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    Chronique «Médiatiques»

    Cyril Hanouna, c’est l’histoire d’une blague

    Par Daniel Schneidermann
    Illustration Libération

    L’annonce de la candidature «à la Coluche» de l’animateur à l’élection présidentielle de 2022 a été reprise et amplifiée sur C8. Jusqu’où les blagues peuvent-elles grossir et enfler jusqu’à flirter avec la réalité ?

    C’est l’histoire d’une blague. Une blague énorme, mais si énorme qu’on ne sait pas si on doit en rire : une candidature Hanouna à la présidentielle de 2022. Et comme on n’est jamais si bien servi que par soi-même, c’est Hanouna, dans son émission, qui consacre dix minutes au sujet : la macronie tremblerait à l’idée d’une candidature «à la Coluche» à la présidentielle de 2022. A la Coluche ? Assurément, pour Hanouna, le Coluche d’aujourd’hui, c’est lui, Cyril Hanouna (à en croire BFM TV, cependant, l’Elysée craindrait aussi l’humoriste Jean-Marie Bigard). Apparemment la blague est née des confidences anonymes de deux ministres.

    A peine cette blague est-elle lancée, que survient une blague dans la blague. Sur le plateau du même Hanouna, le député non inscrit (ex-LREM) Joachim Son-Forget lance sa propre candidature à la présidentielle de 2022, pour laquelle il tend la main à Alexandre Benalla et… à Cyril Hanouna lui-même. «Les personnes, c’est pas grave, c’est le projet qui compte. Et si demain c’est pas moi, si les Français te demandent, Cyril, je t’aiderai !» C’est ce même Joachim Son-Forget qui, quelques jours plus tard, tweetera un lien vers des vidéos sexuelles du candidat LREM à la mairie de Paris, Benjamin Griveaux, amenant ce dernier à renoncer à sa candidature. Ces vidéos ont été initialement mises en ligne par l’artiste opposant russe Piotr Pavlenski, lequel est défendu par l’avocat Juan Branco. Aux dernières nouvelles (mais tout va si vite !) ni Pavlenski ni Branco n’ont encore annoncé leur candidature à la présidentielle de 2022. Alexandre Benalla n’a pas encore fait connaître sa préférence.

    Mais revenons à Hanouna. Son émission relate dans le détail la montée de l’hypothèse Hanouna, très sérieusement, sous l’œil aquilin d’Hanouna lui-même, lequel (déjà dans le surplomb de son rôle ?) reste prudemment extérieur à la blague. Il ne dit pas ce qu’il en pense. Tout juste se réjouit-il de recueillir un soutien ici, ou s’afflige-t-il d’une critique là. Imperturbable, il observe monter vers lui l’appel unanime de ses chroniqueurs. «Les Français veulent des gens qui ont connu des choses», lance celui que l’on avait déjà repéré dans l’épisode hanounien dit des «nouilles dans le slip». «Votre puissance sur les réseaux sociaux, c’est du jamais-vu en France», constate un autre. «Les politiques sont tous en panique parce qu’ils sentent qu’il y a une place à prendre», renchérit l’ex-animateur de Loft Story. «Attention Cyril si vous croisez un camion», avertit avec sollicitude un troisième.

    Pour l’émission d’Hanouna, le reporter-blague Cyrille Eldin va sonder au Parlement les députés blagueurs qui traînent dans la salle des Quatre-Colonnes. «Si Hanouna a cette cote de popularité, c’est qu’il a donné la parole aux gilets jaunes, et qu’il lâche pas l’affaire sur le fait qu’on peut tous vivre ensemble quelles que soient nos convictions spirituelles», analyse l’insoumis Alexis Corbière (époux de la chroniqueuse d’Hanouna Raquel Garrido, pressentie d’après nos sources pour un portefeuille régalien).

    Evidemment, cette blague est d’abord une géniale trouvaille intra-Bolloré, qui va rebondir sur tous les plateaux du groupe. Morandini va interroger Zemmour sur le sujet, lequel interrogera Hanouna, lequel interrogera Morandini, tous ces entretiens feignant d’oublier la règle des 500 parrainages de maires, en vertu de laquelle il est peu probable qu’aucune de ces candidatures aille jamais à son terme. Evidemment, sans doute suffira-t-il que Vincent Bolloré siffle la fin de la récré pour que la troupe de cette dystopie rentre à la niche.

    Mais voilà. On ne peut plus désormais considérer une blague innocemment. Hier encore, la blague n’était qu’une blague. La blague pouvait chatouiller les choses sérieuses (Karl Zéro, le Canard enchaîné), mais elle ne pouvait pas «s’emparer» de l’univers sérieux, elle devait rester à la place du bouffon. La fin amère de l’aventure Coluche, torpillée par la censure du pouvoir et les manipulations des Renseignements généraux, démontra que la blague, dans l’ancien monde, devait rester une blague. Depuis Grillo en Italie ou Zelensky en Ukraine, depuis Trump surtout, on sait que c’est fini. La blague peut grossir et enfler, jusqu’à cannibaliser le monde sérieux. De toute cette troupe de mutants qui s’ordonne sous nos yeux, il est devenu difficile de rire.

    Daniel Schneidermann
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