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    Animation

    Bobbypills, adulte ère

    Par Marius Chapuis

    L’Amérique a «South Park» ou «Bojack Horseman». Le Japon regorge de séries animées pour adulte. La France, elle, restait muette, condamnée aux prod jeunesse. Un marasme secoué par le studio parisien qui a dégainé trois beaux objets trash en quelques mois. Rencontre.

    «Crisis Jung».
    «Crisis Jung».  Photo Bobbypills

    Calme plat entre deux projets. La plupart des animateurs sont partis souffler et il ne reste qu’une dizaine de trentenaires sagement affairés sur des Mac ou des tablettes graphiques. Installé dans une ancienne boîte de nuit du XXe arrondissement parisien dont subsistent le bar et ses tireuses à bière, le studio Bobbypills ressemble à l’idée qu’on se fait d’une start-up pour gens cools. Du matos rutilant, un petit studio son et des murs bardés de formidables BD, des mangas punk-bubblegum d’Atsushi Kaneko aux enluminures début XXe de Winsor McCay. Sur les vitres des salles de réunions ou sur les tableaux Velleda s’étalent des dessins de petits personnages en costume d’Adam turgescent.

    C’est de cette fourmilière endormie que sont parties, en moins de six mois, trois formidables déflagrations. Trois séries animées à destination des adultes dans un monde réservé aux enfants. Le mouvement a été initié en avril avec la sortie deVermin,qui digérait brillamment les codes du cop show en une version trash de Zootopia. Puis il y a eu, cet été, Peepoodo & The Super Fuck Friends,sorte de version porn d’un dessin animé pour les tout-petits. Et débarque cet automne le fabuleux Crisis Jung,série furieuse et psychanalytique.

    Les auteurs maison s’appellent Alexis Beaumont, Balak, Baptiste Gaubert et Jérémie Perrin (en électron libre). Plusieurs s’étaient déjà retrouvés autour de la série Lastman qui avait jailli des grilles de France 4 à la fin 2017. Un joyau produit avec des bouts de ficelles, sauvé des eaux grâce à une campagne de financement participatif, qui mettait en lumière un vide terrifian: où étaient les autres séries animées françaises à destination des adultes? Les Etats-Unis ont les Simpson depuis près de trois décennies, série matricielle à partir de laquelle ont pu fleurir les South Park, Futurama, Archer, Rick & Morty, Bojack Horseman… Une légion impertinente en perpétuel renouvellement. De la même façon, le Japon cultive depuis longtemps le versant adulte de sa production d’animation au sein de studios comme Gainax, Madhouse, Production I.G, souvent soutenus par de grandes chaînes de télé locales… Et la France ? Rien. Nada. Tandis que la planète entière loue la qualité des écoles d’animation françaises, débauchant à leur sortie, tandis que le CNC vante le dynamisme d’un secteur en quasi-plein emploi, on serait incapable de produire autre chose que des séries pour enfants. Le reste de l’Europe ne faisant pas mieux…

    Les débuts à la bien de Bobbypills, avec Vermin. (Photos Bobbypills)

    Bousculant ce statu quo, Bobbypills fait figure d’ovni. Qui donc pouvait avoir envie d’investir ce champ de ruines ? En se rendant dans leur studio, on n’avait pas anticipé que le patron de Bobbypills s’était lancé dans l’animation avec l’idée de viser la jeunesse. «Parce que c’est là qu’était le marché»,s’excuse presque David Alric. Sans connaître grand-chose à ce milieu, le jeune entrepreneur monte, en 2008, une première boîte, Bobbyprod. Après quelques années de galère, son projet se transforme au fil des rencontres.

    Le déclic s’appelle les Kassos,série parodique où Raiponce, l’inspecteur Gadget ou Pikachu défilent dans un commissariat pour diverses atteintes aux bonnes mœurs. Le format court est remarqué pour son écriture et le succès arrive avec la saison 2, qui parvient à toucher un public plus large que les habituels clients d’animation. «Canal + nous avait commandés une saison pour son site web. Mais au même moment, la chaîne s’est lancée sur YouTube et la série a accédé à une audience beaucoup plus large que prévue. Ellea permis de lancer d’autres projets. Dont Monsieur Flap, qui a aussi été un succès et était diffusé sur la chaîne YouTube de France Télé.»

    En quelques années, Bobbyprod trouve sa zone de confort dans cette cohabitation entre télé et Web. Il y a un an et demi, David Alric est contacté par Patrick Holzman, cofondateur d’Allociné et ancien directeur de Canal + international, qui «cherchait du contenu pour lancer sa plateforme Blackpills».Une plateforme gratuite, spécialisée dans les séries courtes destinées aux mobiles. «Ils ont pris les Kassos - hormis pour la France, puisque c’était chez Canal - et Holzman m’a expliqué ce qu’il cherchait : des créations pour adultes, mais ambitieuses sur l’écriture et sur les volumes de production. Du coup, on a monté une structure.» Bobbypills, donc. Lié capitalistiquement à Blackpills, pour l’instant son seul client.

    Envie de décloisonner

    Même soutenu par un «nouveau média digital», comment un studio nouveau-né parvient-il à produire trois séries de qualité en seulement un an ? De façon peu surprenante, la boîte ne compte que six CDI - deux tiers des structures qui travaillent dans l’animation comptent cinq salariés permanents ou moins. «On a mis les directeurs artistiques, Balak et Alexis Beaumont [déjà à l’écriture des Kassos], au cœur du studio. Derrière, 90 % de la masse salariale, ce sont effectivement des intermittents. L’idée, c’est de voir si on a un volume de production suffisamment récurrent pour embaucher les gens en CDI. On cherche à ne pas renouveler l’équipe à chaque fois pour que chaque série serve d’apprentissage. Ce qui permet aussi de produire comme on le fait, c’est qu’on attend des gens qu’ils soient polyvalents, qu’ils puissent faire un peu plus que ce que l’intitulé de leur poste demande.»

    A son maximum, le studio a tourné avec une cinquantaine de personnes. Pour cette première année, Bobbypills partait avec une longueur d’avance dans la mesure où deux de ses trois séries traînaient dans la tête de leurs créateurs depuis un moment. L’année à venir s’annonce plus compliquée à mener à bien avec six projets à développer. L’idée n’étant pas de se transformer en sweat-shop. «On ne veut pas devenir un studio où tu viens pointer le matin. Du coup, on cherche un second lieu pour que ça reste petit»,s’inquiète le patron. La solution de la délocalisation en Inde ou en Ukraine, comme l’ont fait tant de studios français, étant absolument hors de question.

    Le "J'en appelle à la violence" de Jung, lointain écho du "tu es déjà mort mais tu ne le sais pas encore" des années Dorothée.

    «L’animation économique, c’est difficile à réussir, interrompt Marc Aguesse. Le fondateur de Catsuka, site de référence en matière d’animation, a été débauché par Bobbypills en cours d’année. Quand tu fais tout bouger à 24 images par seconde, tu peux te permettre des dessins un peu mous. Là, on mise beaucoup sur l’acting, les poses clés et l’expressivité. Il faut être très très bon pour s’en sortir avec peu d’animation, ça demande un sens de la mise en scène, du compositing [le travail de postproduction sur les couleurs et les effets de lumière, ndlr]…»

    Aguesse poursuit : «Le plus dur, c’est de trouver des gens qui savent bien écrire et des réalisateurs. Ceux qui avaient de l’expérience sont déjà chez nous ou travaillent sur des longs métrages. Du coup, on commence à approcher des gens qui ne viennent pas de l’animation mais de la BD ou du cinéma, comme Fabien Vehlmann et Alexandre Aja.» «Juste pour discuter, interrompt Alric. Rien n’est signé, mais on trouvait ça intéressant de s’ouvrir. On a pensé à Aja parce qu’on voulait faire de l’horreur, par exemple. Et comme il partage la même culture que les gens qui travaillent ici, on touche une fibre ancienne. Ça reste un rêve de gosse de faire de l’anime.»

    En plus de cette envie de décloisonner l’animation, Bobbypills établit des ponts avec les jeunes qui sortent ou sont encore à l’école. «On a eu plein de demandes de stages durant une période de calme. On ne savait pas trop quoi leur confier, alors on a mis sur pied un training pour qu’ils conçoivent et développent un projet à eux - tout en gardant les droits à la fin.»

    Extrait de Peepoodo et les Super Fuck Friends.

    Rapidement identifié, Bobbypills se retrouve régulièrement dans la position de premier interlocuteur pour les gens qui présentent des projets destinés à un public adulte. «Tout simplement parce qu’aucun autre diffuseur ne fait ce genre de chose… Et même si on trouve que le projet n’est pas faisable ou pas assez mur, Balak et Alexis passent volontiers une soirée avec les auteurs pour leur donner quelques clés, dégrossir les choses.»

    «Tout est aseptisé»

    Lorsqu’on cherche à comprendre pourquoi la France est un no man’s land pour la série adulte, David Alric désigne sans sourciller les responsables: «Ça tient aux chaînes de télé. Ça dépend du financier, donc des diffuseurs.» «Pour les chaînes, l’animation sert à remplir des cases entre 6 et 9 heures du matin, ajoute Marc Aguesse. Ils parlent autant aux annonceurs qu’aux enfants. Il n’y a aucune ambition, tout est aseptisé.» 

    Alric rebondit : «Aux Etats-Unis et au Japon, il y a cette tradition de l’animation pour tous, enfants comme adultes. Il y a eu les Simpson, South Park… Adult Swim est une chaîne de Cartoon Network qui s’est montée exclusivement sur le créneau de l’animation adulte. Chez nous, le Club Dorothée a provoqué une crispation telle, de Familles de France à Ségolène Royal, que les chaînes se sont dit qu’elles ne voulaient plus d’emmerdes.»

    On rétorque que la fronde est vieille de trente ans, que peut-être qu’il y a prescription dans la mesure où la plupart des animateurs ont grandi devant Dorothée. «Oui, mais ils ont dû bosser sur Totally Spies! aussi», rigole Aguesse, façon de dire qu’il faut bien payer les factures. «Les chaînes ont pris goût à produire des programmes safe, diffusables dans n’importe quel sens. Les rares projets feuilletonnants c’était la croix et la bannière pour les imposer. Même quand l’interlocuteur est un résistant, comme Pierre Siracusa à France Télévisions

    Une fois qu’on aurait goûté au Web, impossible de revenir frapper à la porte des télés, en somme. Pour autant le processus de validation existe encore auprès de Blackpills. «Ils font des retours, bien sûr, mais c’est toujours constructif, explique Alric. Surtout, ils nous poussent en termes de volume. Deux semaines après la diffusion de Vermin, ils ont commandé deux autres saisons. Ça, ça n’arrive que chez Netflix…»

    La fluidité des genres illustrée par Crisis Jung.

    Le géant avec qui tout le monde voulait obtenir un rendez-vous lors du festival d’Annecy, celui qui investit à tour de bras dans l’animation mondiale, mais pas en Europe. Les ambitions internationales de Blackpills permettent aux séries du studio d’être systématiquement sous-titrées (anglais, espagnol, allemand, italien, portugais et arabe) et parfois doublées. De quoi autoriser Bobbypills à rêver à ce que son écriture hybride entre Etats-Unis et Japon trouve un écho international, le studio n’écartant pas d’élargir sa liste de clients au-delà de Blackpills. Amazon, VRV, Crunchyroll, Disney… les clients potentiels ne manquent pas.

    Les débuts de cette troisième voie ont pris la forme d’un exutoire provocateur, l’omniprésence de la violence et du sexe correspondant à la libération du joug du format jeunesse. Mais le studio ne veut pas s’enfermer dans ce schéma. La prochaine création, Nymph, est signée par Estelle Charrié, Maëva Poupard et Christelle Abgrall, et devrait trancher avec l’atmosphère de bonhomme qui colle au studio. «Et on va aussi faire une série sur le cancer», promet David Alric.

     


     

    LES TROIS SERIES DE BOBBYPILLS

    «Vermin», le cop show à l’insecticide

    Comédie policière qui pioche dans l’héritage des buddy movies, la série d’Alexis Beaumont met en scène l’arrivée dans un commissariat d’une mante-religieuse mâle, prête à se faire bouffer tout cru par la mouche alcoolique et violente qui lui tient de partenaire. Une entrée en matière incisive, volubile et crado pour Bobbypills.

    «Peepoodo», les nanimos pornos

    Peepoodo ressemble à un craquage d’animateurs qui ont passé trop de temps sur une série jeunesse et se lancent dans une version bootleg où les animaux font leur éducation sexuelle, entre stimulation prostatique et SM. Le projet dirigé par Balak devait être modeste et vite produit, il se termine en relecture furieuse d’Akira.

    «Crisis Jung», dur à queer

    Réunissant une partie de l’équipe de Lastman (Jérémie Périn et Baptiste Gaubert à la création, Jérémie Hoarau et Gaubert à la réalisation), Crisis Jung (1) est la série la plus ambitieuse de Blackpills. Une revisitation psy des errances ultraviolentes d’un Ken le Survivant dont l’imagerie virile aurait mué en objet queer. Progressant selon un système de cercles concentriques où chaque épisode viendrait scander une séance sur le divan, Crisis Jung intègre et théorise ses propres contraintes techniques pour les transformer en atouts : une animation limitée compensée par une leçon d’éclairage, une réutilisation de plans élevé au rang d’art et en parfaite adéquation avec son héritage japanime. Très affirmées mais digérées, ses références participent à forger rapidement une identité à la série plutôt que de l’étouffer sous les clins d’œil pour happy few. Un monstre magnifique.
    (1) Disponible en novembre.


     

    Marius Chapuis
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