TU CRITIQUES KABILA,TU DISPARAIS A KINSHASA...

BRAECKMAN,COLETTE

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Mardi 15 juillet 1997

Tu critiques Kabila,

tu disparais à Kinshasa...

Anciens réfugiés en Belgique, deux amis politiques de Kabila ont disparu à Kinshasa. Nous avons retrouvé leur trace. Du côté des services de sécurité.

KINSHASA

De notre envoyée spéciale

Ni vus ni connus... Depuis le 1er juillet, deux personnalités de l'opposition congolaise, Ismaïl Tutw'emoto et Dunia Luminangulu, respectivement président national et président fédéral pour l'Europe du Mouvement national congolais-Lumumba (M.N.C. - Lumumba Cohcolico), sont perdues de vue à Kinshasa. Il ne s'agit pas de n'importe qui : les deux hommes, depuis longtemps réfugiés politiques en Belgique, se sont toujours réclamés de l'idéologie et du souvenir de Patrice Lumumba; ils sont de vieux compagnons de route du président Kabila et, dès le déclenchement de la lutte armée, ils ont rejoint les combattants via l'Ouganda, effectuant tout un périple dans le Haut-Zaïre du côté de Bunia.

Rentrés en Belgique où se trouve leur famille, MM. Tutw'emoto et Dunia ont multiplié les activités de soutien à l'Alliance, avant de repartir, vers la mi-juin, pour Kinshasa, dans l'intention de retrouver leurs anciens compagnons de lutte. Le retour au pays fut interrompu, le 1er juillet au matin, par des militaires qui emmenèrent les deux hommes vers une destination inconnue.

Depuis lors, le sort des deux militants lumumbistes est un secret d'Etat à Kinshasa : lorsque nous interrogeons des ministres du gouvernement Kabila, ils affirment tout ignorer de leur sort ou écartent la question comme gênante et inopportune : Ils doivent traîner quelque part, je ne veux pas parler de cela, s'exclame le ministre de la Reconstruction M'Baya. Quant à la force de police récemment créée, elle affirme ne rien savoir du sort des deux hommes...

Devant ce mur de silence, alors qu'en Belgique l'inquiétude augmentait, nous avons décidé de nous enquérir auprès de l'ANR, l'Agence national de renseignements. A l'ANR, nous avons été aimablement accueillie par le coordinateur principal, Clément Kibinda, lui aussi un ancien compagnon de route du président Kabila, qu'il connaît, dit-il, depuis les maquis de 1965. Cette fois, nous touchons au but : M. Kibinda assure que les deux hommes sont avec lui et que le président Kabila connaît très bien l'affaire...

M. Kibinda, qui est, lui, un ancien d'Allemagne, refusera cependant d'en dire plus, confirmant cependant que les deux Belgicains (surnom donné aux membres de la diaspora revenus de Belgique) se trouvent à la disposition de l'ANR.

Bien plus tard, au fil des conversations kinoises, nous apprendrons que les deux militants lumumbistes ont été arrêtés le 1er juillet, sur ordre du chef de l'Etat lui-même, après que, le 30 juin, jour anniversaire de l'indépendance, il lui eurent fait part, avec véhémence peut-être, de certaines critiques.

DES REPROCHES MALVENUS

MM. Tutw'emoto et Dunia, comme d'autres lumumbistes d'ailleurs, adressent deux reproches au président Kabila : nommer un trop grand nombre de ses amis ou de membres de sa famille à des postes clés, et demeurer trop dépendant de certains officiers tutsis, globalement qualifiés de Rwandais. D'aucuns regrettent également la mise à l'écart de l'opposition intérieure, dont Etienne Tshisekedi, et s'interrogent toujours sur les circonstances de la mort, en janvier dernier, du commandant André Kisasse Ngandu, qui était à l'époque l'égal de M. Kabila, alors porte-parole de l'Alliance.

Toujours est-il que, selon nos informations, M. Kabila aurait très mal pris les remarques de ses anciens compagnons de lutte à tel point que, dès le lendemain, des militaires sont venus les arrêter. A l'heure actuelle, les familles craignent le pire : les deux hommes auraient été torturés, ne seraient pas nourris, et risquent de disparaître !

De telles informations inquiètent d'autant plus la diaspora congolaise qu'un autre de ses membres, rentré au pays, est, lui, mort dans des circonstances mystérieuses : Dominique Muambi travaillait au sein de la Commission logement chargée de réquisitionner maisons de l'Etat ou demeures des mouvanciers (partisans du président Mobutu). Alors qu'il circulait en soirée à bord d'une voiture réquisitionnée par les nouvelles autorités et qui appartenait à la famille de M. Bisengimana (un ancien réfugié rwandais aujourd'hui décédé et qui fut le plus célèbre des chefs de cabinet du président Mobutu), M. Muambi fut stoppé par de mystérieux agresseurs qui le poursuivirent jusque dans sa chambre de l'hôtel Lolo la Crevette, et l'abattirent à bout portant.

Dans Kin la rumeur, nul ne croit que le Belgicain a été victime de simples malandrins : il avait eu l'imprudence de s'attaquer à des intérêts haut placés, anciens ou récents...

COLETTE BRAECKMAN