupart des Nord-Américains il est hors de question de revivre ça.

L’ALENA fut entériné sous le couvert du marketing des sociétés et de fausses promesses, la même chose est en train de se passer pour les TTIP et CETA. Nombres d’Américains estiment ne pas en savoir assez sur le TTIP pour se décider à le soutenir ou non . Ceci est préoccupant car pour se défendre face aux techniques frauduleuses des multinationales, il faut que tout le monde comprenne les enjeux de ses nouveaux accords commerciaux.

Alors que les médias parlent peu ou très peu des TTIP et CETA en Amérique du Nord, un autre accord commercial est devenu un sujet de discorde: le TPP, Accord de Partenariat Trans-Pacifique. Partageant de nombreux aspects communs avec les accords commerciaux européens, le TPP est un autre de ces traités contestables et secrets auquel de nombreux citoyens du Pacific sont opposés. Le TPP a été signé par 12 pays du Pacific plus tôt dans l’année mais n’est pas encore entré en vigueur. Les militants nord-américains s’acharnent imperturbablement à arrêter le TPP avant qu’il n’entre en vigueur, c’est une des raisons pour lesquelles ils sont plus discrets que les Européens sur le front des campagnes anti-TTIP et anti-CETA. Les Nord-Américains sont en train de livrer deux batailles en même temps.

Si les traités trans-atlantiques TTIP et CETA sont ratifiés, l’action gouvernementale contre le réchauffement climatique, déjà très limitée aux Etats-Unis et au Canada n’en sera que plus menacée. L’année dernière, le Président Obama opposa son véto à un projet de pipeline canadien de la société Transcanada qui aurait traversé les Etats-Unis. Obama avança des raisons environnementales pour justifier son refus et maintenant, la société poursuit en justice le contribuable américain pour un dommage de 15 milliards de dollars et il semblerait qu’elle soit en train de gagner .

Si des sociétés à l’instar de Transcanada sont autorisées à poursuivre en justice les gouvernements nationaux lorsqu’ils essaient de protéger l’environnement, l’action législative contre le réchauffement climatique va s’endiguer, voire s’arrêter de crainte des procès. Le système d’arbitrage privé investisseur-état (ISDS/ICS) est un réel danger pour ces combats déjà très affaiblis.

Au nord des Etats-Unis, le Canada va également souffrir de son propre accord commercial, le CETA. Ce dernier va modifier certaines lois de propriété intellectuelle et permettre ainsi aux grandes firmes pharmaceutiques d’allonger la durée de protection de leurs droits sur certains médicaments. Ce qui aura pour résultat l’augmentation des prix des médicaments dans un pays déjà deuxième plus cher au monde en matière de soins de santé. On estime que le coût des produits pharmaceutiques va exploser de 850 millions de dollars à 1.645 milliards de dollars par an .

Une des conséquences les plus terrifiantes du TTIP pourrait être l’enrayement des régulations financières prises suite au crash de 2008

La loi Frank-Dodds est l’une des seules mesures de protection que les Démocrates américains sont parvenus à imposer après la désastreuse crise économique de 2008. La loi tente de rompre avec la mentalité «trop gros pour faire faillite » (too big to fail) et de mettre en place un système bancaire plus transparent.

Un article des Institutions européennes évoque d’ailleurs le fait que, durant les négociations relatives au TTIP, «La Maison Blanche paraissait peu encline à l’idée de mettre la question du secteur financier sur la table» . Si cette loi est modifiée ou rendue inapplicable, l’industrie américaine du secteur bancaire aura la voie libre pour accomplir à nouveau les actes honteux qui menèrent à la récession de 2008. Cette question est d’intérêt mondial et le sort de la loi Frank-Dodds pourrait affecter des millions de vies.

Sans aucun doute, les Européens souffriront des conséquences des TTIP et CETA et c’est pour cette raison que 250 000 d’entre eux défilèrent dans les rues de Berlin l’année passée. Si le débat de l’autre côté de l’Atlantique est quasi inaudible, ce n’est pas que les Nord-Américains adorent le TTIP et le CETA mais parce que la grande majorité d’entre eux ne sont pas conscients des énormités qu’ils cachent.

Les médias appartenant aux entreprises détournent l’opinion publique de ces accords commerciaux car leur meilleure arme est l’ignorance de la société. S’ils continuent à débattre de la législation à porte clause et maintiennent les citoyens dans l’ignorance, que peut-on espérer pour la transparence et la démocratie de demain?

Plutôt que d’assimiler tous les Nord-Américains à des vautours et des fayots au service des entreprises, nous devrions partager opinions et valeurs avec les citoyens des deux côtés de l’Atlantique et ensemble, nous pourrons vaincre le TTIP et le CETA. La bataille n’est pas entre l’Union Européenne et les Etats-Unis mais entre les citoyens et les entreprises.

Graphique: Luminita Dejeu