Politique

Tunisie : Mechichi snobe les partis

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Mis à jour le 25 août 2020 à 12h49
Hichem Mechichi (à droite, au centre) en consultation pour la formation de son gouvernement

Hichem Mechichi (à droite, au centre) en consultation pour la formation de son gouvernement © © Mohamed Krit/ SIPA

Le chef du gouvernement Hichem Mechichi a présenté une équipe gouvernementale qui s’affranchit des partis. Reste à convaincre les députés de lui accorder leur confiance.

Engagé dans une course contre le compte à rebours constitutionnel, le chef du gouvernement Hichem Mechichi a présenté, le 24 août à 23h58, son équipe à deux minutes de l’échéance du temps imparti par la constitution. « On pourra dire qu’il a entretenu le suspense jusqu’au bout. Son allocution était prévue à 22h30 », signale un internaute. La tension et le retard laissaient présager des changements de dernière minute mais finalement Mechichi a dévoilé une équipe assez inattendue.

« Sur 28 membres, le gouvernement comprend huit femmes et un malvoyant ! Une révolution culturelle est en marche », ironise un militant de gauche, qui ne croit pas si bien dire. La composition du gouvernement Mechichi, présenté comme celui de la dernière chance pour sortir la Tunisie de la crise profonde où elle est engluée, est parmi les moins classiques des neufs gouvernements qui se sont succédé depuis la révolution de 2011.

Les défenseurs de la parité seront certainement mécontents de voir que seuls huit portefeuilles sont attribués aux femmes (le précédent gouvernement comptait six femmes ministres, ndlr) mais aucun n’a relevé la nouvelle répartition des missions attribuées à certains ministères. Avec le financier Ali Kooli aux manettes, le ministère des Finances, qui regroupe maintenant l’Économie, les Finances et le Soutien à l’investissement devrait gagner en efficacité et constituera une sorte de mini pôle avec le secrétariat d’État chargé des Finances publiques et de l’Investissement.

Pas de vedette mais des hauts-commis de l’État

Néanmoins dans cette nouvelle configuration, certains regroupements paraissent moins logiques puisque l’emploi est par exemple rattaché au ministère de la Jeunesse et des Sports sous le label d’Intégration professionnelle. Aux Affaires culturelles, c’est Walid Zidi qui enseigne la rhétorique à l’université de la Manouba et malvoyant qui a été choisi. De son côté, la diaspora tunisienne  peut être satisfaite, puisque désormais le ministère des Affaires étrangères est en charge de la communauté tunisienne à l’étranger.

Une équipe de compétences et d’indépendants

À l’énoncé du nom des ministres, la première réaction de l’opinion a été l’étonnement. Les membres du nouvel exécutif ne sont pas des vedettes de la politique ou des plateaux de télévision mais sont des hauts commis de l’État ou des universitaires dont les compétences sont reconnues dans leur domaine. « Une équipe de compétences et d’indépendants » avait souligné Mechichi en expliquant ses intentions.

Indépendants, certainement sur le papier. Mais déjà certains tentent de dénicher les allégeances cachées des membres de la nouvelle équipe. Selon l’avocat et influenceur Imed Ben Halima, Mohamed Boussetta, ministre de la Justice serait « un sous-marin d’Ennahdha ».

Un gouvernement loin des partis

S’il ne faut pas oublier la présence d’Ali Hafsi (Nidaa Tounes), ministre reconduit à son portefeuille des Relations avec l’Assemblée, le gouvernement Mechichi demeure celui qui s’est le plus écarté des partis. Le gouvernement de Mechichi innove avec une formule centrée sur les compétences issues des rangs de l’État, après les expériences, menées depuis 2011, de gouvernements tour à tour partisans ou technocratiques.

Écarter du gouvernement les partis, victorieux aux élections, est anticonstitutionnel

Les formations politiques dont le Courant Démocrate et la Coalition d’El Karama, n’ont pas caché leur mécontentement. « Écarter du gouvernement les partis, victorieux aux élections, est anticonstitutionnel »,  accuse un député. La mise au ban d’Ennahdha, premier parti du pays avec 25 % des sièges à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), semble elle actée. Le chef du gouvernement sortant, Elyes Fakhfakh avait déjà écarté les ministres d’Ennahdha, manière d’affirmer son positionnement dans la mouvance du président de la République, Kaïs Saied. Mais il a été rattrapé par les affaires tandis que Hichem Mechichi fait figure d’homme neuf et non encarté.

Soutien de l’UGTT

Mettre à distance les partis ne signifie pas n’avoir pas d’appui. L’administration et la centrale syndicale de l’UGTT soutiennent ce gouvernement sans compter qu’il a l’aval du président dont la popularité est demeurée intacte un an après le scrutin de 2019. Pour certains observateurs le gouvernement Mechichi est celui de Kaïs Saïed. Il en veulent pour preuve la nomination de Taoufik Charfeddine, qui a mené la campagne électorale du chef de l’État à Sousse, à l’Intérieur.

Mais l’épreuve la plus importante reste à venir. Il faudra à l’équipe de Mechichi obtenir la confiance de l’assemblée pour être opérationnelle. Une séance plénière devrait être organisée rapidement mais rien n’est gagné pour le chef du gouvernement. Il n’a que quelques jours pour négocier en coulisses avec les partis et les convaincre du bien fondé de ses choix, et surtout s’assurer une majorité pour pouvoir gouverner. Mechichi devra ainsi tenir compte de la susceptibilité des partis pour ne pas faire du Parlement un adversaire.

Le chef du gouvernement n’aura peut-être pas besoin de déployer des trésors de rhétorique pour convaincre les élus. Si la confiance des députés était refusée au gouvernement proposé, le président pourrait dissoudre l’Assemblée. 109 sur 217 c’est le nombre de votes nécessaires pour obtenir la confiance du Parlement. C’est l’unique crainte des partis : en cas d’élections anticipées, ils subiront un revers important. Entre une débâcle annoncée et continuer de jouer un rôle au Parlement, le choix est déjà fait.

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