Bilal Hassani youtubeur et chanteur

Bilal Hassani youtubeur et chanteur

© Audoin DESFORGES pour Télérama

Youtubeur à succès de 19 ans et icône queer des plus jeunes, le chanteur Bilal Hassani est bien parti pour représenter la France à l’Eurovision. Ce qui lui vaut des menaces de mort quotidiennes de la part d’internautes racistes et homophobes. Nous l’avons rencontré.

L’attachée de presse s’en excuserait presque : Bilal Hassani n’a pas pris ses perruques pour nous rencontrer. On le découvre dans son studio, son mètre soixante-huit réhaussé par d’énormes baskets compensées, un pantalon à carreaux, un pull à col cheminée bleu. Et le cheveu brun, court, frisé et donc libéré des postiches vert, rose ou bleu auxquels il donne des petits noms et qu’il arbore dans ses vidéos postées toutes les semaines sur YouTube à ses 730 000 abonnés. Pour sa participation à la demi-finale de l’émission Destination Eurovision samedi dernier, Bilal Hassani avait choisi Stormi. « Un carré lisse platine, qui est un peu mon look iconique », précise-t-il. Stormi devrait asseoir un peu plus son règne capillaire sur le crâne du jeune homme de 19 ans : celui-ci a remporté l’épreuve haut-la-main et sera le 26 janvier le grand favori de la finale de l’émission de France 2, un télé-crochet pour élire celui ou celle qui représentera la France au concours de l’Eurovision.

Beaucoup de Français ont découvert Bilal il y a quelques jours, flamboyante émanation d’une jeunesse décomplexée apparue sur l’écran du salon. Ce n’est pourtant même pas son premier concours télévisé : à l’automne 2015, c’est sur TF1 qu’il apparaissait âgé de 15 ans, les lunettes pas encore rondes mais rectangulaires, les sourcils pas encore épilés, le nez pas encore refait. Poussé par son ami chanteur et comédien Nemo Schiffman, l’adolescent participe à The Voice Kids, mais sera éliminé dès la deuxième étape. Ce sont ses premiers pas dans le milieu : ses parents, d’origine marocaine et divorcés depuis qu’il a deux ans, sont cadres dans l’informatique.

Double coming-out

Il grandit en région parisienne avec sa mère, Amina, que ses fans connaissent pour la voir intervenir dans les vidéos de son fils. Il voyage très jeune pour aller voir son père expatrié, aujourd’hui installé à Singapour. Sa belle-mère anglophone fait de lui un enfant bilingue. Bilal a d’abord écouté par procuration les idoles de ses parents, Freddie Mercury et Michael Jackson, avant de choisir la sienne : Beyoncé. « A la maternité, je suis né sur une de ses chansons », assure-t-il avec une moue pas peu fière. Il aime les chanteuses à voix, la variété française et le R&B américain des années 2000, la pop et le rap des playlists Apple Music et Spotify d’aujourd’hui. Au lycée, il sèche les cours pour aller écouter des disques et regarder des clips au supermarché. Lorsque le directeur appelle ses parents, il tombe sur Bilal imitant sa mère : « A la rentrée, j’avais mis mon numéro de téléphone au lieu du sien dans les fiches de renseignements. » Son parcours scolaire est chaotique – il est plus assidu à ses cours de chant, de danse, de piano et de guitare. Il finira par décrocher un bac L grâce au coefficient de son option anglais.

Bilal Hassani vivra deux coming-out. Le premier « IRL » (« dans la vraie vie »), forcé, alors qu’il est en 4e dans un collège catholique. Son meilleur ami révèle qu’il a eu une aventure avec un garçon : l’affaire fait le tour de l’établissement et mène à son expulsion. Il racontera l’événement, de manière complètement dédramatisée et quasi humoristique, dans l’une des vidéos les plus populaires de sa chaîne. Le second, sur Internet, prendra la forme d’une chanson au piano postée sur Twitter à l’été 2017. Aux vidéos de reprises et aux clips vient alors s’ajouter du contenu de type humour et vie quotidienne comme les adolescents en raffolent sur YouTube. L’occasion pour Bilal de raconter depuis chez lui les plaisirs et les déboires du jeune homosexuel qu’il est et de tisser un lien avec la communauté qui le suit, qu’il appelle « mes vies ».

Un profil déjà instrumentalisé

En début d’année dernière, il commence à se maquiller et à porter des perruques. Dans ses vidéos, jamais ailleurs. Elles catalysent l’attention, les critiques, les interrogations. Elles ne font que partie du spectacle, répond-il. « Je n’ai pas du tout le sentiment de transgresser quoi que ce soit ou de braver un interdit, je le fais vraiment pour me faire plaisir. » On fait de Bilal Hassani un porte-drapeau, un militant. Lui ne demande qu’à s’exprimer et à faire des vues sur Internet. Il adopte les manières de divas des stars américaines, les pousse jusqu’à la parodie en les adaptant à la culture web – références pop, langage franglais, mèmes (contenus humoristiques et viraux) – et intègre le tout dans des formats de vidéos à succès aux titres souvent « putaclic », de son propre aveu. Il parle parfois de lui au féminin, alors la question revient souvent : « Ce n’est pas parce que je mets des perruques et que je me maquille que je veux devenir une femme. Je suis un homme. » Sans le formuler, ni même y penser lui-même, sa manière d’être questionne la masculinité. Dans les commentaires de ses vidéos, les jeunes internautes sont nombreux à le féliciter pour son courage, lui témoigner leur fierté et le remercier de s’affirmer aussi éhontément, leur permettant de s’accepter en retour.

”Pourquoi tu faisais pas un concert un certain 13 novembre au Bataclan sale bâtard ?” (commentaire sous une de ses vidéos)

Mais le retour de bâton n’est jamais très loin sur Internet : en novembre 2017, il poste innocemment la vidéo d’un concert privé où il chante en perruque et col roulé devant un parterre de jeunes fans. Un torrent de haine comme le terrain meuble des réseaux sociaux en connaît régulièrement s’abat dans ses notifications : « Pourquoi tu faisais pas un concert un certain 13 novembre au Bataclan sale bâtard ? », « En y repensant, le napalm c’était pas une si mauvaise idée », « Salah Abdeslam jamais là quand il faut »

Bilal Hassani

Bilal Hassani

© Audoin DESFORGES pour Télérama

Le déferlement et la violence des propos sont tels que deux députés de l’Assemblée nationale appellent Twitter à « mettre en œuvre une politique plus volontariste et ferme en matière de lutte contre le cyber harcèlement et les LGBTphobies en France ». Dans une vidéo, Bilal souligne lui aussi la responsabilité des plateformes dans la propagation de la haine – chose rare parmi les stars des réseaux sociaux qui en tirent leurs revenus. Les menaces de mort n’ont jamais cessé depuis, mais le jeune homme n’a pas reçu la moindre réponse de Twitter. L’homophobie dont il est la cible lui paraît d’autant plus brutale qu’il n’y était pas préparé. « J’ai toujours eu des Barbie et des déguisements de princesse sans que ça dérange ma famille, raconte-t-il. Cette bienveillance a rendu mon rapport avec l’extérieur encore plus violent, à l’école et sur Internet. »

L’Eurovision, une émission bâtie pour lui

La haine, il s’en passerait bien. Mais pas l’attention. « Mon côté diva, ce n’est pas du second degré : je me prends vraiment au sérieux, assure-t-il, le regard fendu par ses paupières tombantes. J’adore soigner mon entrée, où que j’aille. » Celle qu’il a effectuée la semaine dernière dans l’industrie musicale fut fracassante : Roi, le morceau qu’il a co-écrit avec le duo Madame Monsieur, justement représentants français à l’Eurovision en 2018, dépasse les trois millions et demi de vues en une semaine. Un titre qui semble taillé pour la compétition : pop, queer, grandiloquent, avec un message simple et universel – rester soi-même, envers et contre tout. Guillaume Silvestri, le producteur, assure pour autant que la chanson n’a pas été composée pour l’Eurovision. « On l’a enregistrée en une nuit, deux jours avant la clôture des candidatures et on y est allé sans préméditation. » 

“Les maisons de disques appellent toutes les quinze minutes.” (son producteur)

Bingo, Bilal Hassani est retenu pour intégrer le télécrochet qui mène à la compétition. Le plus dur est peut-être fait : le choix, qui tient désormais dans les mains des téléspectateurs appelés à voter, favorise les artistes aux communautés de fans fidèles. « Tu sais que mon forfait a été bloqué tellement j’ai envoyé de SMS », lui apprend son amie youtubeuse Léna durant notre séance photo. Depuis, les maisons de disques appellent « toutes les quinze minutes » Guillaume Silvestri, qui est aussi à la tête de Low Wood, le label indépendant sur lequel est signé le chanteur, nouvelle poule aux cheveux d’or.

Dans les coulisses des sélections à l’Eurovision, Bilal avait « l’impression d’avoir volé un accès backstage », lui qui regarde le concours depuis ses 9 ans et pour qui la victoire de Conchita Wurst, le personnage de femme portant la barbe du drag queen autrichien Thomas Neuwirth, fut un électrochoc. Il sait à quoi il s’expose : dès son premier passage sur France 2, la fachosphère se fendait d’articles de blogs titrés « Un Marocain transgenre pour représenter la France à l’Eurovision ». « It’s all worth it » (« Ça en vaut la peine »), réagit-il.

Plus que de faire bouger les lignes de tolérance de la société française, il dit essayer de « bousculer la hiérarchie » des relations entre fans et artistes. « En tant que fan, je n’ai jamais reçu l’attention de mes idoles. Je ne me vois pas comme l’idole de qui que ce soit, mais j’adore créer avec ceux qui me suivent une connexion que je n’ai jamais eue. » Alors il ressort son smartphone, pour garder le contact et parcourir les milliers de messages de soutien remplis d’emojis. Pour réduire le risque de tomber sur des insultes, il utilise un logiciel qui supprime automatiquement les posts haineux. Pouvoir être sereinement soi-même, il y a aussi une application pour ça.

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