« Sonnets et autres poèmes. Œuvres complètes VIII », de William Shakespeare, traduit de l’anglais par Jean-Michel Déprats, édité sous la direction de Jean-Michel Déprats et Gisèle Venet, édition bilingue, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1 120 p., 59 €.
Prendre souffle et voix. Si cette respiration sonore, ce battement des mots portés par le corps, en mouvement, en écoute, en écho, apparaît comme une évidence pour le théâtre, ils le sont tout autant, et peut-être davantage, pour la poésie. Il s’y trouve une manière, d’un presque rien, d’accorder, de scander, de laisser poser un instant le silence et de revenir à la respiration de l’âme qui guide le poème. Et ce, sans décor, sans mise en scène. Pour une traduction, on comprend à quel point l’exercice de cette restitution est compliqué.
La parution dans « La Pléiade » du huitième et dernier tome des Œuvres complètes de Shakespeare (1564-1616), consacré à sa poésie, illustre particulièrement cette préoccupation. Jean-Michel Déprats, qui depuis 2002 avec Gisèle Venet a dirigé toute cette exigeante édition bilingue et qui y a traduit la plupart des textes, rappelle dans l’introduction de ce volume que « c’est le même Shakespeare qui écrit Hamlet et les Sonnets. Un rythme emporte et soutient les poèmes et les pièces de théâtre, où l’on entend et reconnaît une même voix. Pour le dire clairement, les Sonnets de Shakespeare sont donc des textes à dire autant que des textes à lire. » Pour ces Sonnets, justement, il a choisi de s’attacher particulièrement aux allitérations, aux assonances, au rythme d’ensemble. Les vers sont traduits en alexandrins blancs (sans rimes), que tranchent quelquefois des formes plus courtes ou plus longues. Face au texte anglais, son approche opère parfaitement.
La chronique d’un trouble
Ces Sonnets ont eu une brève existence du vivant de Shakespeare (une seule édition en 1609). Ils ressurgissent à la fin du XVIIIe siècle, mais c’est grâce à John Keats, dévoré d’admiration, qu’ils vont, aux alentours de 1820, toucher des lecteurs sensibles. En France, François-Victor Hugo (le plus jeune fils de Victor Hugo), qui s’est attelé à traduire tout l’œuvre, en propose pour la première fois une traduction complète en 1857. Ces 154 pièces font la chronique d’un trouble, d’une passion amoureuse, d’une impossible partition. « J’ai deux amours, l’un m’apaise, l’autre m’afflige/Tels deux esprits, ils me sollicitent sans cesse ;/ Le bon ange est un homme, un bel homme au teint clair,/ Le mauvais ange une femme, couleur du mal. » On peut laisser les curieux aller fouiller dans la petite histoire littéraire… Le désir s’accorde mal avec l’idéal éthéré de la beauté, mais les mots d’amour ont leur puissance, leur persistance : « Ni le marbre, ni l’or des effigies princières/Ne survivront au pouvoir de ces vers,/ (…) Et ainsi jusqu’au jour de ta résurrection/Tu vis dans ce poème et dans les yeux qui t’aiment. »
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