Ils vécurent ensemble douze ans, puis se sépa­rèrent. Parce que Jane n'en pouvait plus des démons de Serge. Parce qu'il ne suppor­tait pas l'infi­dé­lité. Pour­tant les coeurs de battre l'un pour l'autre n'ont jamais cessé.

Quand Jane claqua la porte du 5 bis, rue de Verneuil, à Paris, le cœur de Serge fit crac. L’été touchait à sa fin en cette mi-septembre 1980. L’air s’était refroidi, comme les senti­ments de la petite Anglaise pour son pygma­lion. Jane se faisait la malle avec Kate et Char­lotte, pour rejoindre un beau gosse, le cinéaste Jacques Doillon, plus jeune, plus gai, plus lumi­neux que l’homme à la tête de chou. La rupture fut rapide, brutale, radi­cale. Peu de mots furent échan­gés entre les anciens amants, à quoi bon… Jane voulait faire vite.

Elle fuyait Serge, elle avait peur qu’il la rattrape comme par le passé par une de ces pirouettes verbales, son piège à minettes. Elle demanda aux filles de faire leurs valises, de ne prendre que l’es­sen­tiel. Elle, elle, avait jeté deux ou trois bricoles dans son panier en osier. Kate, l’aî­née, hésita à lais­ser Serge seul. Elle crai­gnait qu’il commette l’ir­ré­pa­rable. L’au­teur-compo­si­teur était assis dans la cuisine, désar­ti­culé, abattu. Elle alla lui parler et se souvient toute sa vie de son visage qui ressem­blait à celui d’un môme ayant commis une énorme bêtise. Gains­bourg enten­dit des pas sur le palier, une voiture qui s’éloigne, puis le silence sombre et obsé­dant. Dans cette maison, vide désor­mais des rires et des cris de ses gonzesses, Serge s’ef­fondra. Son cerveau allait écla­ter, son âme explo­ser. L’exis­tence lui jouait un sacré tour. Il plon­gea dans l’al­cool, sa maîtresse. Avec elle, c’était à la vie, à la mort. Ils se connais­saient par cœur et ne se trom­pe­raient jamais.

Jane, elle, s’était reti­rée de ce lugubre trio. Elle s’était lassée de passer ses nuits à traî­ner sur les divans des boîtes de nuit, triste poupée de cire au bras de son alcoo­lique de compa­gnon. « C’est vrai qu’à la fin ça tour­nait en rond, c’était l’Ely­sée-Mati­gnon tous les soirs avec les mêmes spec­ta­teurs, expliqua Kate au biographe de Serge, Gilles Verlant*. Jane n’en pouvait plus, elle avait l’im­pres­sion d’étouf­fer ». La chan­teuse ne suppor­tait plus d’écou­ter les bribes de phrases de Serge, de plus en plus inau­dibles. Gains­barre le triste sire avait tué son double, Gains­bourg le magni­fique. Entre les deux anciens amants, le dialogue de l’amour s’était mué en un mono­logue de soûlard. Pathé­tique. Ils rentraient au petit matin se coucher quand les petites prenaient le chemin de l’école. Serge cuvait, Jane réflé­chis­sait. L’amour physique s’était étiolé, leurs corps ne jouaient plus la même mélo­die des sens. Jane ne dormait plus, cher­chant une solu­tion à ce carnage. Elle était deve­nue l’ombre d’elle-même. Tout ça n’avait plus de sens.

« Je suis prise de vertige quand les choses vont mal, parce que c’est très diffi­cile de ne pas les faire aller encore plus mal, confiait-elle. Quand vous sentez que vous commen­cez à perdre, vous perdez encore plus ». Jane s’ins­talla d’abord à l’hô­tel Hilton Suffren, dans le 15e arron­dis­se­ment. Elle refusa de s’ex­pri­mer sur la sépa­ra­tion, son avocat lui conseilla de ne faire aucune décla­ra­tion. A ses proches, elle s’avouait malheu­reuse. Serge, lui, vivait son premier grand chagrin d’amour, à cinquante-deux ans. « Je sais qu’il est aussi violent et même plus que si j’avais vingt ans ». Sans Jane, il était perdu, mais il ne lui pardon­nait pas d’avoir été infi­dèle. L’amour ne méri­tait aucune médio­crité, ni trahi­son.

Une tenta­tive de récon­ci­lia­tion fut quand même menée par Cathe­rine Deneuve, qui persuada la chan­teuse de reve­nir vivre avec Serge. Pendant une semaine, ils essayèrent de recol­ler les morceaux, en vain… Serge se réfu­gia trois jours chez Gérard Depar­dieu et épon­gea sa peine dans l’al­cool. Il écouta de la musique, refusa les mains tendues, s’en­ferma dans sa soli­tude, les notes et le blues. Il s’en­fonça (le coma éthy­lique était devenu son meilleur allié) et remonta douce­ment à la surface, il n’avait pas le choix : pour Char­lotte, pour Kate, pour ses deux aînés, Nata­cha et Paul, il devait survivre. Il convoqua la presse et déclara, émou­vant et sincère : « J’ai cru toucher le fond de la piscine et je me suis aperçu qu’il y avait un double fond. Je me retrouve tout seul dans cette garçon­nière de milliar­daire (…) Ce qu’il me faudrait : une fille de platine. J’ai eu une fille en or mais elle s’est tirée ».

En gent­le­men du senti­ment, il décida alors de prendre la respon­sa­bi­lité de la sépa­ra­tion. D’as­su­mer tous les torts. « Jane est partie par ma faute, je faisais trop d’abus. Je rentrais complè­te­ment pété, je lui tapais dessus ». Il comprit qu’il aimait cette fille en or et qui l’ai­me­rait toute sa vie. Désor­mais, il remplaça les insultes, les coups par le respect et la tendres­se… « Une affec­tion éter­nelle », préci­sait-il. Il endossa le costume d’ange gardien. De loin ou de près, il surveillait et gérait la vie de Jane. Il l’ins­talla pour un temps dans la maison de son ami Jacques Séguéla, villa Mont­mo­rency, à Paris. Il ne voulait que le meilleur pour son ex. "Il nous a pardonné à toutes de l’avoir quitté, expliqua Jane, aussi bien à Bardot qu’à moi. Il était très fidèle, il avait décidé de faire une image de nous que personne ne touche­rait, une sorte de perfec­tion, qu’on ne parle­rait pas de trahi­son, non, c’était convenu, ça lui était insup­por­table, que moi j’avais sauvé ma peau et qu’il n’y avait pas de déshon­neur à cela, il se dispu­tait avec les personnes qui disaient du mal de moi, c’est très rare quand même, de ne pas vouloir ternir l’image de l’autre".

Quand Jane décida de vivre avec Jacques Doillon, il donna son aval, refusa que Char­lotte dise du mal du nouveau compa­gnon de sa mère. En se débar­ras­sant du quoti­dien, leur rela­tion s’était éclair­cie, simpli­fiée même. Ils étaient ensemble, sans être ensemble. Para­doxe de l’émo­tion. Ils s’ai­maient, mais à distance. Des complices pudiques. Deux ans après leur rupture, Jane accou­cha de Lou. Elle demanda à Serge d’être le parrain de sa petite dernière. Il accepta immé­dia­te­ment et couvrit Lou de cadeaux. « C’est Serge que j’ai appelé en premier de l’hô­pi­tal, se souvient Jane. Il a envoyé des jolies petites bottines rouges (…) des poupées, des étagères roses sur lesquelles il avait marqué au feutre “De la part de Papa 2”. C’était quelqu’un qui avait décidé de ne pas être absent. Quand je pense que j’au­rais pu le perdre… »

Plus jamais ils ne se quit­tèrent, toujours là l’un pour l’autre, le désir en moins. Ils conti­nuèrent de travailler ensemble, Serge offrit à Jane le magni­fique album Baby Alone in Baby­lone, en 1984, qui la consa­cra chan­teuse et pour lequel elle reçut le grand prix de l’Aca­dé­mie Charles-Cros. Il y mit en scène leurs senti­ments sans fausse pudeur. Dans le studio d’en­re­gis­tre­ment, Jane vit souvent Serge pleu­rer comme si il lui deman­dait pardon, encore et toujours. Dans la bouche de Jane, ses mots à lui comme autant de décla­ra­tions : « Con c’est con ces consé­quences / C’est con qu’on se quitte / Faut se rendre à l’évi­dence / Ce soir on est quit­te… ». Ou encore : « Fuir le bonheur de peur qu’il se sauve… » et : « Pardonne-moi petite Jane / Je m’en vais je veux refaire ma vie ». Par textes et voix inter­po­sés, ils se sont expliqué, murmuré leurs émotions, d’ac­cord sur l’es­sen­tiel : leur amour à jamais éter­nel. Ils ne revien­dront plus sur le passé, étouf­fe­ront le fameux « Et si seule­ment si… », porte ouverte sur des retrou­vailles impos­sibles. A l’époque, Jane confiait : « L’ami­tié que j’ai avec Serge aujourd’­hui est un soula­ge­ment parce qu’en le quit­tant j’ai perdu quelque chose d’es­sen­tiel. (…) Il a été toute une vie pour moi et il le restera à jamais ». Serge vécut avec Bambou, Jane avec d’autres hommes, mais leurs liens ne se brisèrent jamais. Deux mois après la mort de Serge, le 13 mai 1991, sur la scène du Casino de Paris, elle reprit Je suis venue te dire que je m’en vais. Le public était en larmes, Jane au bord du préci­pi­ce… Depuis, dans l’ima­gi­naire collec­tif, Jane est deve­nue la veuve de Serge. De concert en concert, de reprise en reprise, elle a rendu Serge immor­tel. Un amour sans feinte. 

 * Gains­bourg (éd. Albin Michel).

Crédits photos : Fondation Gilles CARON

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2016-03-01T14:00:00+0000
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