ÉNERGIE

Le gaz de schiste, ce n'est pas qu'une histoire d'eau

AFP

Alors que les recherches sur des techniques d’extraction du gaz de schiste censées être plus "écolos" que la fracturation à l’eau avancent, des Verts français ont déposé une proposition de loi pour bouter cette énergie hors de France.

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Pour les écologistes français, il n’y a pas qu’un hic à la fracturation hydraulique. Ce sont toutes les techniques possibles d’extraction du gaz de schiste qu’il faudrait interdire sur le territoire français. Tel est le sens d’une nouvelle proposition de loi déposée, mardi 11 décembre, par le député Europe Écologie-Les Verts (EELV), François-Michel Lambert.

Que se passe-t-il actuellement au Mexique ? Au nord-est de Mexico, l’entreprise américaine Chimera Energy devrait, dans les prochains jours, commencer la première expérience d’extraction non-hydraulique. Elle avait reçu, en septembre dernier, l’autorisation des autorités du pays pour lancer son opération et avait assuré que tout serait prêt “dans les 90 jours”.

Trois mois plus tard, on sait peu de chose sur la technique utilisée par le groupe texan, sinon qu’elle serait, d’après lui, “révolutionnaire et sans danger pour l’environnement” et qu'elle remplacerait l’extraction hydraulique car “elle fonctionne avec les installations déjà existantes”.

Une promesse qui passerait par une extraction sans aucune utilisation d’eau. “Il semblerait qu’il compte utiliser un gaz injecté en profondeur dont la combustion produit une forte chaleur. En conséquence, la roche se dilate et se fracture. Du pumice (une sorte de sable) est injecté dans les fractures pour les maintenir ouvertes et drainer alors le méthane vers le puits de production et la surface”, explique le géologue française François Renard.

Reste que cette technique est délicate à mettre en œuvre car “le transport de chaleur est difficile dans les roches qui sont de très bons isolants”, remarque le spécialiste. Quand à l’impact sur l’environnement, il dépend de l’origine et de la composition du gaz mystère utilisé.

Celle-ci vise à interdire “l'exploration et l'exploitation des hydrocarbures non conventionnels (...) par quelque technique que ce soit”. Un texte qui ferait du controversé gaz de schiste une énergie non grata sur tout le territoire français, même si d’autres manières plus “vertes” de l’exploiter venaient à être mises au point. Histoire de bien enfoncer le clou, la proposition de loi prévoit une amende d’un million d’euros pour tout contrevenant...

Une manière de sanctuariser le sol et le sous-sol français qui arrive à point nommé pour les opposants à l’exploitation de cette énergie non conventionnelle. Un an après la loi française qui interdit la fracturation hydraulique, les recherches sur des techniques d’extraction de gaz de schiste censées être plus soucieuses de l’environnement gagnent, en effet, en popularité. François Hollande avait ainsi indiqué, au début de novembre, qu'il "prendrait ses responsabilités" si des techniques "propres" d'extraction venaient à voir le jour.

Moins d’eau, moins de vagues ?

En fait, il existe plusieurs techniques alternatives d’extraction aujourd'hui à l’étude. “Les trois principales reposent sur une fracturation à l’air, au propane ou à l’aide d’arcs électriques”, explique à FRANCE 24 François Renard, géologue à l’université de Grenoble. À l’heure actuelle, la fracturation au propane serait la plus avancée. Dans ces scénarios, ce sont des gaz (air), des liquides (propane) ou de l’électricité qui serviraient à fissurer la roche pour atteindre les réserves de gaz de schiste.

Toutes ces méthodes tentent d’éviter au maximum d’avoir recours à l’eau, qui est au cœur de la fracturation hydraulique. C’est, en effet, là que le bât écologique blesse le plus, selon ce spécialiste. Un puits d’exploitation du gaz de schiste par fracturation hydraulique nécessite ainsi d’injecter, selon sa taille, entre 3 000 et 30 000 m3 d’eau... “20 % de cette eau - qui a été polluée durant le processus de fracturation par lessivage de la roche - remonte avec le gaz de schiste. C’est cette eau qui se déverse à la surface et qu’on doit traiter qui pose le plus gros problème environnemental”, explique François Renard.

Une solution écologiquement acceptable au casse-tête du gaz de schiste serait donc dans les tuyaux ? Il convient de ne pas aller aussi vite en besogne... Aucune des méthodes alternatives actuellement à l’étude ne fonctionne sans intervention d'eau - à un stade ou à un autre. Le processus de fracturation ou de fissuration de la roche pour atteindre le précieux gaz rencontrera forcément, quelque part en sous-sol, de l’eau qui s’infiltrera dans le puits d’extraction et remontera, polluée, à la surface. "Il s'agit en fait de moyens qui cherchent à limiter le recours à l’eau plutôt que de s’en passer totalement”, note François Renard.

D’après lui, les recherches actuellement en cours tentent de rendre également les puits plus étanches afin d’éviter, précisément, cette intrusion d’eau polluée lors du processus d’extraction. Un effort à faire qui permettrait par ailleurs de répondre à l’autre grande critique des opposants au gaz de schiste : son impact sur l'effet de serre. “Il y a, en l’état actuel des techniques d’extraction, jusqu’à 10 % de fuite de gaz de schiste, un gaz a fort effet de serre“, rappelle à FRANCE 24 François-Michel Lambert, le député à l’origine de la proposition de loi pour bouter cette énergie hors du débat français.

Un creuset à emplois

Autant d’obstacles pour éventuellement rabibocher les deux camps qui sont loin d’être franchis. À l'exception d'une mystérieuse initiative au Mexique (voir encadré), il n'y a pas de test grandeur nature de ces nouvelles techniques. “Les recherches sont menées uniquement par des groupes privés et on ne sait absolument pas ni où ils en sont, ni quels sont les problèmes rencontrés”, souligne François Renard. François-Michel Lambert s’attend, lui, à ce que les techniques alternatives soient “opérationnelles d’ici cinq à dix ans”. Mais même alors, les grands groupes devront encore mettre sur la table plusieurs millions d’euros pour l'exploration du sous-sol et entre 20 et 50 millions d’euros pour construire un puits d’extraction.

D’après François Renard, la controverse survivrait à la résolution éventuelle de tous ces problèmes. “Derrière le gaz de schiste, c’est en effet la question du modèle énergétique de demain qui se pose”, résume le géologue. Une problématique au cœur de la proposition de loi soumise par François-Michel Lambert... Au-delà du débat scientifique, “c’est un texte politique pour dire que nous trouvons aberrant de continuer à mettre des moyens dans la recherche pour exploiter des ressources épuisables alors que nous pourrions, avec cette interdiction, inciter les entreprises à dépenser plus pour travailler sur des énergies renouvelables”, résume le député EELV.

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La chasse au schiste

Reste une question : en cette période de marasme économique, la France a-t-elle réellement les moyens de s’offrir le luxe de ce choix ? Il y a une raison si, aux États-Unis, les gaz de schistes représentent 23 % de la production totale de gaz. Elle est économique : la découverte et l’exploitation de cet hydrocarbure non-conventionel dont regorgent les sols américains (environ 28 trillions de m3...) a fait fortement baisser le prix du gaz et, du même coup, celui de la facture énergétique des ménages.

C’est en outre un creuset à emplois nouveaux. “Dans le seul secteur de l’extraction, 148 000 emplois ont d’ores et déjà été créés depuis 2010”, affirmait, le 28 novembre, au quotidien français Libération, Amy Myers Jaffe, directrice du département de l’énergie à l’université californienne de UC Davis. La carotte de l’emploi retrouvé est, forcément, un argument porteur en temps de fort chômage comme c'est le cas en France actuellement. C’est ainsi que le cabinet de management international Sia-Conseil a rendu public, le 19 septembre, un rapport affirmant que l’exploitation du gaz de schiste permettrait de créer 100 000 emplois dans l'Hexagone à l'horizon 2020.

Mais les opposants au gaz de schiste mettent en garde contre ce qu’ils considèrent comme une vision court-termiste de la question. “Aux États-Unis, des réserves commencent à être épuisées. Qu’advient-il alors des emplois ?”, interroge François-Michel Lambert. Pour lui, on n’a même pas encore commencé à explorer le potentiel en terme d’emplois du développement des énergies renouvelables. Pour ce faire, il faudrait donc forcer la main aux entreprises et fermer définitivement la porte française au gaz de schiste. Quitte à heurter, du moins dans un premier temps, tous ceux qui, frappés par la crise, pourraient trouver qu’un emploi vaut bien quelques fissures dans le sol.

Et s'il n'y avait pas (ou peu) de gaz de schiste en France ?

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