Super Nanny s’est battue jusqu’au bout

Paris Match ||Mis à jour le
Elisabeth Sancey
Franck Camhi / M6

Cathy Sarrai était devenue une légende de la télévision. Une première fois, elle avait vaincu le cancer. Mais la « sale maladie » est revenue. Et malgré son combat, le destin a foudroyé cette femme hors du commun

«Tu fais quoi, là?» Au bout du fil, Super Nanny a l’air de prendre des nouvelles, comme d’habitude. C’est l’été, le mois d’août 2009. Son amie et coiffeuse Aouatef est en train de préparer un repas pour rompre le jeûne du Ramadan. Elle cale le téléphone contre son oreille. «Je fais la cuisine.» «Quand tu as fini, viens me voir, je suis à l’hôpital. J’ai la sale maladie.» «J’ai tout arrêté, raconte Aouatef, et j’ai foncé… De nombreux organes étaient touchés. Elle avait 80% de chance de s’en sortir. Elle trouvait ça énorme, et était pleine d’espoir. Mais 20% de chance de mourir, c’est beaucoup…»

Malade, Super Nanny… Sur ce lit d’hôpital, se bat une star cathodique qui fascine toutes les générations, un amour de femme qui a voué sa vie à l’éducation des enfants et de leurs parents. Elle ne lâche rien: la nounou chevronnée croit en son destin, déjà extraordinaire. Une baronne qui lui apprend ce qu’est un «miroir» dans le parc d’un château – un étang dans lequel se reflète en entier le bâtiment-; une chanteuse célèbre qui, nue, lui ouvre la porte, et sniffe un rail de coke, enceinte ; un prince levantin qui vit entouré de «nounous» mannequins dans une demeure perdue dans le centre de la France et tombe amoureux d’elle… Sur son chemin, Cathy Sarraï a croisé des personnages de roman, entre Agatha Christie et « Eyes Wide Shut ». L’heure de mettre le mot «fin» en bas de la page n’est pas venue, elle en est sûre.

Une semaine avant sa mort, elle disait à l’équipe de «Super Nanny» qu’elle allait partir aux îles Fidji. Avec son amie Aouatef, elle avait prévu de s’envoler direction Istanbul pour une semaine de shopping et de sorties endiablées, comme elle les aimait, dans la douceur du printemps.

Aujourd’hui, elle repose dans sa terre natale, Tunis, auprès de sa mère, partie comme elle beaucoup trop tôt, à 54 ans, emportée par un cancer du sein. Cathy — Keltoum de son vrai nom, qu’elle adorait — n’avait que 47 ans. Cancer des poumons. Une récidive du crabe, dix ans après une première alerte.

«Quand on a dû suspendre le tournage de “Super Nanny”, à l’automne dernier, se souvient Bibiane Godfroid, directrice des programmes chez M6, elle trouvait toujours des excuses pour expliquer son absence. Elle faisait tout pour qu’on ne sache rien.» Commencent la chimiothérapie et les allers-retours à l’hôpital de Saint-Cloud. Mais le traitement ne prend pas. En décembre, son état se dégrade. Alors seulement, elle commence à accepter de parler d’enterrement. Personne n’avait imaginé qu’elle s’en irait si vite. Son agent, Amir Zogib, installé en Suisse, avait prévu de venir la semaine suivante. Cinq jours avant de s’éteindre, elle lui avait dit qu’elle reprenait le dessus, et qu’elle se réjouissait de déjeuner avec lui à Paris.

Mercredi 20 janvier, dans les minutes qui suivent l’annonce du drame, des milliers de fans de toute l’Europe et du Maghreb se constituent en groupe sur Facebook et Twitter. Les jeunes mamans partagent leur tristesse: «C’est comme si on la connaissait: par le biais de ses conseils, on la faisait entrer dans notre vie…» «J’aurai toujours une pensée pour elle quand je dirai à Elynn son célèbre “1,2,3…” pour me faire obéir.» Elodie Bardot, 10 ans, chez qui Super Nanny a tourné un de ses derniers épisodes, en juillet, a encore du mal à croire que sa nounou de choc n’est plus. «Elle m’a appris le respect», rappelle-t-elle de sa petite voix.

De l’autre côté de la Méditerranée, «les enfants la pleurent», nous raconte Faiza, célèbre chanteuse tunisienne, proche de Keltoum. «L’émotion est immense, ici, comme en France. Elle était très populaire dans son pays, avec son programme sur Hannibal TV. Quand j’étais de passage à Paris, je pouvais compter sur elle, pour n’importe quoi, n’importe quand. Elle était si courageuse… Au téléphone, elle me disait: “Inch’Allah, je vais m’en sortir!”.»

Jeudi 21 janvier, l’agent de Cathy saute dans le premier avion pour rallier Tunis, via l’Italie, et être à temps aux funérailles. Dans la matinée, les policiers contiennent la foule devant le cimetière Sidi-Salah du Bardo. Le clan soudé de Keltoum n’a pas donné d’heure précise, pour éviter la marée humaine. Il arrive aux alentours de 15 heures. La cérémonie est sobre et digne. Parmi les hommes en deuil, des représentants de l’Etat. Parce qu’elle était une figure nationale, mais aussi parce qu’elle s’est occupée du fils unique du président, Mohamed Zine el-Abidine Ben Ali, né le 20 février 2005.

Cette autodidacte était fière d’appartenir à «une dynastie de femmes fortes»

Surprenante Cathy. Le public connaissait la Mary Poppins blonde aux manières de grande bourgeoise, si drôle avec ses airs de majordome flegmatique et ses phrases cultes, prononcées le doigt levé, dans un léger accent oriental: «Ecoute-moi bien, jeune fille» ou «on n’achète pas des enfants avec de la ratatouille!» Sœur Sourire déguisée en mère supérieure. Mais nombreux sont les Français qui ont découvert son histoire après son décès. Partie de rien, cette autodidacte était fière d’appartenir à «une dynastie de femmes fortes», comme elle l’écrit dans son autobiographie («Cathy, une vie hors du commun», M6 éditions). Son arrière-grand-mère Fatima, une paysanne centenaire, qui «mène sa vie comme elle l’entend»; sa grand-mère Mima, mariée à 10 ans, maman à 14; et sa mère, qui a tenu tête à son médecin pour qu’il lui ligature les trompes après huit enfants, «à une époque où la pilule faisait à peine son apparition en Europe…» De ces femmes volontaires, Super Nanny est l’héritière: elle a pris sa revanche sur la vie.

Keltoum Sarrai est fiancée à 13 ans au fils d’une élégante passante qui l’a repérée dans la rue. Alors qu’elle vient de «décrocher haut la main le diplôme d’études secondaires, habituellement réservé aux garçons», elle se retrouve pendant trois ans nounou de ses sept frères et sœurs, pour «parfaire son éducation de maîtresse de maison». Le 20 septembre 1979, cinq jours avant ses 17 ans, la très jeune mariée s’envole vers Paris. Triste eldorado, où elle mène une vie de recluse, sous la coupe de sa belle-mère. Mais, discrètement, elle gagne une parcelle d’autonomie en s’inscrivant à la Caisse d’allocations familiales, avec l’aide d’une «charmante vieille dame» rencontrée dans un square. Répudié, le jeune couple se réfugie dans un minuscule hôtel. Keltoum apprend le français en regardant la télévision et demande à ses employeurs de corriger ses fautes. Cantinière dans une école maternelle, elle grimpe les échelons sans formation, comme sa mère, de femme de ménage à éducatrice dans un foyer de jeunes délinquants.

Elle est déjà une wonder woman en uniforme: en trouvant les mots justes, elle sauve un garçon de 11 ans qui s’apprêtait à se jeter du toit:
« C’est toi qui a volé le passe pour monter là-haut? lui demande-t-elle.
– Oui.
– Donne-le moi, je te couvrirai, je dirai que je l’ai trouvé sous un lit.
– Tu ferais ça?
– Bien sûr.»
Il est redescendu.

Super Nanny était fière de ses enfants

Des «journalistes célèbres», enchantés de leur nurse, lui offrent de quoi passer le Bafa et un CAP petite enfance, qu’elle obtient avec mention. Aujourd’hui, son dossier totalise des dizaines de lettres de comtesses et d’autres représentants de familles aristocratiques qui disent toutes la même chose: «Cathy est parfaite, je la recommande en tout point.» «Elle s’est occupée admirablement du nouveau-né, tant pour la gestion des biberons que pour l’éveil, alliant douceur et fermeté. Elle a pris soin de la sœur aînée avec beaucoup d’intelligence, et s’est révélée vis-à-vis de nous d’une courtoisie parfaite. Les liens qui se sont tissés entre nous sont devenus une amitié profonde.» «Sensible, de bon conseil, grand soutien médical et moral…» Et enfin, victoire suprême: «Elle est d’une grande éducation.»

Elle n’était pas actrice de télé, juste nurse. «Elle a hésité avant de nous dire oui, se souvient Bibiane Godfroid, parce qu’elle se demandait comment elle allait l’annoncer aux petits dont elle s’occupait alors.» Grâce à ses cachets, «elle a pu gâter les siens. J’ai bien conscience d’avoir changé la vie de cette femme, c’est pourquoi j’ai tenu à être présente aux funérailles.» Super Nanny était fière de ses enfants, «beaux et sérieux»: Eptissem, l’aînée, qu’elle a eue à 18 ans, Najoua, et Hamadi, le cadet, qui vivait avec elle dans l’ouest parisien, près des deux sœurs. «Elle n’a pas changé, confie-t-il à la télévision tunisienne. Elle était entière.»

Récemment divorcée de son mari — auquel elle s’était sincèrement attachée au fil des ans —, elle a écrit les dernières lignes de sa vie avec passion. Grande amoureuse, elle aimait faire la fête «dans les boîtes arabes, raconte Aouatef, et se fichait du regard des autres». «Dans la vie, écrit-elle dans ses mémoires, on m’a toujours imposé le début des choses, la première lettre du paragraphe. A partir de là, j’ai toujours trouvé ma voie, pris des chemins de traverse, et je ne le regrette pas une seconde!»
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