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Gaz de schiste en Afrique du Sud : un moratoire sous haute pression !


A l’occasion de la conférence internationale sur le climat qui s’est tenue à Durban en décembre dernier, Alter-Echos (www.alter-echos.org) a interviewé Jonathan Deal, président de l’association Treasure the Karoo Action group et pourfendeur des gaz de schiste en Afrique du Sud, notamment dans sa région, le Karoo. L’Afrique du Sud disposerait des cinquièmes réserves mondiales en gaz de schiste, la rendant potentiellement indépendante sur le plan énergétique. Confronté à d’importantes vagues de protestation, le gouvernement a du s’engager sur deux moratoires consécutifs.


En quoi l’Afrique du Sud est-elle concernée par les projets d’exploitation des gaz de schiste ?

Jonathan Deale : Depuis fin 2009, l’Agence du Pétrole (Petroleum Agency) a délivré des permis de recherche (Technical cooperation permits) à 5 consortiums internationaux, s’étendant d’une côte à l’autre du pays. De la même manière qu’aux Etats-Unis, c’est l’ensemble du pays qui est donc concerné. Pas la seule région du Karoo. Falcon Oil & Gas dispose d’un permis de 100 000 km², Shell dispose d’un permis de 90 000 km², Sasol en alliance avec Statoil et Chesapeake 88 000 km², Bundu & Oil Gas 35 000 km² et enfin le géant minier Anglo American dispose également d’un permis.


Permis de recherche accordés en Afrique du Sud


Quels sont les risques pour la région du Karoo concernée par bon nombre de permis ?

Le Karoo est une région semi-désertique très fragile. Il n’y a pas de forêts et il ne pleut guère, à l’inverse de la Pennsylvanie par exemple. Au Karoo, quand vous défrichez un terrain, c’est fini, il est impossible de le réhabiliter en plantant des arbres. Le sol ne se remettra jamais, et les dommages sur la flore et faune locales seront définitifs. Le Karoo est une région où il n’y a quasiment pas d’eau de surface. Toute l’eau qui alimente les villes, villages et activités agricoles est tirée des nappes phréatiques et des aquifères. Or, nous ne savons pas grand chose sur ces eaux souterraines. Sont-elles importantes, profondes ? Ce qui est sûr est qu’il est impossible de forer sans passer à travers ces nappes. Du coup, nous ne voyons pas comment ils pourraient forer sans les contaminer. Notre survie et notre santé pourraient être compromises par la fracturation et la pollution des eaux.


Du coup, une mobilisation importante pour protéger le Karoo a eu lieu. Quelle est la situation actuelle en Afrique du Sud ?

Nous avons un moratoire gouvernemental. Aucune activité relative au gaz de schiste n’est autorisée à l’heure actuelle. Le moratoire a été décrété par le gouvernement le 21 avril 2011 puis prolongé de six mois le 18 août par la ministre des ressources minières Susan Shabangu. Il est donc valable jusqu’en février 2012. Pour l’instant, nous ne savons pas si le moratoire sera étendu au-delà. Le Parlement lui a demandé en avril dernier de mettre en place une mission d’études visant à déterminer l’impact de l’exploitation des gaz de schiste au Karoo. Depuis avril, aucune information sur cette commission n’a filtré : nous ne savons pas quel est le mandat, quels sont les scientifiques, les ministères et les administrations qui sont impliqués.


Comment avez-vous obtenu ce moratoire ? Quelles sont les étapes suivantes ? Quelles actions menez-vous ?

C’est très difficile de mobiliser en profondeur la société sud-africaine. D’une manière générale, il n’est pas évident d’interpeller et impliquer des personnes qui ignorent tout de ces sujets. Mais nous avons néanmoins créé une forte résistance dans le pays. Dans le Karoo, qui est extrêmement vaste, nous avons commencé à en faire autant que possible avec les populations locales. Nous avons réalisé des dessins animés et des bandes dessinées1, pour être diffusées très largement. A l’aide d’images très simples, nous essayons d’expliquer ce qu’est la fracturation. Des dépliants ont également été imprimés et en mars 2011 nous avons organisé une caravane d’informations dans différentes villes du Karoo pour faire connaître les risques et obtenir le soutien et l’engagement de la population. Ce n’est pas facile. Nous avons du apprendre beaucoup : comprendre les aspects techniques, décrypter les politiques à l’oeuvre, travailler avec les médias, etc… En tant que petite organisation, nous avons également du choisir : la voie juridique ou la mobilisation citoyenne. Nous poursuivons la voie juridique.


Paysage typique de la région du Karoo


C’est-à-dire ? Pouvez-vous nous en dire plus sur les recours et initiatives juridiques en cours ?

En mai et juin dernier, nous avons par exemple juridiquement obligé Shell à nous fournir des informations sur le permis qu’ils détiennent dans le Karoo. En octobre, mon organisation a également entamé une procédure envers le gouvernement pour obtenir toutes les informations sur la mission d’études en cours (mandat, composition…), en nous basant sur la loi pour l’accès à l’information. Réponse attendue le 9 janvier. La population sud-africaine a le droit absolu d’être complètement informée sur les personnes qui vont être amenées à émettre avis et jugements aussi importants. Tout cela les rend très nerveux et hésitants pour prendre une décision définitive sur le gaz de schiste. De notre côté, nous exigeons que le moratoire soit étendu sur les trois prochaines années, au minimum. Et nous sommes prêts à aller jusqu’à la Cour Constitutionnelle, la plus haute instance de notre pays, pour obtenir raison.


Quels sont les arguments utilisés pour défendre l’exploitation des gaz de schiste en Afrique du Sud ?

Comme vous le savez, les compagnies pétrolières et gazières disent aux gouvernements ce qu’ils veulent entendre. Et ces derniers sont prêts à croire n’importe quoi quand il s’agit d’accroître les revenus ou l’emploi. Pour nous, il n’y a pas d’arguments réellement recevables qui justifierait l’exploitation des gaz de schiste, ni en Afrique du Sud, ni dans le reste du monde. Ils disent qu’ils vont créer des emplois et des revenus. Outre que leurs estimations sont exagérées et que nous pensons qu’il y a d’autres façons de créer des emplois, ces espoirs sont basés sur le fait que les réserves en Afrique du Sud seraient très importantes. C’est de la spéculation. Le bureau d’enquête géologique des Etats-Unis dit que l’Afrique du Sud dispose des cinquièmes réserves de la planète. L’agence sud-africaine fait une évaluation 90 fois inférieures. Même aux Etats-Unis, les estimations sont revues à la baisse : - 80 % pour le shale de Marcellus, alors qu’ils l’exploitent et le mesurent depuis des années. Si les estimations ne sont pas juste aux Etats-Unis, pourquoi le seraient-elles en Afrique du Sud ?


Dans un pays qui dépend énormément de son charbon, le gaz de schiste n’est-il pas présenté comme une énergie propre ?

Si, Shell dit que le gaz de schiste est une bien meilleure solution que le charbon : l’exploiter pourrait réduire nos émissions de CO2. Ils ne disent pas qu’aujourd’hui des études ont montré qu’il n’y a pas de différences fondamentales entre le gaz de schiste et le charbon du point de vue des émissions de CO2. Ils ne mesurent pas toutes les sources d’émissions de gaz à effets de serre lors des étapes de forage, fracturation, extraction, torchage, transport, raffinage, distribution, etc. Il y a bien d’autres manières de réduire nos émissions de gaz à effets de serre.


Quelles sont les réactions des entreprises face au moratoire ? Restent-elles les bras croisés ou bien, comme en France, poursuivent-elles une campagne de lobbying auprès des pouvoirs publics ?

C’est sensiblement la même chose en Afrique du Sud. Shell a investi une grande quantité d’argent et ils essaient de faire en sorte que le moratoire ne soit pas étendu. Mais il est très intéressant de voir que Sasol, grande entreprise minière et pétrochimique sud-africaine, a décidé de ne pas demander la prolongation de son permis d’exploration dans le Karoo le 17 octobre dernier. Leur décision est sans doute basée sur le fait que le coût d’extraction du gaz de schiste reste supérieur à celui du gaz conventionnel. Comme il existe de grands réservoirs de gaz au large de la côte du Mozambique et de la côte Ouest d’Afrique du Sud, Sasol a du juger qu’il n’était pas économiquement rentable de s’engager dans le gaz de schiste. Mais je pense également qu’une part importante de leur décision tient au fait qu’ils ne souhaitent pas être l’objet de critiques et d’une mauvaise presse. Disposant d’une très grande connaissance des conditions locales, Sasol, en se retirant, met une énorme pression sur Shell. Et je pense que Shell n’est pas au bout de ses surprises dans ce pays.


Dernière question, des projets d’exploitation de gaz de schiste existent maintenant un peu partout sur la planète. Que pensez-vous qu’ils fassent faire ?

Je suis très heureux que vous me posiez cette question car nous prévoyons de nous unir et nous mobiliser avec d’autres organisations et personnes dans le monde. Au regard des conséquences environnementales, le gaz de schiste n’est ni nécessaire, ni soutenable. Par exemple, nous allons nous rapprocher d’organisations nord-américaines en faisant en sorte que je devienne membre du Conseil d’administration de l’une d’entre elles, et inversement.


Propos recueillis par Alter-Echos (www.alter-echos.org)


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6 commentaires pour "Gaz de schiste en Afrique du Sud : un moratoire sous haute pression !"

  1. Gaz de schiste en Afrique du Sud : Forum Alternatif Mondial de l'Eau dit :

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  2. GAZ TOI DE LA » Blog Archive » Afrique du Sud : un moratoire sous haute pression ! dit :

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  3. Gaz de schiste en Afrique du Sud : un moratoire sous haute pression ! dit :

    [...] l’une d’entre elles, et inversement. Propos recueillis par Alter-Echos (www.alter-echos.org) http://alter-echos.org/extractivisme-ressources-naturelles/gaz-de-schiste-en-afrique-du-sud-un-morat… Publié dans Revue de [...]

  4. NO GAZARAN (30) dit :

    Courage vous n’etes pas seuls et nous ne sommes pas seuls,la masse des citoyens doit faire reculer ses pétroliers assoiffés d’argent,qu’ils invetissent plutot sur la recherche de nouvelles energies plus propres pour la planete et l’humanité,continuons à mobiliser les populations du monde entier contre eux,je suis dans une commune du gard (FRANCE) et nous sommes en plein dans un permis d’exploration,la mobilisation et de plus en plus importante,croyons y,tous ensemble nous gagnerons.Merci a vous

  5. Mobilisations anti-gaz de schiste en Bulgarie « Realinfos dit :

    [...] l’Afrique du Sud, le Québec, l’Angleterre et plusieurs régions des États-Unis, ce possible moratoire en [...]

  6. Alain Willaume, Transitions, paysages d’une société, Rencontres d’Arles, Parc des Ateliers, du 01/07 au 22/09/13 | Ouvre tes yeux dit :

    [...] émanant des habitants rencontrés au hasard des pistes. Ses images résonnent des échos d’une menace environnementale d’une actualité brûlante. Leur magnifique silence hurle leur désespoir. Leur douceur crie leur [...]

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