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    Interview

    Pascal Lissouba, un président scientifique «qui a buté sur la realpolitik»

    Par Célian Macé
    Pascal Lissouba à Abidjan, le 27 septembre 1992.
    Pascal Lissouba à Abidjan, le 27 septembre 1992. AFP

    Le géographe gabonais Serge Loungou retrace la vie politique de l'ex-chef d'Etat congolais, décédé lundi en France.

    L’ancien président du Congo-Brazzaville Pascal Lissouba est mort lundi à Perpignan, à 88 ans. Depuis vingt-trois ans, il vivait en exil après avoir été chassé du pouvoir par l’actuel chef de l’Etat, Denis Sassou-Nguesso. Maître de conférences en géographie politique à l’université de Libreville, Serge Loungou revient, «en voisin observateur», sur la trajectoire heurtée du «professeur président».

    D’où est originaire Pascal Lissouba ? Est-il marqué par son territoire, sa famille, sa formation ?

    Il est né au début des années 30, dans le sud-ouest du Congo, au sein d'une famille rurale Nzebi, qui est une communauté ethnique à cheval entre le Gabon et le Congo. Mais il a suivi un cursus universitaire, chose rare à l’époque, pour passer un diplôme d’ingénieur agronome. Il a poursuivi ses études dans le domaine des sciences naturelles. Cette rigueur scientifique l’a accompagné au cours de sa vie politique : on le surnommait le «professeur président».

    Premier ministre de 1963 à 1966, puis président de 1992 à 1997, quel gestionnaire était-il ?

    Pascal Lissouba était un doctrinaire, une tête pensante. En 1963, le Congo vient de basculer dans le camp communiste et Lissouba est le chef d’orchestre de la socialisation du pays, qui a été, sur le plan économique, un échec retentissant. A son retour au pouvoir, vingt ans plus tard, la donne a changé : la guerre froide est terminée et, en Afrique, le marxisme est un lointain souvenir. Lissouba, cependant, va tenter de bousculer l’ordre géopolitique établi en redistribuant les cartes de la rente pétrolière. Une initiative certainement louable, dictée par le nationalisme qui le guidait. Le Congo est assis sur d’immenses richesses, dont le pétrole, chasse gardée du groupe français Elf. Or Lissouba va faire des appels du pied aux Américains, un affront qu’on ne lui a jamais pardonné. C’était un président «aérien», presque naïf parfois, qui a buté sur la «realpolitik».

    Sa vie politique est marquée par sa rivalité avec Denis Sassou-Nguesso, qui a débouché sur la terrible guerre civile de 1997…

    Les deux hommes sont certes des ennemis personnels de plus de quarante ans [en 1977, Lissouba a été arrêté sur ordre de Sassou-Nguesso et condamné à mort par une cour martiale] mais on ne peut pas saisir l’histoire du Congo, si violente, sans comprendre le clivage ethno-régional entre le nord et le sud, qui marque si profondément ce pays. Ce clivage est inscrit dans l’espace, tous les visiteurs de Brazzaville peuvent le constater. Lissouba est du sud, sa base politique se situe dans le triangle Niari-Bouenza-Lékoumou, le fameux «Nibolek», quand Sassou-Nguesso mobilise dans le nord. Lissouba, comme tous les leaders politiques du Congo, a instrumentalisé cette rivalité.

    Quel rôle a-t-il joué dans la guerre civile de 1997, qui fit entre 4 000 et 15 000 victimes?

    En 1997, Lissouba arrive à la fin de son mandat. Il est le premier – et le seul jusqu’à présent – président à avoir été élu au terme d’une élection libre et démocratique, suite à l’avènement du multipartisme en 1992. Il est entouré de revanchards qui le poussent à en «finir» avec Sassou-Nguesso, l’ex-président revenu d’exil dont les milices, de plus en plus puissantes, paradent en ville. La situation est extrêmement tendue, les affrontements entre les groupes armés ont déjà fait plusieurs victimes. C’est dans ce contexte que Lissouba va ordonner la neutralisation de Sassou-Nguesso, donnant le coup d’envoi de la guerre à Brazzaville.

    La guerre se terminera par sa chute, puis son exil. Pascal Lissouba s’est dit trahi par Omar Bongo et Jacques Chirac…

    Sur le plan militaire, c’est l’intervention de l’Angola dans le conflit qui précipite la défaite du camp Lissouba. Or cette intervention n’est pas anodine : Elf a pris pied en Angola et certains réseaux politico-financiers français ont poussé Luanda à entrer en guerre. Paris a, a minima, laissé faire. Lissouba est indéniablement une victime de ce qu’on a appelé la Françafrique. Quant au voisin gabonais, Omar Bongo, il a joué sur les deux tableaux. Il entretenait des liens fraternels avec Lissouba… et des liens familiaux avec Sassou-Nguesso [il a épousé sa fille aînée, Edith]. Il a fini par lâcher son ami Lissouba.

    Quelle mémoire garde-t-on de lui en république du Congo en 2020 ?

    Il a conservé une aura au-delà de son bassin d’origine. Son parti continue d’incarner l’opposition au régime. Lissouba gardera l’image d’un président volontariste, intellectuel. Son instruction lui a à la fois valu une image de président froid, rigoureux, et aussi éloigné, parfois, des réalités locales. C’était un personnage détaché des biens matériels, ce qui tranche avec la réputation de son tombeur et de bien des dirigeants d’Afrique centrale, souvent associés au népotisme et à la prédation.

    Célian Macé
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