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L'Alsace et la Lorraine dans les archives de la Planète d'Albert Kahn

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Chaque mois, retrouvez sur Centenaire.org un portfolio d'autochromes des années 14-18 issus des Archives de la Planète d'Albert Kahn, conservés par le Musée départemental Albert-Kahn des Hauts-de-Seine.

Dès le début des hostilités, une partie de l’Alsace qui était devenue allemande en 1871 est conquise par la France. En contexte d’économie de guerre, administrer un département supplémentaire, peuplé de surcroît de citoyens majoritairement germanophones, pose rapidement de sérieux problèmes logistiques, économiques, sociaux et culturels. Sur place, une « mission militaire administrative » basée à Masevaux  dans le Haut-Rhin gère le quotidien, tandis qu’à Paris une administration centrale -  les « services d’Alsace-Lorraine » - est chargée d’anticiper tous les aspects du futur retour à la France de la totalité des « provinces perdues ». La restitution de l’Alsace-Lorraine est en effet l’un des principaux buts de guerre déclarés par la France à partir de 1917.

> Voir le portfolio : L'Alsace-Lorraine dans les Archives de la planète entre 1917 et 1918 

Albert Kahn, Alsacien d’origine, se sent particulièrement concerné par cet objectif et apporte son soutien à la cellule de propagande de ces services d’Alsace-Lorraine par la mise à disposition de locaux techniques et de matériels photographiques et cinématographiques. Son autochromiste Georges Chevalier, mobilisé en 1918 seulement, est d’ailleurs aussitôt affecté à la mission militaire administrative de Masevaux, où il est chargé d’une mission de prises de vues destinées à illustrer des conférences de propagande. C’est évidemment le géographe Jean Brunhes - le directeur scientifique des Archives de la Planète - qui se charge de ces conférences. Il intervient en particulier dans les milieux ouvriers de la région du Rhône où l’État estime qu’il est urgent de remobiliser en faveur de la question d’Alsace-Lorraine des esprits de plus en plus perméables à un discours pacifiste et « bolchevique » qui tendrait à faire abandonner ce but de guerre au profit d’une paix immédiate. Le but de ces conférences est de légitimer, au moyen d’arguments géographiques et sociologiques, l’appartenance de l’Alsace-Lorraine à la France. Il s’agit également de familiariser le public français avec ces régions méconnues et d’acquérir l’ensemble de la nation à la Cause. Complémentairement, d’autres conférenciers travaillent à familiariser les Alsaciens avec la France.

Plus largement, la question d’Alsace-Lorraine cristallise également tout un discours sur  le « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ». Depuis le début de la guerre, les Alliés invoquent cet argument pour rallier les pays neutres à leur lutte, présentée comme la guerre du Droit contre la Force, de la civilisation contre la barbarie, de la liberté contre la mise en tutelle des peuples. Cette rhétorique est particulièrement porteuse aux États-Unis, où le principe d’auto-détermination des peuples est cher au président Wilson, mais aussi à l’opinion publique.

Dans l’entourage d’Albert Kahn et de Jean Brunhes, où l’on réfléchit beaucoup à l’émancipation des « nationalités opprimées » par les empires allemand, austro-hongrois et ottoman, on considère que les Alsaciens et les Lorrains sont opprimés par l’Allemagne, cependant il n’est pas question de militer pour leur indépendance comme on le fait par exemple pour les Tchèques, les Serbes ou les futurs Yougoslaves. L’Alsace-Lorraine doit redevenir française, et un autre enjeu des conférences de propagande est de démontrer, d’une part, que les Alsaciens et les Lorrains sont Français par essence et qu’ils souhaitent le redevenir ; d’autre part que l’administration française - et républicaine - de la région satisfera son épanouissement.

Le corpus « Alsace-Lorraine » des Archives de la Planète comprend trois ensembles. En 1917 une mission de prises de vues est organisée en Alsace en partenariat avec la Section Photographique et Cinématographique de l’Armée où l’autochromiste Paul Castelnau est mobilisé. D’avril à juin 1918 un ensemble est ensuite constitué par l’opérateur Georges Chevalier sous la direction de Jean Brunhes en partenariat avec les Services d’Alsace-Lorraine. Enfin, lorsqu’en novembre et décembre 1918 la France reprend formellement possession de la totalité de l’Alsace et de la Lorraine, les opérateurs des Archives de la Planète (Lucien Le Saint pour le cinéma, Georges Chevalier pour l’autochrome) sont sur place également et travaillent en partenariat étroit avec leurs collègues de l’Armée et des Services d’Alsace-Lorraine. Tout au long de la guerre, des manifestations patriotiques sur le thème de l’Alsace-Lorraine ont également été filmées occasionnellement à Paris.

> Voir le portfolio : L'Alsace-Lorraine dans les Archives de la planète entre 1917 et 1918