Sommaire


I -- Généralités sur l'affaire AlternB/Estelle Halliday

  • 1 - Quelle était la cause du procès ?
  • 2 - Que fut le jugement ?
  • 3 - Qu'est-ce qu'un fournisseur d'hébergement ?
  • 4 - Quelles sont les conséquences directes de ce jugement ?
  • 5 - Pourquoi l'auteur des pages n'a pas été poursuivi ?
  • 6 - Pourquoi AlternB a coupé l'accès à tous les sites hébergés ?
  • 7 - Quels sont les autres procès qui attendent AlternB
  • 8 - Quelle est la différence entre AlternB et les autres fournisseurs d'hébergement ?
  • 9 - Pourquoi n'existe-t-il pas de texte légal définissant les responsabilités des intermédiaires techniques sur Internet ?
  • II -- Question d'ordre plus général en rapport avec l'affaire.

  • 1 - L'hébergeur est-il responsable des contenus qu'il héberge ?
  • 2 - Comment faire pour donner mon avis sur tout ça ?
  • 3 - Que puis-je faire aujourd'hui si je vois une photo de ma fille à poil sur Internet ?
  • III -- Annexes et lexique.


    I -- Généralités sur l'affaire AlternB/Estelle Halliday

    1 - Quelle était la cause du procès ?

    Voici plus d'un an, un magazine de la presse 'people' a publié des photographies dénudées de la plaignante.

    Ces photographies ont été ensuite diffusées sur Internet, entre autres sur le site d'un dénommé "Silversurfer" qui les avait soit scannées lui-même à partir de ce magazine, soit récupérées sur un autre site (on peut encore aujourd'hui trouver ces mêmes photographies sur le réseau sans grande difficulté). La création du site de "Silversurfer" date d'environ un an.

    Le magazine "Entrevue" publie à nouveau ces photographies, sous-titrées "Trouvé sur Internet" et indiquant l'URL du site hébergé par AlternB. La très importante hausse des accès à ce site que déclenche cette publication alerte Valentin Lacambre, qui découvre alors l'existence du site et le coupe pour des raisons techniques (la charte d'Altern interdisant la mise à disposition de sites érotiques, trop gourmands en ressources techniques). Pendant ce temps, la société Celog fait réaliser un constat de l'existence de ce site à la demande des avocats d'Estelle.

    Sur la base de ce constat, une plainte en référé est déposée par les avocats d'Estelle auprès du Tribunal de Grande Instance contre AlternB pour avoir "gravement porté atteinte à son droit à l'image et à l'intimité de sa vie privée".

    2 - Que fut le jugement ?

    En première instance, Estelle réclame 700 000ff de dommages et 100 000ff d'astreinte par jour. Face à ses demandes, Valentin Lacambre fait valoir qu'aucune condamnation ne pourrait être prononcée contre lui par ce juge parce que la question de la responsabilité du fournisseur d'hébergement posait problème et supposait un débat de fond.

    Le juge du référé donna raison à Valentin en disant qu'il fallait qu'E. Hallyday saisisse le juge du fond pour organiser un débat complet et contradictoire sur cette responsabilité. Mais il a enjoint Valentin Lacambre, sous astreinte de 100.000F par jour d'empêcher toute diffusion ultérieure des photographies d'E. Hallyday par un site hébergé par sa société, tout en reconnaissant que le site en cause a été rendu inaccessible avant même le procès.

    Valentin, à qui il est fait obligation, pour respecter la décision du TGI, de vérifier le contenu de tous les sites hébergés à tout instant, ce qui est matériellement impossible (on parle de plus de 45000 sites, tous modifiables à tout instant par leur auteur, et contenant chacun plusieurs millions de données potentielles), fait appel d'un jugement qu'il considère inapplicable, sauf à fermer boutique.

    En appel, la Cour a réformé le jugement de première instance en disant que l'injonction et l'astreinte n'avaient pas lieu d'être. Elle a donc donné raison à Valentin Lacambre.

    Mais elle a considéré que la diffusion de ces images, et parce que leur auteur n'était pas connu d'AlternB, avait créé un véritable préjudice à E. Hallyday et qu'il fallait lui attribuer une provision sur dommages et intérêts de 300.000 F. La cour d'appel a ordonné en outre la publication d'un communiqué dans trois quotidiens au choix d'E. Hallyday dans les limites de 25.000F par insertion.

    S'y ajoutent 30.000F pour rembourser les frais d'avocat d'E. Hallyday.

    3 - Qu'est-ce qu'un fournisseur d'hébergement ?
    Son métier est de fournir à ceux qui utilisent ses services un espace de stockage sur une machine reliée à Internet en permanence. Rien de plus et rien de moins.

    Le fait que cette machine soit connectée en permanence signifie que tous ceux qui disposent d'un accès à Internet peuvent, à tout instant, interroger cette machine et récupérer des informations stockées par ceux qui utilisent les services de l'hébergeur.

    4 - Quelles sont les conséquences directes de ce jugement ?
    E. Hallyday doit saisir le Tribunal de Grande Instance pour qu'il tranche sur le problème de la responsabilité du fournisseur d'hébergement et sur celle de l'auteur du site : qui est responsable de quoi ? Comment ? Dans quelles conditions ?

    Malheureusement, pour qu'E. Hallyday saisisse le TGI sur le fond, il faut d'abord qu'AlternB paye les sommes demandées, ce qui signifierait la fermeture pure et simple de la société et la mise en vente de tout son matériel: parce que le service altern.org est totalement gratuit, la société AlternB ne dispose pas d'une telle somme.

    Il s'agirait donc, si le jugement au fond devait donner dinalement raison à AlternB, de décider que la fin d'une personne morale et la disparition de plus de 45000 sites n'étaient finalement pas la réponse appropriée au dommage subis.

    De plus, parce qu'il suppose (c'est le sens de la provision sur dommages et intérêts) qu'il existe une très forte présomption pour que Valentin soit condamné par le juge du fond, ce jugement crée une première: c'est en effet la première fois qu'un fournisseur d'hébergement est supposé créer un préjudice direct alors qu'il se contente de fournir un espace d'expression.

    Cette décision a donc créé l'occasion d'établir une jurisprudence, en permettant à d'autres plaintes d'être déposées, juste après que la Cour ait rendu son arrêt, qui souhaitent utiliser cette première pour établir une fois pour toutes la responsabilité des fournisseurs d'hébergement sur les contenus hébergés.

    5 - Pourquoi l'auteur des pages n'a pas été poursuivi ?
    Dans une procédure civile, le juge n'a pas à chercher s'il existe d'autres causes du préjudice dont il est demandé réparation que celles qui lui sont soumises.

    Il se contente de dire si oui ou non ces causes sont ou non à l'origine du préjudice.

    Ce qui est étrange cependant, c'est que le juge a considéré qu'AlternB était bien à l'origine du préjudice subi par E. Halliday au motif que l'auteur du site lui était inconnu, alors même qu'AlternB dispose de toutes les informations permettant à la police de retrouver cet auteur.

    On a donc d'un côté l'affirmation du fait qu'AlternB aurait dû connaitre l'identité de son client pour ne pas assumer la responsabilité à sa place, mais l'ignorance du fait qu'il dispose des informations permettant à la justice de retrouver cet auteur si la justice le souhaite.

    6 - Pourquoi AlternB a coupé l'accès à tous les sites hébergés ?
    Parce que l'arrêt de la Cour d'Appel suppose la responsabilité de l'hébergeur sur tous les contenus hébergés, et parce qu'AlternB, comme tous les hébergeurs, ne dispose pas des moyens de vérifier les contenus et l'identité de leurs auteurs, il s'agissait du seul choix possible.

    Dès lors qu'il est apparu que d'autres plaignants souhaitaient utiliser ce jugement pour obtenir réparation d'autres dommages subis, aux dépends d'ALternB, il était obligatoire que Valentin Lacambre se protège des suites judiciaires en cessant son activité.

    Il ne s'agit donc pas de faire pression sur les utilisateurs du service, mais d'agir dans l'urgence pour se protéger des procès à répétition qui ont commencé à pleuvoir.

    Valentin Lacambre souhaite, pour pouvoir réouvrir le service, que le législateur se positionne publiquement contre la responsabilité a priori des fournisseurs d'hébergement. Une telle déclaration oterait toute valeur jurisprudentielle à l'arrêt de la Cour d'Appel, et permettrait de faire face aux procès qui viennent, tout en désamorçant le risque de voir ces procès se multiplier.

    7 - Quels sont les autres procès qui attendent AlternB
    Le prochain procès est attendu le 22 mars 1999.

    Le cas concerne la RATP qui attaque en procédure d'urgence (alors que le trouble a cessé depuis plusieurs mois) et qui réclame réclame 20.000ff de dommages et 10 000ff d'astreinte par jour pour usurpation de marques ayant à l'origine un site depuis longtemps fermé et dont l'auteur est connu et attaqué conjointement.

    Viendront ensuite 2 autres procès, l'un concernant le site de la CNT (dont il est difficile de croire qu'il s'agit d'un anonyme) et sur lequel était présent en janvier 1997 un message supposé diffamatoire.

    L'autre concerne une demande de dommages-intérêt de 2.530.000ff pour usurpation des marques "calimero" et "c'est vraiment trop injuste". L'auteur du site incriminé est connu et attaqué conjointement.

    8 - Quelle est la différence entre AlternB et les autres fournisseurs d'hébergement ?
    Il s'agit d'une différence fondamentale, bien qu'elle puisse paraitre minime à première vue: altern.org, le service offert par la société AlternB, est entièrement gratuit, sans la moindre contrepartie (y compris publicitaire), et ouvert à tous sans aucune discrimination.

    Il existe un bon nombre d'hébergeurs qui ne font pas payer leur service à leurs clients. Ceux-ci récupèrent, soit par le couplage de cet offre à la fourniture payante de l'accès à Internet soit par l'ajout de bandeaux publicitaires obligatoires, le financement de leur offre.

    Il existe aussi des services d'hébergement entièrement gratuits, sans contrepartie, mais qui choisissent ceux auxquels ils offrent leur service en fonction des contenus des sites hébergés, soit parce qu'ils partagent des opinions semblables (cas de certaines associations) soit parce que ces contenus apportent une image commerciale ou médiatique importante.

    AlternB est le seul service qui réponde à la fois à ces deux conditions: gratuit sans contrepartie et ouvert à tous, qui sont pour ceux qui l'ont choisi la garantie d'une totale indépendance, idéologique et commerciale, donc d'une totale liberté d'expression.

    9 - Pourquoi n'existe-t-il pas de texte légal définissant les responsabilités des intermédiaires techniques sur Internet ?
    Parce qu'il s'agit d'un débat plus complexe qu'il n'en a l'air.

    Il doit tenir compte en premier lieu du droit à la liberté d'expression.

    Mais il doit prendre en compte la volonté légitime de la société de se protéger contre les délits, et de retrouver les auteurs de ces délits lorsque ces derniers sont avérés. Sans même parler des limites légales à la liberté d'expression, les questions de la propriété intellectuelle, des droits d'auteurs, de la protection de la vie privée entre autres doivent être prises en compte.

    Les récentes prises de position tant du Conseil d'État que de la Commission Européenne, en plus des réactions politiques à l'arrêt dont il est ici question, montrent un début de consensus: il s'agirait de ne jamais faire porter à un fournisseur d'hébergement la responsabilité des contenus qu'il héberge tant qu'il n'en a pas connaissance, et au moins à une obligation de moyens envers la Justice lorsqu'il en a connaissance.

    On peut supposer qu'un texte sur ces bases soit bientôt proposé par le législateur. Pourtant il semble qu'un tel texte, qui voudrait préciser les responsabilités d'un secteur d'activité qui n'existait pas voilà 5 ans et qui est en perpétuelle et rapide évolution soit rapidement rendu obsolète. Il s'agirait donc d'une réponse législative donnée dans l'urgence alors que le besoin d'un débat de société rendu nécessaire par l'existence, pour la première fois, d'un moyen technique permettant l'exercice complet du droit inaliénable à la liberté d'expression est évident.

     

    II -- Question d'ordre plus général en rapport avec l'affaire.

    1 - L'hébergeur est-il responsable des contenus qu'il héberge ?

    Les questions relatives aux responsabilités des différents acteurs du réseau sont complexes. Cette FAQ traitant du cas d'AlternB se focalise donc sur la responsabilité du fournisseur d'hébergement, et ne considère les autres acteurs concernés (simple transporteur, fournisseur d'accès, fournisseur de service, fournisseur de contenu) que dans leurs rapports avec l'hébergeur.

    Dans l'impossibilité de donner une réponse juridique définitive (qui manque à ce jour), nous allons tenter de sérier les questions relatives à ces responsabilités et de donner les différentes opinions, en les classant pour chaque question de la plus "libertaire" à la plus "moraliste" (classification qui se veut sans jugement de valeur).

    a. Doit-il y avoir un responsable pour tout contenu émis sur Internet ?

    Ce point là fait l'unanimité.

    L'expression en France est soumise à un régime de liberté responsable: c'est (à défaut d'une loi spécifique) l'article 11 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen qui définit ce régime de la manière suivante:

    "La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme. Tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement ; sauf à répondre de l'abus de cette liberté, dans les cas déterminés par la loi."

    On peut donc tout dire, mais il faut accepter d'en répondre devant la loi. Il n'y a donc pas d'expression irresponsable. Reste à savoir si ce responsable peut être un autre que celui qui s'exprime.

    b. L'anonymat est-il une bonne ou une mauvaise chose ?

    La question précédente prend une importance particulière lorsqu'on parle d'anonymat. L'anonymat est utile et indispensable dans un bon nombre de cas. On ne peut pas imposer à un citoyen de se taire ou de s'identifier avant de parler lorsque le thème est dangereux pour lui, (qu'il s'agisse d'un danger professionnel ou d'un danger social) par exemple.

    Pourtant un anonymat total équivaut à une expression sans responsable, ce qui pose un problème de fond si l'on souhaite respecter notre constitution. De tels problèmes ont été résolus, dans le cas de la Presse, par des lois qui responsabilisent en cascade tous les acteurs de la chaine éditoriale: l'auteur des propos peut rester anonyme, mais le directeur de la publication prend alors toute la responsabilité des propos tenus.

    Les lois sur la Presse ne sont pourtant pas adaptées à Internet, sur lequel les citoyens s'expriment sans intermédiaire. Et si on peut comprendre qu'un directeur de journal, qui choisit lui-même les contenus qu'il diffuse, puisse en être tenu pour responsable, on ne voit pas pourquoi l'hébergeur, qui ne choisit pas et ne peut pas choisir le contenu des pages hébergées devrait être considéré de la même façon. Ce système de la responsabilité en cascade ne peut donc pas être appliqué à Internet.

    Le Conseil d'État arrive, par d'autres voies (centrées sur le commerce plutôt que sur la liberté d'expression) au même constat.

    Les réponses proposées pour répondre à ce problème varient:

    1. Tout citoyen a droit à l'anonymat, et nul ne doit engager sa propre responsabilité pour les propos tenus par un tiers. Charge à la police de retrouver, si elle le peut, l'auteur premier des propos, seul responsable. Les intermédiaires techniques quels qu'ils soient n'ont d'autre devoir que celui d'aider de leur mieux la Justice en cas d'enquête.
       
    2. L'anonymat est légitime et nécessaire dans de nombreux cas. Il est rarement total, sauf sans les cas de connexion à travers un cybercafé ou de connexion depuis l'étranger via des services anonymisant. Ces cas restent marginaux, et pour tous les autres les informations fournies par les intermédiaires techniques à la justice sont suffisantes pour mener des enquêtes dont les taux de réussite ne seront pas inférieurs à ceux de toutes les enquêtes.
       
    3. Toute expression doit avoir un responsable identifiable, mais ce dernier doit voir son identité protégée sauf auprès de la Justice en cas d'enquête. Les intermédiaires techniques ont un devoir d'aide à l'identification du "premier intermédiaire, et ce "premier intermédiaire" (celui qui est en contact avec l'auteur: son fournisseur d'accès, ou le responsable d'un cybercafé, ou le responsable informatique d'une université...) doit de son mieux identifier ceux auxquels il permet l'accès au réseau, sauf à engager sa propre responsabilité.
       
    4. Tout intermédiaire technique doit être en mesure de fournir l'identité de ceux qui utilisent son service à la Justice, sauf à prendre lui-même la responsabilité des contenus créés grace à ce service dès lors qu'il en a connaissance. Il a le droit d'effacer tout contenu qu'il héberge et dont l'auteur n'est pas identifié. Les moyens proposés pour connaitre cette identité vont de la remise d'une copie d'une déclaration préalable auprès du Procureur de la République avant toute ouverture de service au paiement par chèque ou carte bancaire du service, permettant de remonter à l'auteur. Aucun moyen n'est proposé qui permette parallèlement la gratuité totale du service (la gestion administrative de l'identité implique un personnel non négligeable, dans tous les cas).

    Dans tous les cas il ne sert à rien de négliger le fait qu'il est possible (mais c'est marginal, et le "principe de proportionnalité" toujours rappelé par la Cour Européenne de Justice veut qu'on ne tienne pas l'exception pour la règle lorsqu'on légifère) d'être en pratique totalement non-identifiable sur Internet. Il existera toujours des fournisseurs de services, quelque part dans le monde, qui n'auront pas à respecter une obligation légale d'identification. Et il existera toujours le moyen de se connecter chez un fournisseur d'accès à l'étranger, depuis n'importe quel téléphone national, avec un simple modem. Il faut le savoir et en tenir compte lorsqu'on veut fonder sa propre opinion sur la question: sauf à fermer nos frontières électroniques, et encore, l'anonymat total restera possible.

    c. Dans quelles conditions le responsable d'un contenu peut-il être différent de l'auteur du contenu ?

    Internet ne se limite pas à l'expression des simples citoyens. Par exemple un auteur, s'exprimant sur le site de la société qui l'emploie, au nom de cette société, ne doit pas être tenu pour seul responsable des propos qu'il tient (dédouanant du même coup la société en cas d'infraction au code du commerce). Dans une telle situation, c'est évidemment l'employeur qui est responsable des propos tenus par son employé, même si cet employeur est aussi l'hébergeur des propos.

    Mais il existe des situations moins évidentes, et l'instant où un intermédiaire technique peut devenir responsable d'un contenu devant la Justice varie selon les opinions:

    1. Jamais lorsqu'il s'agit de l'expression directe d'un citoyen en son propre nom (a pondérer selon les positions sur l'anonymat). L'intermédiaire n'est pas un juge et ne peut donc jamais décider de lui-même s'il participe ou non à une infraction tant que cette infraction n'est pas qualifiée comme telle par la Justice. A ce titre il ne doit jamais censurer un contenu qu'il héberge, ni même savoir qu'il héberge ce contenu. Aucune plainte ne doit lui être adressée directement (voir point e).
       
    2. Dès lors qu'un intermédiaire technique se place en position d'éditeur, c'est à dire qu'il choisit lui-même les contenus qu'il héberge, il relève du droit de l'audiovisuel et est soumis au principe de la cascade de responsabilité. Il peut dans ce cas permettre l'anonymat, puisqu'il prend la responsabilité des contenus.
       
      Cette position est à pondérer selon qu'on considère que le choix de devenir "éditeur" est ou non implicite: on peut penser qu'un intermédiaire technique, dès lors qu'il décide de son propre chef de censurer tel ou tel contenu qui vont contre ses propres opinions, se place en position d'éditeur de fait: il démontre ainsi qu'il est capable du choix, et ne peut plus se retrancher derrière un statut de 'simple' intermédiaire. Mais on peut aussi penser que ce n'est pas parce que l'intermédiaire peut agir de son propre chef lorsqu'il constate un délit qu'il devient automatiquement responsable de tous les contenus qu'il ignore, ou dont il est incapablle de dire s'ils sont ou non légaux.
       
    3. Dès lors qu'il répond au tryptique "savoir/pouvoir/inaction" défini par le Professeur Vivant: s'il a connaissance d'un contenu délictueux, qu'il est en position de faire cesser le délit et qu'il ne fait rien, sa propre responsabilité est alors engagée.
    d. Si on considère que l'hébergeur peut être responsable dans certains cas, quels sont ces cas ?
    1. Il ne doit jamais être considéré comme complice de l'expression directe d'un citoyen en son propre nom (a pondérer selon les positions sur l'anonymat), mais reste cependant responsable de ses propres actes, ou de sa propre inaction, lorsque la loi lui impose d'agir. A ce titre il peut devenir responsable de n'avoir rien fait pour faire cesser une infraction lorsque cette infraction est de son propre fait, qu'elle découle de sa propre volonté ou de la connaissance qu'il a de contenus hébergés dont la nature engage sa propre responsabilité directement.
       
      En échange d'une telle "incomplicibilité" légale consentie par la société, l'hébergeur doit avoir un devoir de moyens de nature proche des services d'utilité publique: parce qu'il permet la liberté d'expression des citoyens, il doit lui être interdit de censurer tant que sa propre responsabilité n'est pas engagée, et dès lors que son inaction n'est pas en elle-même un délit (recel, mise en danger d'autrui, etc). Toute censure constatée en dehors de cette condition lui est pénalement opposable. Parallèlement, la Justice impose plus que jamais dans son cas le principe du doute: dès lors que le moindre doute peut être entretenu quand à la responsabilité directe de l'hébergeur, ce doute doit lui profiter et sa responsabilité n'être pas retenue lorsqu'il n'a pas coupé l'accès à un contenu. Ce doute est évalué par la justice, au cas par cas, en tenant compte des compétences de l'hébergeur.
       
    2. La Justice peut le considérer comme responsable des propos délictueux d'autrui lorsqu'il en a connaissance, qu'il est en position de faire cesser le délit, et qu'il ne fait rien.
       
      C'est le "tryptique Savoir/Pouvoir/Inaction" du Professeur Vivant, par exemple, ou le choix de la loi allemande (traduction libre):


       
      "Les fournisseurs de services ne sont responsables des contenus d'autrui qu'ils mettent à disposition du public que s'ils ont connaissance de ce contenu et qu'il leur est possible, tant techniquement que raisonnablement, d'en interdire l'accès.".
       

      C'est aussi le point de vue de la Commission Européenne pour laquelle la responsabilité de l'hébergeur ne peut être engagée dès lors que:


       
      " a) le prestataire n'a pas effectivement connaissance que l'activité est illicite et, en ce qui concerne une action en dommage, n'a pas connaissance de faits ou de circonstances selon lesquels l'activité illicite est apparente; ou
       
      b) le prestataire, dès le moment où il a de telles connaissances, agit promptement pour retirer les informations ou rendre l'accès à celles-ci impossible."

       
      Le problème principal soulevé par cette position est de définir le moment où le délit est "apparent": un fournisseur risque fort de ne prendre aucun risque et de couper à la moindre plainte, motivée ou non, sans rien risquer. Le problème de la liberté d'expression revient par le biais de l'auto-censure.

    e. Sinon quelles sont les solutions proposées pour leur éviter d'être considérés comme responsables par la justice ?

     
    Si l'on considère que l'hébergeur ne doit jamais être en position de juger de la légalité d'un contenu, et/ou qu'il ne doit pas être mis en position d'être contraint d'en décider, il ne reste que 2 possibilités: soit la création d'une instance chargée d'être un intermédiaire entre la justice, les plaignants et les intermédiaires techniques soit une loi qui précise cette irresponsabilité.
     
    La définition d'une instance intermédiaire est très variable. Certaines de ces variantes peuvent s'imaginer sous forme d'instance de droit public (type CSA/CST), d'autres de droit privé (association représentative de tous les 'acteurs' du réseau), mais toutes doivent obtenir l'aval des pouvoirs publics pour prétendre à être réellement reconnue de tous (et surtout de la Justice):


       

    1. Toute plainte doit passer par elle. Les intermédiaires techniques ignorent les plaintes reçues directement et les lui retransmettent. Elle a alors un devoir de conseil juridique auprès de l'auteur du contenu en cause, et le droit (ou non) de saisir la justice pour lui demander d'intervenir.
       
      Un des points les plus débattus quant à ce type d'instance de conciliation/médiation est le comportement qu'elle doit avoir lorsqu'un délit est évident: doit-elle se contenter de conseiller la fermeture du site (au risque de faire disparaitre des preuves constitutives du délit) ou bien doit-elle demander à la justice de s'en saisir sans en parler à l'auteur (elle devient alors un nouvel intermédiaire de justice, spécifique à Internet, et l'instance vers laquelle sont dirigées toutes les dénonciations) ?
       
      Sa seule existence suffit à totalement déresponsabiliser les hébergeurs: quoi qu'ils hébergent et quelle que soit leur volonté et leur conscience, ils ne doivent jamais prendre parti, exactement comme s'ils ignoraient tout des contenus hébergés. Ils deviennent en quelque sorte "transparents" pour la Justice et se contentent d'être des techniciens qui servent les volontés de leurs clients.
       
      La question de la responsabilité d'une telle instance lorsqu'elle doit choisir entre la simple médiation et la saisie de l'appareil judiciaire n'est pas tranchée: a cet instant elle exerce un pouvoir de justice en lieu et place de la Justice nationale, sans offrir aucune des garanties de la Justice. Et dans le cas où elle ne peut pas saisir la Justice directement, la question des contenus à l'évidence illégaux reste sans réponse.
       
    2. Elle fait respecter une charte librement consentie: les hébergeurs (qui adhèrent librement au système) adhérents s'engagent à respecter une "charte de bonne conduite" et à la faire respecter par leurs clients. Cette charte définit ce qui peut être hébergé ou non, et l'instance précise au fur et à mesure de son expérience et en fonction de la jurisprudence ce qui est ou non autorisé par la charte.
       
      Le fait de respecter la charte déresponsabilise l'hébergeur: l'instance peut intervenir en Justice pour défendre un hébergeur attaqué, en tant que "témoin de moralité" par exemple.
       
      C'était a peu près la proposition finale de la Commission Beaussant, nommée courant 1997 pour élaborer une solution suite au rejet par le Conseil Constitutionnel de la loi Fillon. François Fillon n'a pas donné de suite à la remise des conclusions de cette mission (rejetées unanimement par toutes les associations d'utilisateurs représentées), qui a précédé de peu le dernier changement de gouvernement.
       
      Les points les plus débattus à cette époque concernaient en particulier le fait que la "charte" était définie et modifiée par ceux-là même qui devaient la faire respecter, d'une part, et d'autre part le fait que les utilisateurs étaient contraints de respecter des "lois" parallèles, imposées par l'organisme en question, par le jeu contractuel. Or s'il est envisageable pour des professionnels de définir ensemble une déontologie commune, la seule "déontologie" à laquelle un citoyen doit s'astreindre, c'est le respect des lois.
       
    3. Elle se limite au simple conseil: lorsqu'un hébergeur est confronté à un contenu litigieux, son rôle est de lui dire s'il doit ou non couper l'accès à ce contenu d'un point de vue légal. Elle n'a aucun autre rôle que celui-là, mais le fait de suivre ses conseils ote à l'hébergeur toute responsabilité juridique.
       
      A l'évidence, ce rôle de "simple conseil", du simple fait qu'il déresponsabilise l'hébergeur, est en pratique un rôle de Justice: aucun hébergeur ne pouvant courrir le risque de passer outre à un tel "conseil", ses décisions sont en fait définitives et elle joue le rôle d'une justice parallèle, spécifique à Internet et qui de plus n'offre à la société aucune garantie quant à la poursuite des infractions.
       
    4. Elle remplace l'hébergeur au moment du choix: à son service et à l'écoute des citoyens, elle doit lorsqu'un contenu lui est soumis dire s'il est ou non légal. Si le fournisseur d'hébergement suit son avis, il n'est plus responsable devant la Justice de quoi que ce soit.
       
      C'était en particulier l'option choisie par une loi, proposée par François Fillon et votée par l'Assemblée Nationale en 1997 et qui étendait les pouvoirs du CST aux contenus présents sur Internet. Le Conseil Constitutionnel a abrogé cette loi au motif qu'une instance administrative ne doit pas dire le droit, mais seulement suivre très précisément des directives définies par le législateur. Or on voit mal comment le législateur dira à l'avance quel site devra être déclaré comme illégal, sauf à répéter l'ensemble des lois.
       
      Au final donc ce type d'organisme ne peut être autre chose qu'une justice parallèle, exactement identique à la précédente solution.


     
    Les solutions nécessitant une modification de la législation sont:


       

    1. Un mécanisme global de garantie des droits sans abandonner la recherche des vraies responsabilités : Une loi précise le statut des fournisseurs: "non responsables ni a priori ni a posteriori quand ils se limitent à l'intermédiation technique, donc aucun droit de supprimer de lui-même un contenu."
       
      Le contenu ne peut être suprimé que lors de l'exécution d'une injonction judiciaire.
       
      Le mécanisme inclut un système de médiation, pratiquée par un ou plusieurs centres de médiation (et non par une instance), pour les litiges privés, d'une part, et de la création d'une "hot-line" directe vers la Justice pour faciliter le dépot des plaintes.
       
      C'est la position défendue par IRIS.
       
    2. Une loi qui protège et garantisse la liberté d'expression des simples citoyens.
       
      Il s'agirait de punir pénalement tout "intermédiaire technique entre l'expression d'un simple citoyen et son public" dès lors que cet intermédiaire aurait censuré un contenu our des raisons autres que contractuelles.
       
      L'existence d'une telle loi (il n'existe à ce jour aucune loi qui permette, en France, de poursuivre pour "atteinte à la liberté d'expression") suffirait à obtenir l'irresponsabilité recherchée: en affirmant que le rôle ci-dessus défini est un rôle d'utilité publique, en imposant des contrats qui n'interdisent aucune contenu, en interdisant tout coupure via une obligation de moyen associée à cette "utilité publique", on déresponsabilise de fait l'intermédiaire: puisqu'il a une obligation de moyen, il ne peut dès lors plus être reconnu complice "par fourniture de moyens" des contenus qu'il héberge. Il est alors dans la situation définie à la première solution du point d).
       
      C'est la position de l'auteur de ce document.
       
    2 - Comment faire pour donner mon avis sur tout ça ?

    Les débats concernant la définition des différentes responsabilités sur Internet se déroulent parallèlement dans tous les pays, de même que dans certaines instances supranationales (Communauté Européenne, OCDE...).
     
    Vous pouvez choisir d'adhérer aux associations dont les positions sont les plus proches des votres, et qui ont une audience nationale.
     
    Vous pouvez débattre dans les forums Usenet concernés: fr.soc.internet et/ou fr.misc.droit.internet.
     
    Vous pouvez aussi vous contentez de diffuser cette FAQ, et d'en débattre autour de vous: le but de ce document n'est pas de prendre position (même si je suis conscient d'être incapable d'une rédaction totalement objective, même en essayant de mon mieux): son objectif est d'informer pour éviter justement que des décisions qui concernent potentiellement chacun d'entre nous -parce que les réseaux et leur usage vont devenir des aspects importants de nos vies- soient prises seulement par les quelques personnes qui connaissent ce dossier.
     

    3 - Que puis-je faire aujourd'hui si je vois une photo de ma fille à poil sur Internet ?

    Eviter de porter plainte contre un intermédiaire technique, sauf si vous n'êtes pas concerné par la liberté d'expression.
     
    Porter plainte contre X, et fournir à la police tous les éléments à votre disposition. La police saura demander aux intermédiaires, sur commission rogatoire, les éléments lui permettant de trouver l'auteur du délit, et la Justice le poursuivra.
     

    III -- Annexes et lexique.

    1 - Lexique des termes techniques employés.
    FAQ:
    Acronyme pour Foire Aux Questions (ou en anglais pour Frequently Asked Questions): ensemble des questions les plus couramment posée sur un sujet donné et réponses à ces questions.
    Site:
    Il s'agit de l'ensemble des documents mis en place par un auteur ou par un groupe d'auteurs et formant un tout disponible à partir d'une même adresse (URL).
    URL:
    C'est l'adresse 'éléctronique' d'un site, celle qu'on indique à un navigateur (Netscape, Explorer...) pour lire le contenu de ce site. Elle est le plus souvent de la forme:
     
    http://www.nom-du-site.code-du-pays.
     
    URL est un acronyme pour Universal Resource Locator.
    2 - Index des sites sur lesquels vous trouverez plus d'informations.
    Le jugement sur l'affaire AlternB/E. Halliday:
    http://altern.org/defense/jugement.html
    La réfutation du jugement:
    http://altern.org/defense/refutation.html
    Défaite de l'Internet (MiniRezo):
    http://www.defaite-internet.org
    Commentaires juridiques de l'arrêt:
    Favorable:
    http://www.legalis.net/legalnet/judiciaire/commentaires/estelle_heslaut.htm
    Défavorable:
    http://www.chez.com/lthoumyre/espace2/resp2.htm
    Site de l'AFA, (Association des fournisseurs d'accés):
    http://www.afa-france.com/
    Site de l'AUI (Association des Utilisateurs d'Internet):
    http://www.aui.fr
    Site de Citadel (association d'utiliateurs)
    http://www.citadeleff.org
    Site d'IRIS (Imaginons un Réseau Internet Solidaire):
    http://www.iris.sgdg.org
    Site de l'ISOC-FR
    http://www.isoc.asso.fr
    Forums de discussion Usenet:
    news:fr.soc.internet
    news:fr.misc.droit.internet
    Pseudo-proposition de loi de protection de la liberté d'expression:
    http://www.crampe.eu.org/loi.html
    Le rapport du Conseil d'État:
    Le rapport:
    http://www.internet.gouv.fr/francais/textesref/rapce98
    L'analyse de ce rapport par IRIS:
    http://www.iris.sgdg.org/les-iris/li4.html
    La proposition de la Commission Européenne:
    http://altern.org/defense/euroloi.html


    Laurent Chemla
    08/03/1999