Le kan ha diskan

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Le kan ha diskan
Description: 

 

 

Yann-Fañch Kemener et Erik Marchand © Patrice Dalmagne

Chant et déchant ou chant et re-chant, le kan ha diskan n’est ni un rythme, ni une émotion particulière, ni un genre ou un style musical. C’est tout simplement une technique vocale a cappella, bien connue des musicologues sous le nom de tuilage. Traditionnellement pratiqué jusqu’au premier tiers du XXe siècle par les paysans de Haute-Cornouaille, au centre de la Basse-Bretagne, le kan ha diskan connaît, depuis les années 1950, un fort regain soutenu par le renouveau des festoù-noz (bals publics de danses bretonnes).

Ce principe vocal à deux ou plusieurs chanteurs permet de maintenir un flux mélodique continu en alternant les passages de solistes et ceux de brefs duos à l’unisson, sans qu’il n’y ait le moindre silence entre les phrases. L’image de la superposition partielle des « tuiles » les unes sur les autres est assez parlante. En effet, le kan ha diskan mobilise au moins deux chanteurs.

Le meneur, kaner, chante la première phrase mélodique et est rejoint par le répondeur, diskaner, avant même d’avoir achevé son énoncé mélodique. De sorte qu’à la fin de la première phrase les deux chanteurs forment un petit chœur sur quelques notes.

Le diskaner reprend alors seul l’intégralité de la première phrase. Pendant ce temps, le kaner se tait, ménage son souffle. Il réfléchit déjà à la phrase suivante et se prépare pour intervenir avec son compère avant que celui-ci n’ait terminé, provoquant un nouveau duo très court. Puis, le kaner attaque seul la phrase suivante, qui sera reprise selon le même procédé de chevauchement des voix.

Notre première phrase mélodique a donc été chantée deux fois, d’abord par le kaner, et, immédiatement après, par le diskaner. A chaque fin de phrase, kaner et diskaner se retrouvent à l’unisson. L’alternance de solos et de brefs duos se maintiendra jusqu’à sa fin du chant.

Dans la tradition paysanne, la technique du kan ha diskan s’appliquait à une très large partie du répertoire chanté : marche, travail, danse, mais aussi chants à écouter à la veillée ou de circonstance, comme au cours d’un repas de noce par exemple. Après la Première Guerre mondiale, l’exode rural, la mécanisation agricole et les profonds changements sociaux qui s’en suivirent mirent en péril la subsistance de bon nombre de traditions populaires rurales.

Les danses accompagnées à la voix se laissèrent largement surpasser par celles menées par les instruments (biniou, bombarde, clarinette, violon, accordéon, saxophone). Dès les années 1930, le kan ha diskan devint rare chez les jeunes. Alors que les études menées par les collecteurs et folkloristes sur les traditions orales de Bretagne furent extrêmement nombreuses aux XIX-XXes siècles, très peu d’observateurs relevèrent la présence du kan ha diskan en Basse-Bretagne.

Louis-Albert Bourgault-Ducoudray l’évoque brièvement en 1885 (Trente mélodies populaires de Basse-Bretagne, Paris, Lemoine & fils, 1885). Claudie Marcel-Dubois n’en recueille qu’un seul cas en 1939. C’est surtout grâce à l’action militante de Loeiz Ropars (1921-2007, Loeiz Paotr ar festoù-noz – Le Rénovateur du fest-noz, Emgleo Breiz, 2011) et aux travaux autorisés de Jean-Michel Guilcher (La Tradition populaire de danse en Basse-Bretagne, Paris-La Haye, Mouton-Ecole Pratique des Hautes Études, 1963, 1997) que l’expression kan ha diskan est créée et la pratique relancée.

L’invention du fest-noz moderne —le 26 décembre 1954 à Poullaouen, village natal de Loeiz Ropars, au cœur de la Bretagne— offre au kan ha diskan une nouvelle tribune pour retrouver son public. C’est pourquoi, cette technique de tuilage, qui demande une bonne synchronisation et une  connaissance parfaite des paroles du chant, ne subsiste à l’heure actuelle que dans l’accompagnement des danses de Haute-Cornouaille : suites gavottes, plinn et fisel, kost ar c’hoat, pachpi, etc.

Des disques vinyles gravés par la maison Mouez Breiz (voix de Bretagne), puis Ar Folk, la Coop Breizh, Dastum et d’autres, valorisent les voix des chanteurs de l’ancienne et des nouvelles générations : Catherine Guern, François Menez, Pierre Huiban, Roger Le Béon, les trois sœurs Goädec, Lomig Doniou, Mme Vève, Manu Kerjean, Bastien Guern, les trois frères Morvan, Marcel Guilloux, Yann-Fañch Kemener, Erik Marchand, Annie Ebrel, Marthe Vassalo, Iffig Troädeg et des dizaines d’autres. Grâce à ces chanteurs militants, souvent bénévoles, le kan ha diskan et la force motrice que cette technique vocale dégage continuent de fasciner danseurs et auditeurs en Bretagne et bien au-delà.

Par Yves Defrance | akhaba.com

Brest, Espace Vauban, 19 novembre 2011: après les rythmes éthiopiens du Badume's Band, Annie Ebrel et Erik Marchand remettent les pendules à l'heure bretonne.

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