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Essai d’interprétation du statut économique du Megaceroides algericus durant l’Ibéromaurusien dans le massif des Babors (Algérie)

Attempt to interpret the economic status of Megaceroides algericus during the Iberomaurusian in Babors mountains (Algeria)
Souhila Merzoug
p. 3

Résumés

Le Cervidé mégacérin (Megaceroides algericus) est une espèce éteinte de cervidés présente au Maghreb dès le début du Pléistocène supérieur. Fréquent dans les sites du Paléolithique moyen et supérieur, sa présence se raréfie d’un point de vue quantitatif dans les sites ibéromaurusiens (Paléolithique supérieur final). L’étude archéozoologique réalisée sur les assemblages fauniques des deux sites de Tamar Hat et de Taza 1 (région des Babors) confirme cette observation et démontre que, malgré cette insuffisance numérique en termes de nombre de restes déterminés (NRD) et de nombre minimum d’individus (NMI), cette espèce devait avoir un statut particulier chez les populations ibéromaurusiennes de la région des Babors, en tant que produit consommé, transformé et utilisé.

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Texte intégral

Je tiens à remercier le professeur Djillali Hadjouis, spécialiste en paléontologie des Vertébrés d’Afrique du Nord et chercheur associé au CNRPAH, pour la relecture instructive de ce manuscrit. Je remercie également Carole Vercoutère, maître de conférences au MNHN de Paris, pour ces conseils et orientations en matière de technologie osseuse. Mes remerciements vont aussi à Mohamed Medig, maître de conférences à l’Institut d’Archéologie d’Alger, qui m’a confié l’étude du matériel osseux de Taza 1.

1 - Introduction

1L’analyse archéozoologique des vestiges osseux provenant de deux importants sites ibéromaurusiens de la région des Babors (Tamar Hat et Taza 1) a permis de reconstituer une part importante des modes de vie de ces populations préhistoriques. L’un des principaux résultats de cette étude étant que les Ibéromaurusiens des Babors opéraient une chasse sélective vers un gibier localement abondant, le mouflon à manchettes (Ammotragus lervia), qui subissait une exploitation poussée et complète (Merzoug, 2005, 2011 ; Merzoug & Sari, 2008).

2Nos travaux antérieurs ont déjà démontré le rapport qu’entretenaient ces populations préhistoriques avec les animaux qui peuplaient leur environnement et leur territoire. Cependant, pour mieux cerner la nature de ce rapport, il est essentiel de connaître le statut des espèces animales autres que le gibier principal de ces populations. Dans ce travail, c’est le cas particulier du mégacérin d’Algérie "Megaceroides algericus (Lydekker, 1890) " qui sera abordé. Cette espèce d’origine eurasiatique, plus connue sous le nom de cerf à joues épaisses, a fait l’objet de plusieurs diagnoses et révisions taxinomiques dont une étude critique et détaillée a été proposée par Hadjouis (1990 ; 2003) et complétée par Abbazi (2004). Megaceroides algericus se caractérise par une hyperossification de l’ensemble du crâne, la face est courte, le front est large et aplati, les trous sus-orbitaires sont grands et se positionnent dans une longue et profonde dépression. L’os mandibulaire est fortement épais (pachyostosé). Les dents sont larges et brachyodontes et la P4 inférieure est molarisée. Les bois présentent un début de palmure dès l’andouiller 3. Le pédicule osseux est épais, haut et divergent. La meule est circulaire. Le merrain présente une section ovalaire avant l’andouiller inférieur, puis s’aplatit transversalement. La taille de ce cervidé serait intermédiaire entre celle du daim (Dama dama) et celle du cerf commun (Cervus elaphus) (Hadjouis, 1990).

3La présence de Megaceroides algericus est attestée au Maghreb dès le début du Pléistocène supérieur, jusqu’à la fin de ce dernier (Hadjouis, 2003 ; Geraads, 2010). Ces restes se rencontrent dans de nombreux sites du nord de l’Algérie et du Maroc (tab. 1). Toutefois, un maxillaire attribué à ce cervidé mégacérin a été signalé en Lybie (Cyrénaïque) par Hadjouis (1990).

Tab. 1 : Principaux sites ayant livré des restes de Megaceroides algericus.

Tab. 1 : Principaux sites ayant livré des restes de Megaceroides algericus.

[(?) : Présence supposée par Vaufrey, 1955]

2 - Présentation du massif des Babors et des sites étudiés

4Le massif des Babors est un ensemble morpho-structural de montagnes appartenant au domaine tellien et résultant de mouvements tectono-sédimentaires appliqués à une couverture méso-cénozoïque (Obert, 1981). Il se localise dans la région littorale nord-est algérienne, bordé à l'ouest par la vallée de la Soummam et à l’est par la région de Jijel. Il s’étend depuis les hauts plateaux de la région de Sétif, au sud, jusqu’à la corniche et le golfe de Bejaïa, au nord où il longe le bord de mer formant les falaises des Beni Ségoual qui abritent un nombre important de grottes et d’abris-sous-roche (Arambourg et al., 1934 ; Hachi, 1996, 2003).

5Les deux sites étudiés appartiennent à cet ensemble de falaises. Il s’agit de l’abri-sous-roche de Tamar Hat et de la grotte de Taza 1 (fig. 1). Ces deux sites ont été découverts par le géologue Ehrmann (1920) lors des travaux d’aménagement de la route des falaises. Depuis, ils ont fait l’objet de plusieurs fouilles et sondages (Arambourg et al., 1934 ; Balout, 1955 ; Brahimi, 1969 ; Mammeri & Brahimi, 1970 ; Saxon et al., 1974, 1975 ; Medig et al., 1996, 2005).

6En ce qui concerne Tamar Hat, les fouilles menées par Saxon en 1973 ont permis de décrire une stratigraphie comprenant 85 couches réparties en 6 zones stratigraphiques appartenant toutes à l’Ibéromaurusien, culture du Paléolithique supérieur final (Saxon et al., 1974 ; Saxon, 1975). Saxon a obtenu cinq dates radiocarbones à partir d’échantillons de charbon de bois (tab. 2).

7La grotte de Taza 1 présente un remplissage comprenant trois niveaux stratigraphiques : un niveau supérieur, ibéromaurusien, qui est subdivisé en deux couches (B et C) et un niveau inférieur rattaché au Paléolithique moyen. Ces deux niveaux sont séparés par un niveau intermédiaire de cailloutis (Medig et al., 1991, 2005). Trois datations ont été obtenues à partir de restes osseux et de charbons (tab. 2).

Fig. 1 : Localisation des sites étudiés (modifiée d’après Obert, 1981)

Fig. 1 : Localisation des sites étudiés (modifiée d’après Obert, 1981)

Tab. 2 : Dates radiocarbones des sites de Tamar Hat et de Taza 1.

Tab. 2 : Dates radiocarbones des sites de Tamar Hat et de Taza 1.

(Dates calibrées par le logiciel Calib 6.0.1, 2 sigma de confiance).

3 - Matériel et méthode

8Le matériel attribué à Megaceroides algericus se compose de 23 pièces osseuses et dentaires. A Taza 1, neuf restes ont été trouvés dans la couche B du niveau supérieur. Il s’agit essentiellement de restes post-crâniens (phalanges, talus, capitatotrapézoïde), tandis que les restes crâniens comprennent deux dents isolées et un fragment d’hémi-mandibule. Ces restes sont entreposés à l’Institut d’Archéologie d’Alger. Le matériel de Tamar Hat provient de deux campagnes de fouille, celle d’Arambourg en 1929 (Arambourg et al., 1934) qui se trouve dans les réserves du Muséum national d’Histoire naturelle de Paris (MNHN), et celle de Saxon en 1973 (Saxon et al., 1974 ; Saxon, 1975), entreposé dans les réserves du Centre National de Recherches Préhistoriques, Anthropologiques et Historiques d’Alger (CNRPAH). La collection d’Arambourg comprend quatre restes crâniens qui n’ont pu être remis dans leur contexte stratigraphique faute de numérotation et d’indications spécifiques. Arambourg a signalé la présence d’une hémi-mandibule (Arambourg et al., 1934, p.44, figurée dans la Planche IV, figure 4) que nous n’avons pas retrouvé et a donc été exclue du décompte. Les restes de mégacérin de la collection Saxon sont au nombre de dix, dont cinq dents isolées, deux fragments de métatarsien, un andouiller, un fragment de tibia et une phalange intermédiaire. Ces restes se répartissent dans les zones stratigraphiques I à III. Toutefois, il faut signaler que Saxon (1975) avait identifié un total de 22 pièces dans l’ensemble des couches et zones stratigraphiques. D’après ses descriptions et ses tableaux de quantification (Saxon, 1975, p. 145 et tableaux 1 et 5), le matériel manquant provient essentiellement des zones IV à VI et se constitue de deux portions de bois, d’un fragment de fémur, d’un talus, d’une phalange proximale, d’un fragment d’hémi-mandibule et de dents isolées. N’ayant pu consulter ces restes, nous les avons écarté de l’étude.

9Le matériel ostéologique attribué au Megaceroides algericus a été soumis à un protocole d’étude basé sur l’interaction de deux méthodes d’examen osseux : tout d’abord, l’étude archéozoologique de l’ensemble du matériel qui, par le biais d’une quantification raisonnée du matériel, de l’analyse de la représentation des éléments anatomiques ainsi que de la lecture taphonomique, a permis d’émettre des hypothèses quant aux modes d’acquisition et de transport et d’identifier les divers facteurs ayant agi et modifié l’assemblage osseux, dont le facteur anthropique. C’est, d’ailleurs, cette dernière étape d’étude qui a permis, par l’intermédiaire de l’examen macro- et microscopique des surfaces osseuses, de révéler la présence de cinq objets présentant des marques d’un traitement technique non culinaire : quatre en bois (Tamar Hat) et une seule pièce en os (Taza 1). Ces restes ont fait l’objet d’un second type d’examen osseux par le biais d’une analyse typo-technologique nécessaire pour reconstituer les techniques, méthodes et procédés de fabrication de l’outillage osseux. Une étude tracéologique de ces objets est à venir.

4 - Résultats et discussion

10Il faut tout d’abord établir certaines limites à cette étude qui sont essentiellement dues au nombre réduit de pièces ostéologiques étudiées, mais également au faible volume et à la surface restreinte des fouilles menées à Taza 1 et à Tamar Hat, sans oublier l’absence de position stratigraphique des restes osseux de la collection Arambourg. Cependant, malgré ces limites, nous nous sommes risqués à quelques interprétations d’ordre palethnographiques et avons tenté de reconstituer le comportement des Ibéromaurusiens vis-à-vis de ce cervidé mégacérin.

11La composition des deux assemblages osseux analysés (tab. 3) démontre bien la faible fréquence des restes de Megaceroides algericus (entre 0,37 % à 1,91 % du NRDt à Tamar Hat et 1,96 % du NRDt à Taza 1). Ces restes proviennent de 11 individus adultes matures, ce qui représente seulement un à deux individus par couches étudiées (tab. 4). L’existence de fragments de bois à Tamar Hat suggère la présence d’au moins deux individus mâles.

12Selon le site étudié et la couche concernée, le matériel se présente sous forme d’éléments anatomiques isolés avec un net déficit du squelette axial (tab. 4). Souvent, ce type de représentation s’apparente à une collecte ou à un charognage. Néanmoins, le nombre restreint de restes et la représentation isolée d’éléments anatomiques peuvent, également, résulter d’un transport secondaire de certaines parties anatomiques depuis un autre site d’habitat. Toutefois, le déficit en os peut aussi s’expliquer par un biais au niveau de la détermination anatomique en raison du pourcentage élevé de fragmentation à Tamar Hat et à Taza 1 (Merzoug, 2005). De plus, les deux sites étudiés n’ont pas été entièrement fouillés, le reste des carcasses peut se situer dans des parties encore non exploitées. De ce fait, un apport de carcasses entières n’est pas à écarter et une acquisition par la chasse ne peut être exclue. Le mégacérin constitue un gibier de taille moyenne, donc facile à transporter, d’autant plus qu’il s’agirait d’apporter un individu tout au plus à chaque battue. Les Ibéromaurusiens pouvaient se procurer ce gibier en effectuant des déplacements de courte distance au sein même de leur territoire puisque les mégacérins, comme les autres cervidés, fréquentaient des environnements boisés semblables à ce que l’on trouvait et à ce que l’on trouve encore dans la région des Babors. En outre, la présence à Filfila (Ginsburg et al., 1968 ; Hadjouis, 2003), site paléontologique de la région des Babors, d’un grand nombre de restes de mégacérin prouve bien que cette espèce vivait dans la région.

13Comme nous venons de le constater, plusieurs hypothèses peuvent être proposées quant aux stratégies d’apport et de transport des carcasses et/ou restes de Megaceroides algericus et ce n’est pas la comparaison avec les espèces associées à ce mégacérin qui pourra nous éclairer car, hormis le mouflon à machettes qui a fait l’objet d’une chasse sélective par les Ibéromaurusiens de Tamar Hat et de Taza 1, ces espèces présentent aussi des difficultés d’interprétation quant à leurs modes d’acquisition et de transport (Merzoug, 2005). Des corrélations et comparaisons avec les autres sites ayant livré des restes de mégacérin (tab. 1) sont également impossibles, car leurs assemblages fauniques n’ont pas fait l’objet d’études archéozoologiques.

14Même si les modes d’acquisition et de transport des mégacérins semblent difficiles à préciser, il est évident qu’ils aient été consommés et utilisés par les Ibéromaurusiens qui ont laissé sur les ossements les traces de leurs différentes phases de traitement. En effet, l’analyse des modifications des surfaces osseuses a permis d’observer quatre catégories de stigmates d’origine anthropique (fig. 2) : les stries de découpe, les marques liées à la fragmentation intentionnelle des os, les ossements brûlés et les stigmates liés à un traitement technique.

Tab. 3 : Composition de l’assemblage faunique mammalien étudié.

Tab. 3 : Composition de l’assemblage faunique mammalien étudié.

(NRD : Nombre de Restes Déterminés, NMIc : Nombre Minimum d’Individus de combinaison, NRI : Nombre de Restes Indéterminés).

Tab. 4 : Représentation des éléments anatomiques de Megaceroides algericus à Tamar Hat et à Taza 1.

Tab. 4 : Représentation des éléments anatomiques de Megaceroides algericus à Tamar Hat et à Taza 1.

4.1 - Traitement de boucherie

15Cette première phase du traitement comprend au moins deux étapes : la découpe de boucherie qui serait, selon la localisation et l’analyse des stries de boucherie, en majorité liée à la phase de désarticulation, notamment de la séparation de la mandibule, du crâne et de la désarticulation du tarse. La seconde étape est l’extraction de la moelle osseuse par fracturation (fragmentation intentionnelle par percussion), dont les stigmates ont été observés sur les os longs (deux métatarses et un tibia) et les phalanges.

4.2 - Traitement thermique

16Des os brûlés (un métatarse et une phalange) ont été identifiés à Tamar Hat, cependant, leur présence ne semble pas liée à un traitement culinaire comme la cuisson. Le fait que ces ossements soient entièrement brûlés, peut suggérer une forme de gestion des déchets ou une utilisation des os comme combustible. Ces ossements ont également pu tomber à proximité ou à l’intérieur de foyers.

Fig. 2 : Fréquences des différentes marques osseuses chez Megaceroides algericus.

Fig. 2 : Fréquences des différentes marques osseuses chez Megaceroides algericus.

4.3 - Traitement technique

17Comme cité précédemment, l’examen des restes de mégacérins de Tamar Hat et de Taza 1 a révélé la présence de cinq objets ayant été travaillés : quatre en bois et une seule pièce en os.

4.3.1 - Les objets en bois

18Les quatre pièces en bois de mégacérin analysées proviennent de Tamar Hat (fig. 3). Elles ont été récupérées sur des bois de massacre provenant des animaux amenés sur le site. Les Ibéromaurusiens occupaient le site au cours de la saison hivernale (Saxon et al., 1974 ; Merzoug, 2005), période précédant la chute des bois et au cours de laquelle ces derniers sont le plus mature et donc constituent une matière de bonne qualité.

19L’analyse typo-technologique a démontré la présence de trois objets techniques : un fragment crânien (collection Arambourg, MNHN de Paris, fig. 3A), deux andouillers (sans numérotation, collection Arambourg, MNHN de Paris, fig. 3B) et TI.IV.1653, collection Saxon, CNRPAH d’Alger (fig. 3C). Un seul outil proprement dit a été trouvé dans la collection d’Arambourg entreposée au MNHN de Paris (fig. 3D). Il a déjà été signalé dans la littérature comme fragment d’andouiller poli (Arambourg et al., 1934) et décrit comme étant un tranchet rectiligne selon la typologie osseuse nord-africaine (Camps-Fabrer, 1966).

20La présence de ces pièces techniques et de cet outil, ainsi que les marques et traces observées sur leurs surfaces, suggèrent qu’au moins une partie du traitement et du travail du bois a été effectuée sur le site. La chaine opératoire comprenait différentes étapes depuis la séparation des bois du crâne par un débitage qui s’effectuait au dessus de la meule (fig. 3A), suivie par l’élagage de la perche par tronçonnage comprenant au moins deux techniques : l’entaillage (fig. 3B) et la flexion (fig. 3B et 3C), jusqu’au façonnage final de l’outil. Dans le cas de l’outil étudié, le façonnage consistait en l’obtention du biseau par une technique d’usure. La morphologie de l’outil, ainsi que les stigmates d’utilisation des parties proximales et distales (fig. 3D), suggèrent un outil intermédiaire.

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Fig. 3 : Outils et objets en bois de mégacérin (Tamar Hat).

Fig. 3 : Outils et objets en bois de mégacérin (Tamar Hat).

4.3.2 - Les objets en os

22Une seule pièce en os ayant été travaillée a été observée (TI.87.1230, CNRPAH d’Alger). Il s’agit d’une pièce particulière et unique aménagée dans une branche montante d’hémi-mandibule gauche de mégacérin, avec présence de l’apophyse condylaire et du processus coronoïde (fig. 4). Ce fragment a été récupéré après le traitement de boucherie comme le confirme la présence de stries de découpe (Merzoug, 2005).

23Cette pièce a été débitée par fracturation (sur les plans vertical et horizontal) dans la partie la plus épaisse de la mandibule, vers le haut de la branche montante, et non pas vers le corps mandibulaire, là où se situe la moelle osseuse. De ce fait, la fracturation ne serait pas liée à une activité culinaire, mais plutôt à un traitement technique qui est l’obtention d’un support. Les processus coronoïde et condylaire ont été conservé, probablement pour une meilleure préhension de la pièce.

24Vu le lustre général de la surface externe de la pièce et l'aspect émoussé ainsi que la présence de stigmates d’utilisation sur les deux bords actifs (fig. 4), cet objet aurait pu servir au travail des peaux animales.

25Malgré le faible nombre d’objets techniques et d’outils, leur étude a permis d’apporter de nouvelles connaissances technologiques concernant la culture ibéromaurusienne, telles que la pratique des techniques de débitage osseux comme l’entaillage et la flexion. Des informations d’ordre économique ont, également, été observées puisque de nouveaux outils et instruments ont été décrits et que pour la première fois des pièces techniques jouant un rôle dans la production matérielle de ces populations ont été révélées.

Fig. 4 : Outil sur fragment de mandibule de mégacérin (Taza1).

Fig. 4 : Outil sur fragment de mandibule de mégacérin (Taza1).

5 - Conclusion

26En raison de la faible fréquence des restes de mégacérin et du nombre restreint d’individus représentés, il apparaît que l’acquisition de ces restes était occasionnelle et opportuniste sans toutefois pouvoir en préciser le mode : charognage, collecte, chasse ou transport secondaire.

27Les marques anthropiques observées sur les restes de mégacérin ont permis de retracer un schéma d’exploitation comprenant différentes étapes de traitement dont le traitement culinaire (boucherie et récupération des éléments nutritifs) et le traitement technique (élagage des bois, tronçonnage, façonnage, utilisation).

28Les connaissances acquises sur les étapes de l’exploitation du mégacérin permettent de dire que cette espèce a servi de nourriture d’appoint aux Ibéromaurusiens. Cependant, son rôle ne se limitait pas à diversifier le menu carné de ces populations. En effet, son traitement technique étant le plus recherché, il semblerait que, le mégacérin aurait eu un statut particulier techno-économique, ses restes (bois et os) ayant servi de matière première.

29Les techniques mises en œuvre pour le travail des bois et ossements de mégacérins sont caractéristiques d’une production spécifique différente de celles obtenue sur les restes de mouflon à manchettes et qui semblent propres à la culture ibéromaurusienne, du moins dans la région des Babors. En effet, l’utilisation des restes de mégacérin dans une optique techno-économique, n’étant pas encore attestée durant la période précédente (c'est-à-dire au cours du Paléolithique moyen), peut être perçue comme une caractéristique culturelle des Ibéromaurusiens des Babors en particulier, et du Paléolithique supérieur final, en général.

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Titre Tab. 1 : Principaux sites ayant livré des restes de Megaceroides algericus.
Légende [(?) : Présence supposée par Vaufrey, 1955]
URL http://journals.openedition.org/quaternaire/docannexe/image/6183/img-1.png
Fichier image/png, 153k
Titre Fig. 1 : Localisation des sites étudiés (modifiée d’après Obert, 1981)
URL http://journals.openedition.org/quaternaire/docannexe/image/6183/img-2.png
Fichier image/png, 22k
Titre Tab. 2 : Dates radiocarbones des sites de Tamar Hat et de Taza 1.
Légende (Dates calibrées par le logiciel Calib 6.0.1, 2 sigma de confiance).
URL http://journals.openedition.org/quaternaire/docannexe/image/6183/img-3.png
Fichier image/png, 357k
Titre Tab. 3 : Composition de l’assemblage faunique mammalien étudié.
Légende (NRD : Nombre de Restes Déterminés, NMIc : Nombre Minimum d’Individus de combinaison, NRI : Nombre de Restes Indéterminés).
URL http://journals.openedition.org/quaternaire/docannexe/image/6183/img-4.png
Fichier image/png, 843k
Titre Tab. 4 : Représentation des éléments anatomiques de Megaceroides algericus à Tamar Hat et à Taza 1.
URL http://journals.openedition.org/quaternaire/docannexe/image/6183/img-5.png
Fichier image/png, 492k
Titre Fig. 2 : Fréquences des différentes marques osseuses chez Megaceroides algericus.
URL http://journals.openedition.org/quaternaire/docannexe/image/6183/img-6.png
Fichier image/png, 44k
Titre Fig. 3 : Outils et objets en bois de mégacérin (Tamar Hat).
URL http://journals.openedition.org/quaternaire/docannexe/image/6183/img-7.png
Fichier image/png, 2,7M
Titre Fig. 4 : Outil sur fragment de mandibule de mégacérin (Taza1).
URL http://journals.openedition.org/quaternaire/docannexe/image/6183/img-8.png
Fichier image/png, 430k
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Pour citer cet article

Référence papier

Souhila Merzoug, « Essai d’interprétation du statut économique du Megaceroides algericus durant l’Ibéromaurusien dans le massif des Babors (Algérie) », Quaternaire, vol.23/2 | 2012, 3.

Référence électronique

Souhila Merzoug, « Essai d’interprétation du statut économique du Megaceroides algericus durant l’Ibéromaurusien dans le massif des Babors (Algérie) », Quaternaire [En ligne], vol.23/2 | 2012, mis en ligne le 01 septembre 2015, consulté le 09 décembre 2017. URL : http://journals.openedition.org/quaternaire/6183 ; DOI : 10.4000/quaternaire.6183

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Auteur

Souhila Merzoug

 Centre National de Recherches Préhistoriques, Anthropologiques et Historiques, 3 rue F.D. Roosevelt, 16000 Alger, ALGÉRIE. Courriel : merzoug@cnrpah.org

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Droits d’auteur

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