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De la compagnie Nazdar à l'armée tchéco-slovaque autonome

Armée tchéco-slovaque au camp de Darney, dans les Vosges, en juin 1918.
© Ministère de la Culture (France), Médiathèque de l'architecture et du patrimoine, diffusion RMN
Image locale (image propre et limitée à l'article, invisible en médiathèque)

Dès la guerre déclarée, des Tchèques et des Slovaques résidant en France, souvent en région parisienne, décident de rejoindre les rangs de l’armée française. Ils veulent défendre une certaine idée de la France, de la liberté et du droit des peuples. Souvent spontanées, ces démarches individuelles rappellent et renvoient à la déclaration du chef des députés tchèques de la Diète de Bohème, faite le 8 décembre 1870, lors de la guerre franco-prussienne : "Toutes les nations petites ou grandes ont le même droit de disposer d'elles-mêmes ; leur individualité doit être également protégée. Décider du droit des nations par l'épée, par la force des armes, ce serait déclarer les plus faibles exhérédés de tous leurs droits, donner la sanction la plus brutale au droit du plus fort, rendre l'état de guerre continuel entre les nations, sacrifier la liberté et la dignité humaine au plus barbare despotisme militaire, renoncer aux bénéfices les plus précieux de la civilisation. […] La nation tchèque ne peut pas ne pas exprimer sa plus ardente sympathie à cette noble et glorieuse France qui défend, aujourd'hui, son indépendance et le sol national, qui a si bien mérité de la civilisation, et à laquelle nous sommes redevables des plus grands progrès réalisés dans les principes d'humanité et de liberté...".

Les lois de la République imposent à ces volontaires de s’engager à la Légion étrangère. Ce que quelques centaines font. Parmi eux, parmi tant d’autres, le peintre cubiste tchèque Otto Gutfreund, élève d’Antoine Bourdelle. Regroupés aux Invalides, ils sont dirigés vers Bayonne où la Légion étrangère vient d’installer un dépôt. Les volontaires y sont rassemblés en une compagnie unique du 2e régiment de marche du 1er étranger. Cette unité est bientôt surnommée la compagnie Nazdar en référence au « Salut » en langue tchèque que les volontaires échangent entre eux et avec la population. Toujours au cours de leur séjour bayonnais, ils reçoivent, brodé par les dames de la ville, un fanion militaire orné du Lion Couronné de Bohême.

Leur formation militaire terminée, ils sont engagés au cours de l’automne de 1914 en Champagne. Le 12 décembre ils ont leur premier mort, le légionnaire Lumír Brezovský tout juste âgé de 16 ans. Sa dépouille est inhumée en 1933 au musée de la Libération nationale de Prague.

En mai 1915, la compagnie Nazdar participe à la deuxième offensive d’Artois. Elle y connaît son véritable baptême du feu à La Targette, près de Vimy et à une dizaine de kilomètres au nord d’Arras.  Elle y est même décimée. Parmi les morts, les Légionnaires Karel Bezdícek, porte-fanion de la compagnie, Joseph Pultr, auparavant moniteur en chef du Sokol de Paris et Josef Sibal précédemment président de l’association Rovnost. A l’issue des combats, les pertes sont telles que le bataillon auquel appartient la compagnie Nazdar est dissous.

Dans les mois qui suivent, la défense de la cause des Tchèques et des Slovaques prend une dimension politique avec la création à Paris, en février 1916, du Conseil national tchéco-slovaque dirigé par Tomáš Masaryk, Edvard Beneš et Milan R. Štefánik. Il installe ses bureaux à Paris, au 18 de la rue Bonaparte dans un immeuble qui abrite aujourd’hui le centre culturel tchèque. Leur action permet de faire connaître et de diffuser l’idée nationale tchéco-slovaque dans les milieux politiques, intellectuels et médiatiques français ici incarnés par la jeune et brillante journaliste qu’est Louise Weiss. Au cours de l’année 1916, l’idée de la création d’une armée tchéco-slovaque en France prend corps. Le plus ardent promoteur en est Milan R. Štefánik. En mai de cette année, la mémoire de la bataille de La Targette est pour la première fois commémorée et largement relayée par la presse.

En septembre, des pourparlers officiels s’engagent entre le Comité national tchéco-slovaque et le gouvernement français en vue de la création d’unités militaires tchéco-slovaques autonomes dans l’armée française. Ils sont soutenus, côté français, par Philippe Berthelot, directeur de cabinet du président du Conseil et ministre des Affaires étrangères, Aristide Briand, en poste depuis octobre 1915.

Au cours des mois qui suivent, la cause tchéco-slovaque profite, au sein du gouvernement et au GQG, d’une double dynamique. La première est liée à la crise des effectifs que connaît l’armée française et qui pousse le GQG à faire feu de tous bois pour recruter des volontaires… d’où qu’ils viennent. La seconde est la signature au début du mois de juin, d’un décret créant dans les rangs de l’armée française une armée… polonaise autonome. La création d’une Armée Tchéco-Slovaque en décembre 1917 s’inscrit dans cette dynamique. Elle s’y inscrit tout en la dépassant à partir du moment où elle pose, dans le rapport au Président de la République qui précède le décret du 16 décembre, le soutien de la France aux "revendications nationales des Tchèques et des Slovaques". Ce faisant la France garde encore, à cette date, deux fers aux feux car elle continue parallèlement à s’interroger sur le devenir de la Double-Monarchie. Elle prend également date vis-à-vis des Alliés en apparaissant comme la première à donner vie, sur son sol, à l’idée tchéco-slovaque comme le mentionne l’article premier du décret signé par Raymond Poincaré : "Il est juste de donner à ces nationalités le moyens de défendre sous leur drapeau, côte à côte avec nous, la cause du droit et de la libertés des peuples, et il sera conforme aux traditions françaises de concourir à l’organisation d’une armée tchéco-slovaque autonome."

Au cours des mois suivants, le recrutement commence sous la double responsabilité, politique du Conseil national des pays tchèques et slovaques, et technique du ministère français de la Guerre. Le 12 janvier 1918, un premier régiment est mis sur pied à Cognac. Il reçoit l’appellation de 21e régiment de chasseurs tchéco-slovaques. Au cours du printemps un 22e régiment de chasseurs tchécoslovaques est formé à Jarnac. Deux autres régiments suivront après la signature de l’armistice pour un total d’environ 10 000 engagements. Les 21e et 22e régiments de chasseurs tchéco-slovaques sont, quant à eux, en ligne entre juin et octobre 1918. Ils perdent au feu environ 650 hommes.

Au début de l’été de 1918, le gouvernement français reconnait le Comité national tchéco-slovaque comme la « première assise du gouvernement tchécoslovaque » et, le 30 juin le 21e régiment de chasseurs tchéco-slovaques reçoit, au camp Kléber de Darney, des mains du président Poincaré, son drapeau offert par la ville de Paris et réalisé à partir d’une idée du peintre Frantisek Kupka, né en Bohême et vivant en France depuis la fin du siècle précédent. Cette cérémonie, en apparence modeste, est symboliquement forte puisqu’elle pose, avec la remise du drapeau, les fondements d’un Etat nouveau. A cette occasion, la commune vosgienne de Darney, qui compte, alors comme aujourd’hui, à peine plus d’un millier d’habitants, renoue avec son passé lointain, celui des verriers de Bohême qu’elle avait accueilli au début du XVe siècle et qui étaient devenus "gentilhommes verriers" par la grâce d’une charte signée en 1445. Elle devient surtout l’un des lieux essentiels de l’identité tchéco-slovaque.

Pendant l’entre-deux-guerres, en 1938, un mémorial est élevé à Darney en souvenir des quelque 6 à 7 000 chasseurs qui séjournèrent au camp Kléber. Il est détruit par les Allemands en novembre 1940. L’écusson monumental en bronze doré représentant un lion couronné qui l’ornait, après avoir été démonté par des soldats allemands, est transporté à Berlin. Il est partiellement détruit par les bombardements alliés puis fondu. Un nouveau monument en forme de flèche métallique lui succède en 1968.