Parcours païen

Chistopher Gérard,

L'Âge d'homme, 150 pp.,

680 F (16,86 €).

Un homme qui croit à la pluralité des dieux, et n'est pas un de ces ascètes indiens qui courent nus et barbus sur les rives du Gange, ni un clone miraculeusement tiré des gènes d'un rhéteur romain du IIIe siècle, oui, il existe. Dès l'âge de dix ans, Christopher Gérard, de mère irlandaise et de père belge, éprouva une puissante fascination pour le Temps et l'Eternité.

A douze ans, il était le plus jeune membre d'une équipe d'archéologues qui fouillait une nécropole mérovingienne dans les Ardennes. Comment la confrontation avec les ossements de Francs ensevelis depuis quinze siècles, puis de nombreuses lectures pendant ses études de grec à l'Université de Bruxelles, le conduisirent à croire que les Dieux ne sont pas morts, c'est ce qu'il nous raconte dans Parcours païen.

Un parcours dont l'honnêteté et comme une faîcheur lustrale me touchent alors qu'on ne rencontre le plus souvent que des gens aux convictions spirituelles incertaines ou ballotés par des croyances - chrétiennes ou non - dans le vent.

EN INDE

Gérard, lui, a fait sienne une fois pour toutes la déclaration du grand hindouiste Alain Danielou (le frère païen du cardinal Jean Danielou) : Une vie qui n'est pas un rite perpétuel d'action de grâce n'est pas une vie réussie. Et il témoigne: En Inde, j'ai vu vivre des Païens et j'ai compris que saluer le soleil le matin, disposer des fleurs fraîches sur mes autels comme je le fais quasi journellement, brûler un peu d'encens à Cernunnos ou à Shiva, accomplir une libation de vin ou de thé, méditer sur l'un ou l'autre symbole, ne relèvent pas de l'exploit ni du folklore, mais bien d'une discipline généreusement acceptée.

Cette discipline, ou plutôt cette exaltation liturgique de la vie lui paraît évidemment incompatible avec tout ce qui rabaisse l'homme, comme la malhonnêteté, ou l'asservit, comme les drogues.

La foi de Gérard est celle des Anciens: elle n'exclut de son panthéon aucun Dieu, sauf celui qui prétend les exclure tous, le Dieu de la Bible et du Coran. Son adoration oecuménique embrasse les dieux des Celtes et des Germains, ceux de l'Inde et de l'Egypte, des Grecs et des Romains, et la figure solaire de Mithra et les esprits de la forêt de Brocéliande. Et d'expliquer: Pour un Païen, le divin est inaccessible à l'intelligence humaine: il ne peut en percevoir que des manifestations: la splendeur de l'orage, la beauté d'une fleur, l'éclat du soleil. A lui de vivre en harmonie avec les Puissances...

CHRÉTIENS TRAQUÉS

A défendre et proclamer sa foi, Christopher Gérard déploie une énergie considérable, en particulier à travers la revue d'études polythéistes Antaios, fondée en 1959 par Mircea Eliade et Ernst Jünger, qu'il a relancée en 1993. Il annonce par ailleurs une synthèse de la pensée de l'empereur Julien, le dernier empereur païen dont Montesquieu disait qu' il n'y eut point après lui de prince plus digne de gouverner les hommes.

A la mesure de sa foi, Gérard poursuit les chrétiens d'une vindicte inépuisable. Il ne leur pardonne pas la façon dont ils n'ont cessé de vouloir extirper le paganisme par le fer et par le feu, la torture et le pillage, chaque fois qu'ils en ont eu l'occasion. C'est malheureusement assez vrai, mais nier que le catholicisme comporte des idées et des valeurs qui méritent autre chose que la haine, me paraît une faiblesse de ce Parcours. Que celui-ci nous force par contre à mettre en question nos préjugés envers les paganismes et à considérer d'un oeil nouveau ce que l'on en croit savoir, est l'incontestable mérite de cet ouvrage.

© La Libre Belgique 2001