Cinéma

Sur le tournage de la superproduction “Eiffel”,  dont la reprise était particulièrement scrutée

7 minutes à lire

Caroline Besse

Publié le 28/06/20

Le tournage d’Eiffel, plus grosse production française de l’année, a repris au château de Vaugien, à Saint-Rémy-lès-Chevreuse (Yvelines).

Le tournage d’Eiffel, plus grosse production française de l’année, a repris au château de Vaugien, à Saint-Rémy-lès-Chevreuse (Yvelines).

VVZ Production/Pathé Films

Matériel nettoyé tous les soirs, port du masque pour toute l’équipe technique, plan de circulation… Interrompu mi-mars, le tournage du film “Eiffel”, de Martin Bourboulon, avec Romain Duris et Emma Mackey, a repris début juin avec un protocole strict, que chacun respecte scrupuleusement. Reportage.

Romain Duris, en habit XIXe, court depuis plusieurs minutes sur la pelouse du parc qui entoure le château de Vaugien, à Saint-Rémy-lès-Chevreuse (Yvelines). Il veut apparaître naturellement à bout de souffle devant les caméras pour tourner la scène d’empoignade qu’il s’apprête à jouer avec Bruno Raffaelli, sociétaire de la Comédie-Française.

Les deux comédiens incarnent respectivement Gustave Eiffel et M. Bourgès, le père d’Adrienne, jouée par Emma Mackey, l’actrice aux cheveux roses de la série Sex Education, pour son premier rôle en français au cinéma. Ce trio apparaîtra sur grand écran, avec Pierre Deladonchamps, dans le film Eiffel, réalisé par Martin Bourboulon (Papa ou Maman et Papa ou Maman 2), le 17 février 2021… si tout va bien.

Car l’équipe de ce film Pathé, la plus grosse production française de l’année (23,3 millions d’euros de budget), a été stoppée net, comme plus de cent autres films en cours de tournage ou sur le point d’être tournés en France, quand le président Emmanuel Macron a ordonné, le 16 mars, le confinement de la population dans le cadre de la lutte contre le coronavirus. Des centaines de personnes se sont retrouvées dans le brouillard le plus total, sans date de reprise certaine.

“La situation est plus facile pour les productions qui avaient déjà une partie de leurs scènes en boîte.” Martin Bourboulon

L’équipe avait déjà tourné huit semaines durant l’hiver, et devait reprendre les prises de vues pendant cette fameuse semaine de mars où la vie des Français a basculé. « Qui aurait pu imaginer, quelques jours avant à peine, qu’on allait devoir sortir avec une attestation pour aller acheter du pain ? s’interroge en souriant le réalisateur. J’ai ressenti cet arrêt brutal comme une rupture assez angoissante dans un élan, se souvient-il, mais je pense aujourd’hui que la situation est plus facile pour les productions qui avaient déjà une partie de leurs scènes en boîte. »

Le masque est de rigueur pour l’ensemble de l’équipe technique afin de protéger les acteurs, qui ne peuvent pas en porter.

Le masque est de rigueur pour l’ensemble de l’équipe technique afin de protéger les acteurs, qui ne peuvent pas en porter.

VVZ Production/Pathé Films

Eiffel, comme tous les films dont le tournage avait déjà commencé, faisait en effet partie des productions prioritaires pour la reprise. Le film de Martin Bourboulon est aujourd’hui scruté avec un mélange d’inquiétude et d’espoir par la profession, comme une figure de proue qui indiquerait le chemin à suivre : si le tournage se déroule sans encombre, c’est-à-dire sans contamination ou création d’un cluster tant redouté, ce sera un grand soulagement pour tout le cinéma français et les milliers de personnes qu’il fait vivre.

« Nous avons repris en même temps que Fred Cavayé [qui tourne Adieu monsieur Haffmann] et Pascal Elbé [On est fait pour s’entendre], et cela remet le secteur en confiance. Une reprise de tournage, c’est tout un pan de l’économie qui se remet en route grâce aux prestataires, des décorateurs aux loueurs de voitures », analyse Martin Bourboulon.

Sur le tournage du film Eiffel.

Sur le tournage du film Eiffel.

VVZ Production/Pathé Films

Ce matin du 15 juin, Valentine, qui travaille à la régie, nous accueille aux grilles du château de Vaugien en nous pointant un thermomètre sur le front, puis en aspergeant nos mains de gel hydroalcoolique, avant de nous fournir un masque en tissu avec une étiquette jaune. « Il sera changé après la pause déjeuner, comme tous ceux de l’équipe, par un nouveau masque d’un autre code couleur », détaille-t-elle. L’équipe technique doit en effet tout faire pour se protéger et protéger les acteurs, qui ne peuvent pas, de fait, en porter. Par précaution, Romain Duris et Emma Mackey sont restés confinés pendant quatorze jours avant la date de reprise du tournage.

Les costumes quotidiennement passés à l’ozone

Sur le tournage d’Eiffel, chaque corps de métier subit ainsi ses contraintes sanitaires, plus ou moins pénibles à gérer. Lara Perrotte, première assistante deuxième caméra, explique que « le matériel est nettoyé tous les soirs, et surveillé pour que le moins de monde possible le touche. Le protocole écrit est beaucoup plus impressionnant que dans les faits, concède-t-elle. Nous avions hâte de reprendre, de se voir et de tourner tous ensemble, y compris dans ces conditions particulières ».

Même son de cloche du côté des costumes, si importants dans ce film où l’action se déroule entre 1860 et 1889 – il raconte la volonté du gouvernement français de voir Gustave Eiffel réaliser quelque chose de spectaculaire pour l’Exposition universelle de 1889, le tout sur fond de passion contrariée de l’ingénieur avec son amour de jeunesse, Adrienne Bourgès. Le chef costumier, Thierry Delettre, parle, tout à fait zen, de « petites contraintes supplémentaires », avec une machine génératrice d’ozone passée tous les soirs sur les costumes.

Côté accessoires, Édouard Blaise décrit quant à lui un protocole assez important : « Tous les accessoires que les comédiens touchent sont désinfectés, avant d’être rangés dans une petite boîte dédiée à chacun d’entre eux. Avec l’Afap [Association française des accessoiristes de plateau], nous avons réfléchi à un protocole pendant le confinement, pour qu’il y ait le moins de risques possible, notamment en évitant que tout le monde touche à tout. »

À la fin d’une prise, Édouard se précipite d’ailleurs lui-même vers la porte de la calèche qui vient de claquer et qui doit rester ouverte pendant la scène. Devant, deux magnifiques chevaux, impassibles, patientent, alors que la dixième prise s’apprête à être tournée. Quelques gouttes de pluie arrosent les escaliers aussitôt bâchés, l’équipe en profite pour chercher dans les cailloux un bouton du veston de Romain Duris qui s’est volatilisé.

300 000 euros de règles sanitaires

À quelques mètres du château, par un chemin caillouteux qui longe deux prés où s’ébrouent des chevaux, on accède aux loges et à la cantine, installées, elles aussi, dans des conditions particulières. Les repas se déroulent par roulement, afin d’éviter que trop de monde ne vienne dévorer en même temps le dos de cabillaud, au menu du jour.

La « table régie », lieu de convivialité indispensable sur un tournage, a elle aussi été repensée, et protégée de toute contamination par du film plastique tendu sur la devanture : interdiction totale de se servir soi-même, au risque de la fermeture définitive du bar. Chacun respecte religieusement cette organisation…

Il est interdit de se servir soi-même au bar.

Il est interdit de se servir soi-même au bar.

VVZ Production/Pathé Films

Attablée à la cantine, Juliette Crété, première assistante réalisatrice – celle qui demande notamment, avec l’aide de son assistant, David Biet, le silence total avant que la scène ne soit tournée –, a conçu avec chaque chef d’équipe un plan de tournage et de circulation bien précis, par zones. « L’équipe avait la chance d’avoir déjà tourné ensemble et de très bien se connaître avant de reprendre dans ces conditions. Et nous avions tourné les principales scènes d’intimité et de foule avant le confinement… » nous raconte-t-elle en avalant rapidement son déjeuner, quelques minutes avant de retourner sur le plateau. Mais pour assurer ces conditions de service irréprochables, des postes supplémentaires ont été engagés à la régie et à la cantine.

François Hamel, le directeur de production, estime le coût de la reprise, qui a nécessité des jours de préparation supplémentaires, et les dépenses liées aux règles sanitaires à 300 000 euros. Robin Welch, le régisseur général du film, se souvient d’ailleurs d’avoir reçu le protocole du CCHSCT Cinéma (Comité central d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail de la production de films) trois ou quatre jours seulement avant la reprise du tournage. « Si certaines situations, comme les scènes de repas, peuvent générer du stress, on voit qu’il est possible d’appliquer les mesures. On espère juste que ça ne va pas trop durer… »

Blouses, gants et charlottes au maquillage

C’est dans les loges, où sont installés le maquillage et la coiffure, que la situation est la plus pénible. La maquilleuse Chloé Van Lierde nous fait monter dans un des camions. « D’habitude, on n’en a un seul, mais là, nous sommes obligés d’en avoir deux pour respecter la distanciation physique. Or pour créer maquillages et coiffures uniformes, on a besoin de voir tous les acteurs en même temps ! Le port du masque complexifie les rapports humains, les gens ne peuvent pas voir qu’on leur sourit pour les accueillir », déplore-t-elle.

Sa cheffe, Stéphane Robert, confirme. « Tout est plus long. Avant le Covid, on avait déjà beaucoup de mesures sanitaires à respecter, avec une trousse par comédien. Là, on multiplie le matériel, on ne peut strictement rien se prêter. On a en revanche laissé tomber l’usage des visières de protection, qui créaient des reflets. » Le plus grand défi a été le maquillage et la coiffure des figurants. Il fallait travailler en blouse, gants et charlotte, équipées comme des infirmière en milieu hospitalier...

Vanessa van Zuylen, la productrice du film, a été totalement rassurée par une visite du CCHSCT Cinéma la semaine précédente, qui a validé les conditions irréprochables de ce tournage déconfiné. Elle se prend à rêver. « Le film suscite déjà une grosse attente. Il a été préacheté dans plein de territoires. On espère que ce sera le Titanic français… Le film, bien sûr ! » dit-elle dans un grand sourire. Dehors, la pluie s’est arrêtée, le tournage peut recommencer.

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