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L’aventure continue hors piste.
Posté il y a 1 an | Commentaires
Jan, Claudine Desmarteau.

Je suis pas le genre de personne qu’il faut chercher avec des noises. J’ai toujours été comme ça, paraît même que quand je suis née, j’avais mes petits poings serrés en gueulant comme un nouveau-né pas commode, c’est mon père qui raconte ça quand il est fier d’avoir une fille qui n’est pas une gonzesse.” – p. 7


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Nous voilà prévenus, Jan n'est pas du genre à se laisser marcher sur les pieds. Si des petits malins s'amusent à faire rimer Janis avec pisse, elle n'hésitera pas à leur en coller une et à prendre un diminutif qui détonne pour éviter toutes blagues vaseuses par le futur. C'est une gamine urbaine et sauvage, “épineuse”, qui nous colle à la peau et nous démonte le cerveau. Les émotions fortes envahissent le coeur quand elle nous raconte son petit bout de vie avec ses mots à elle, ceux de l'enfance insouciante, qui a des rêves et de l'espoir plein la tête, les néologismes au bord des lèvres. 


Les enfants perdus touchent toujours quelque chose de rongé qu'on a dans le fond de l'âme. Comme Doinel et ses quatre cent coups qui inspirent Jan et à qui elle s'identifie facilement. Et comment y résister ? Si les paroles de Jan se collent dans notre crâne, le “charme épineux” de Doinel est de se coller à la centrifugeuse de la fête foraine, et de coller son nez derrière le grillage, les yeux criant de liberté, avant de fuir au vent jusqu'à la mer. Jan est tout ça elle aussi, avec Rachid et son petit frère Arthur. L'auteure se glisse délicieusement et toujours avec justesse dans ce personnage détonnant, du début à la fin – et cette fin ! Parfaite, merci mille fois.


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Oui, c'est déjà la fin. À peine le livre ouvert sur le souvenir des cinq ans de Jan sur la plage, qu'il faut la quitter, déjà. Ça va vite. Elle va vite, la môme. Elle déballe son aventure et on l'entend vraiment, et elle parle sans s'arrêter : “Quand je commence à raconter un truc, ça m'emmène à parler d'une distorsion qui débouche sur une autre chose que je veux pas oublier de dire, alors ça s'éloigne du départ comme un arbre avec des branches qui se perdent dans les feuilles.” – p.21. Alors, nous non plus, on ne s'arrête plus, une fois la première page tournée. Juste le temps toutes les trois pages de cligner des yeux, mais on ne reprend son souffle qu'à la toute fin, avec en tête le souvenir du goût de l'iode quand on boit la tasse.


Jan, tu vas me manquer. Allez, viens, on va voir la mer, et promis si un gamin écrase ton château-voiture de sable, je t'aiderai à le taper avec la pelle.


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Mais la fin, j'adore, parce que Doinel, il s'évade pour courir jusqu'à la mer.” – p.65

La fin de Jan, je l'adore aussi, mais je veux pas dire pourquoi, je veux pas gâcher.


© Jan, Claudine Desmarteau, éditions Thierry Magnier, 2016. Écoutez et lisez l’avis de La soupe de l’espace, et celui de Bob et Jean-Michel

Posté il y a 2 ans | 1 note | Commentaires
La piscine, JiHyeon Lee.

Merci aux éditions Kaléidoscope et à Babelio pour m’avoir offert cet album dans le cadre d'une masse critique jeunesse.


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Un petit garçon a le regard tourné vers une page blanche. Dès le début, tout est possible, tout est à inventer. Cette page laisse ensuite place à un grand bassin vide… enfin, à première vue, car si l'on regarde de plus près, l'eau ondule déjà légèrement. 


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Pas même le temps de tremper un orteil pour tâter la température qu'une horde d'impatients se précipite dans la piscine, chacun avec une bouée plus grosse que celle de l'autre. Double-page bondée, tout le monde s'entasse : on se souvient de ces moments où l'on cherche la fraicheur mais la chaleur du monde nous en empêche et nous étouffe – et quelle page étouffante, oui, le bleu de l'eau n'apparaît presque plus !


Cela n'empêche pas le petit garçon de se jeter à l'eau, et si la surface est irrespirable, prenons une grande inspiration pour trouver de la place dessous. Dans les profondeurs, les corps se colorent, une faune aquatique luxuriante s'offre à la curiosité des enfants, qui, de plus près, découvrent des petits poissons à trompettes et à cornes, des plus gros avec des rangées de dents pointues, de longs et multicolores.


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On découvre, on s'approche doucement d'un oeil de baleine  (de béluga ?), on joue à cache-cache, on suit tous ces animaux jusqu'à retrouver les pieds entassés sous la surface de l'eau. Tout le monde est fatigué, on sort de la piscine, les gens grisonnants d'un côté, les deux enfants hauts en couleurs de l'autre. Bas les masques, on ôte les bonnets de bain, on se rencontre enfin.


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La piscine est l'histoire muette d'une rencontre touchante, son silence rappelle celui des profondeurs sous-marines. Souvenez-vous de cette sensation, quand vous pincez votre nez et basculez la tête sous la surface de l'eau. Souvenez-vous du silence si particulier qui vous enveloppe à ce moment, et vous aurez une bonne idée de ce qu'est le premier album de JiHyeon Lee.


Une ode à l'imagination, où la frontière avec la réalité est l'eau qui ondoie légèrement dans une piscine vide, où l'on colore la vie avec ses rêves plutôt que de suivre bêtement la masse grisonnante. Un album sans texte réussi : il faut parfois se passer des mots pour raconter les plus belles des histoires.


© La piscine, JiHyeon LeeKaléidoscope, 2016. Lire aussi la très jolie chronique du blog du petit carré jaune et celle du cabas de Za, ainsi que l’article écrit par l’illustratrice sur le processus de création de l’album (en anglais). 

Posté il y a 2 ans | 1 note | Commentaires
Pendant que le loup n’y est pas, Valentine Gallardo & Mathilde Van Gheluwe.
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Un jardin sauvage, des dinosaures en poches, les pieds camouflés dans des bottes lézardées, une araignée qu'on observe du bout d'une plume, qu'on chatouille légèrement, une fourmi qu'on enlève de sa ligne bien droite pour la déposer sur la toile du prédateur… Le récit à quatre mains de Valentine Gallardo et Mathilde Van Gheluwe commence avec l'insouciance de l'enfance, la découverte du monde du bout des doigts et de la curiosité plein les mirettes. Nous sommes à Bruxelles dans les années 90, quand des enfants disparaissaient sans raison, semant l'inquiétude chez les parents. Nous rencontrons deux petites filles et suivons simultanément leur histoire.


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Voilà pour situer un peu le récit, mais il faut vraiment aller plus loin, et trouver dans ce contexte un prétexte pour parler avec subtilité et justesse de la transformation des corps, de la fin lente et parfois cahoteuse et inacceptable de l'enfance. Trop rapide aussi. À l'image de ces deux corps qui plongent dans l'eau plus par menace d'un nouveau regard que par jeu. Deux corps pêle-mêle dans l'eau, arrivés à toute vitesse – trop vite beaucoup trop vite.


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Le trait, aussi abrupte que doux, magie du clair et du sombre et de toutes les nuances possibles du gris crayonné, illustre à merveille ce sujet délicat. Le lecteur est transporté à hauteur d'enfant, il vogue sans cesse entre imaginaire et réalité, et se laisse attirer parfois avec un brin de cruauté vers les rêves de ces gosses dont le monde leur saute petit à petit à la figure.


Alors qu'un chat devient tigre dans la rue, il n'est plus pour longtemps la seule menace. C'est désormais tout le monde et personne à la fois, c'est l'inconnu qui est partout, c'est la métamorphose du corps. Le tout mélangé à l'imagination sans limites de l'enfance.


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Pendant que le loup n'y est pas est un subtil mélange de deux traits différents, de la réalité et de l'imaginaire, de la naïveté de l'enfance et de la cruauté du monde adulte. Tous ces petits bouts s'harmonisent pour créer une bande dessinée délicate sur l'enfance et sa fin souvent prématurée… Ça touche quelque chose tout au fond, ça fait réfléchir et penser, ça fait se souvenir. Une très belle lecture qui a su faire résonner à nouveau mon coeur de petite fille de dix ans.


© Pendant que le loup n’y est pas, Valentine Gallardo & Mathilde Van Gheluwe, éditions Atrabile, 2016. Lire aussi la chronique de La soupe de l’espace et du Bar à BD

Posté il y a 2 ans | 1 note | Commentaires
Tombe, tombe au fond de l’eau, Mia Couto.

Car personne ne devrait passer à côté d'une si belle lecture, je me plonge à nouveau dans l'écriture autour d'un roman de Mia Couto. Seulement, comment trouver les mots justes pour rendre hommage à ce texte somptueux qu'est Tombe, tombe au fond de l'eau ?


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Comme dans les deux autres romans que j'ai déjà lus de l'auteur, La pluie ébahie et L'accordeur de silences, l'histoire n'est qu'un prétexte pour développer tout autour d'autres petites histoires, fables, contes – appelez-les comme vous le voulez. Un très bon prétexte pour découvrir à nouveau des personnages hors du communs, puissants par leur banalité, étincelants dans leur regard sur l'ordinaire. Ici, deux voisins, qui racontent des souvenirs, et s'éteignent doucement, dotés d’une sagesse exemplaire.


“Le temps avance par vagues. Le tout est de rester léger et une de ces ondulations nous emportera bien quelque part.” – p.8.

“Lorsque je danse, seulement là, je me libère du temps – mes souvenirs s’ébrouent et s’envolent. Ce que je devrais, c’est danser tout le temps (…).” – p.14.


Avec Mia Couto, tout paraît extraordinaire – et je pèse ce mot, je le pose sans scrupule, je l'ai cherché longtemps – extraordinaire, oui, extraordinaire : aller au delà des apparences que nous avons ordinairement sur ce qui nous entoure ; Mia Couto nous offre encore dans Tombe, tombe au fond de l'eau, un regard neuf sur le monde d'une simplicité déconcertante. Où diable trouve-t-il les mots justes ? Il va jusqu'à en télescoper pour trouver pilepoil ce petit rien qui définit un tout incroyablement précis (il faut saluer le travail de la traductrice, Elisabeth Monteiro Rodrigues) : Mia Couto fait hulurler le monde. Dans le récit se parsèment élégamment néologismes et inventions, images puissantes enflammées, douceurs de l'instant.


“Si ce n’est pas nous qui inventons le rêve, c’est lui qui nous invente.” – p. 17.

“Il est dommage que vous alliez et veniez à fatiguer vos yeux de par le monde.  Vous devriez plutôt vous passer un rêve sur le visage dès le matin. C’est ce qui retient le temps et retarde la ride. Vous savez ce que vous allez faire ? Étendez-vous sur le sable, allongez-vous bien couchée, étirez votre âme en diagonale. Ensuite, restez ainsi, bien silencieuse, bien au ras du sol jusqu’à sentir la terre s’éprendre de vous. Je vous le dis, Dona : lorsque nous nous taisons pareils à une pierre, nous finissons par entendre les accents de la terre.” – p. 21


La vie est une poésie avec Mia Couto. C'est doux, ça se lit, ça se dévore une deuxième fois, et encore une troisième, inlassablement, jusqu'à la prochaine… On plonge, on ne veut plus revoir la surface. Le récit est court, mais il reste éternellement noyé tout au fond de notre être.


“La vie est si simple que personne ne la comprend.” – p.8.


© Tombe, tombe au fond de l’eau (Mar me quer), Mia Couto, éditions Chandeigne, 2005. N’hésitez pas à lire le blog Lali, où il y a de belles citations de Mia Couto et un amour sincère pour ses écrits. 

Posté il y a 2 ans | 3 notes | Commentaires







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