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Comptes rendus
Moyen Age

Geiler de Kaysersberg (Jean), La Nef des sages, sermons choisis par Francis Rapp et traduits par Christiane Koch, préface de Francis Rapp et Le Civet de lièvre, traités choisis par Francis Rapp et traduits par Christiane Koch, préface de Joseph Doré

Arfuyen, Paris-Orbey, 2008
Élisabeth Clementz
p. 489-491
Référence(s) :

Geiler de Kaysersberg (Jean), La Nef des sages, sermons choisis par Francis Rapp et traduits par Christiane Koch, préface de Francis Rapp et Le Civet de lièvre, traités choisis par Francis Rapp et traduits par Christiane Koch, préface de Joseph Doré, Arfuyen, Paris-Orbey, 2008

Texte intégral

1Le premier ouvrage présente dans sa préface (p. 9 à 29) la biographie et l’univers mental de Johannes Geiler von Kaysersberg, le célèbre prédicateur de la cathédrale en fonction de 1478 à 1510. Dans cette introduction, Francis Rapp nous livre le portrait savoureux d’un homme de chair et de sang, aux prises avec les problèmes de son époque. C’est du haut de la chaire sculptée en 1485 par Hans Hammer que Geiler essaie d’extirper les vices de ses contemporains. Personne ne trouve grâce à ses yeux : ni les laïcs, ni les religieux, ni les prêtres, ni les évêques, ni les pauvres, ni les riches, ni même les prédicateurs ! L’art de la formule que Geiler maniait avec tant de dextérité a probablement indisposé et choqué plus d’un de ses auditeurs. En 1481, lors d’une période de disette, il s’adresse aux pauvres en ces termes : « armez-vous de haches, allez vous servir chez ceux qui ont trop de ce qui vous manque ». Une autre fois, il aborde le problème du relâchement des mœurs dans nombre de couvents non réformés. Du haut de sa chaire, il met les parents en garde contre ces couvents qui n’ont pas adhéré à la stricte observance : « n’y mettez pas vos enfants », tonne-t-il, « les filles deviendraient plus vicieuses que des prostituées, et les garçons, les pires voyous ». Comme le suggèrent ces exemples, l’auteur de la préface a sélectionné judicieusement les formules parfois osées, toujours décapantes utilisées par le célèbre doctor im Münster. Il analyse également pour le lecteur les différentes techniques utilisées par Geiler pour rendre ses sermons incisifs et percutants. Le recours aux symboles et aux allégories est l’une d’entre elles. C’est ainsi qu’au début du Carême 1504, il prononce une série de sermons construits autour du thème des fourmis (Emeis). Partant de leur petitesse, signe d’humilité, Geiler invite ses auditeurs à ne pas mépriser les petits, car, pour lui, les gens humbles ont souvent reçu de Dieu plus de dons que ceux qui se croient pleins d’esprit. Il évoque encore la sagesse des fourmis, leur intelligence et leur savoir-faire pour construire une fourmilière. Aux yeux de Geiler, cette dernière symbolise le rassemblement de toute la chrétienté. Comme la fourmi arrange des pièces à l’intérieur de la fourmilière, les gens réunis en concile doivent faire de la chrétienté un édifice solide et viable. De fil en aiguille, Geiler en arrive à ce qui lui tient le plus à cœur : la réforme de l’Eglise. Il s’agit là d’une entreprise difficile. « Réformer la chrétienté est très dur, écrit-il. Aucun concile n’a trouvé la voie pour y arriver ». Autre constatation qui n’est pas dénuée d’amertume : « le concile de Bâle dans sa totalité n’a pas été assez puissant pour réformer un seul couvent de femmes dans une ville, parce que cette ville avait pris le parti des femmes. Comment un concile réformerait-il alors la chrétienté ? ». Déçu par l’action d’Albrecht von Bayern, évêque de Strasbourg de 1478 à 1506, Geiler n’hésite pas à s’en prendre aux évêques en général. « Ils devraient s’attacher entièrement à Dieu et laisser tomber tout le reste. Mais ils font plutôt le contraire ; ils ont tant à faire avec les affaires de ce monde, qu’ils sont occupés toute la journée ; ils ont à peine le temps de respecter les temps de prière et de souffler ; ils doivent juger des affaires de cinq sous, avoir le bâton en main, tant s’agiter qu’ils ne peuvent tourner leur cœur vers Dieu. Cela est indigne d’eux, ils valent plus ; ils devraient avoir honte ». Toute l’œuvre de Geiler est tendue vers ce but unique : promouvoir la réforme de l’Eglise, in capite et in membris.

2Le cycle de sermons intitulé « Le Civet de Lièvre » (Der Has im Pfeffer), prononcés pour les Dominicaines de Sainte-Catherine de Strasbourg en 1502 relève de la même veine. Geiler fait le parallèle entre un conventuel agréable à Dieu et le petit rongeur aux pattes postérieures puissantes qui lui permettent d’aller vite et de distancer ses éventuels prédateurs. Pour Geiler, tout être spirituel doit imiter le lièvre et courir pour faire de bonnes œuvres. Comme il arrive au lièvre d’être poursuivi par une meute de chiens, les esprits mauvais sont une menace constante pour le chrétien. Dans les situations délicates, le lièvre met tout son espoir dans la fuite. En cela aussi, il doit être un modèle pour le chrétien qui doit s’appliquer à fuir le vice de l’impureté. La comparaison entre le chrétien et le lièvre devient encore plus hardie quand on en arrive au dépiautage de ce dernier. Pour Geiler, il faut aussi tirer la peau par-dessus les oreilles de l’être humain spirituel, le larder et le rôtir, bien l’assaisonner pour pouvoir le manger. Il y a des peaux rebelles – la richesse, la volonté propre – qui empêchent la grâce de pénétrer. Une fois de plus, par ce cycle de sermons, Geiler explique comment il conçoit une vie conventuelle vertueuse. A ses yeux, il n’y a pas de véritable réforme des couvents sans clôture. En effet, seuls de hauts murs sont capables de garantir la régularité. Par ailleurs, l’observation du silence, la table et le vestiaire communs sont indispensables pour une vie conventuelle harmonieuse. Au sujet du vestiaire, Geiler ajoute : « aucune ne doit garder des habits au fond de sa cellule. Elle s’y cramponnerait, comme le fait un pou sur sa tête ». Ce cycle de sermons s’achève sur une note optimiste : « lorsque toutes ces choses ont été faites, que le civet et le lièvre sont bien préparés, on les met dans deux plats en or et on les porte à la table du roi ; là, ils sont reçus et mangés avec joie. Quand une personne chrétienne authentique est préparée selon les étapes qui viennent d’être dites, elle est élevée par les mains des saints anges dans la félicité éternelle devant la face du roi céleste ; elle est portée entre deux plats de gloire, un pour le corps et un pour l’âme ». Comme le propose Mgr Joseph Doré à la fin de sa préface, on ne peut qu’inviter le lecteur à savourer ce « civet de lièvre » ! La dégustation est d’autant plus agréable que la traduction faite par Christiane Koch est réussie. Il n’est pas facile de rendre en français la langue colorée de celui qui se définissait comme un « veilleur sur la tour ». On aurait éventuellement pu rajouter dans la bibliographie concernant Geiler l’ouvrage de Rita Voltmer dont le titre est justement « Wie ein Wächter auf dem Turm ».

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Pour citer cet article

Référence papier

Élisabeth Clementz, « Geiler de Kaysersberg (Jean), La Nef des sages, sermons choisis par Francis Rapp et traduits par Christiane Koch, préface de Francis Rapp et Le Civet de lièvre, traités choisis par Francis Rapp et traduits par Christiane Koch, préface de Joseph Doré », Revue d’Alsace, 135 | 2009, 489-491.

Référence électronique

Élisabeth Clementz, « Geiler de Kaysersberg (Jean), La Nef des sages, sermons choisis par Francis Rapp et traduits par Christiane Koch, préface de Francis Rapp et Le Civet de lièvre, traités choisis par Francis Rapp et traduits par Christiane Koch, préface de Joseph Doré », Revue d’Alsace [En ligne], 135 | 2009, mis en ligne le 01 janvier 2012, consulté le 10 juin 2020. URL : http://journals.openedition.org/alsace/420

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Auteur

Élisabeth Clementz

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