«Le Chant du loup» : «J’ai écrit beaucoup de choses sous l’eau»

Pour son premier film en tant que réalisateur, l’ancien diplomate Antonin Baudry se lance avec brio dans un domaine où peu de Français osent s’aventurer, le film d’action. Il nous explique pourquoi.

 « J’avais la matière pour faire une tragédie grecque dans le monde d’aujourd’hui », déclare Antonin Baudry au sujet de son film « Le Chant du loup ».
« J’avais la matière pour faire une tragédie grecque dans le monde d’aujourd’hui », déclare Antonin Baudry au sujet de son film « Le Chant du loup ». PROD

« Le Chant du loup », un gros budget à 20 millions d'euros (M€), est le premier film d'Antonin Baudry, qui n'est pourtant pas tout à fait un nouveau venu dans le monde du cinéma. Cet ancien diplomate de 43 ans a en effet, sous le pseudonyme d'Abel Lanzac, coécrit le scénario de « Quai d'Orsay », film de Bertrand Tavernier sorti en 2013.

Comment avez-vous été accueilli lorsque vous avez proposé à votre producteur de réaliser un film se déroulant à bord d'un sous-marin nucléaire ?

ANTONIN BAUDRY. Avec beaucoup d'attention, et aussi peut-être un peu de surprise. Je lui ai décrit ce que j'avais en tête, beaucoup d'images, des sons, comment et pourquoi je voulais faire le film. Lui, Jérôme Seydoux (NDLR : qui a produit plusieurs succès du cinéma français, comme les films de Dany Boon), ne disait pas un mot, mais m'a dit à la fin : Allez-y, écrivez !

Qu'est-ce qui vous intéressait dans le sujet ?

C'est un monde de l'ombre, avec des héros invisibles. C'est le monde de l'invisible par excellence ! J'ai toujours été fasciné par les films d'amitié, comme ceux de John Woo à Hongkong ou ceux de Tsui Hark. Et d'un coup, rencontrer des gens qui prennent des risques inouïs sous l'eau, sans que personne ne soit au courant, même pas leur femme ou leurs enfants, j'avais la matière pour faire une tragédie grecque dans le monde d'aujourd'hui.

Nous ne sommes pas habitués à voir un film d'action français qui se donne les moyens de ses ambitions…

Je pense qu'il est dommage qu'on se laisse confisquer des pans entiers du cinéma par Hollywood. On ne devrait pas renoncer, nous n'avons pas la même vision du monde que les États-Unis. Mais si on se lance dans un tel projet, il faut le faire bien. Nous avons en France un savoir-faire et des techniciens excellents, capables de se mobiliser sur des projets nouveaux et pas attendus, et nous sommes capables de les faire pour des budgets bien inférieurs à ceux des Américains. Mais je n'ai pas du tout voulu faire un film à l'américaine. Dans un film hollywoodien, il y aurait eu un méchant, il serait mort à la fin et le gentil serait content. J'ai fait ce film avec ma sensibilité, j'ai fait celui que j'aurais eu envie de voir à l'écran.

Le film ne va pas là où on l'attend. Par exemple, le premier rôle n'est pas tenu par l'un des acteurs principaux…

À partir du moment où je voulais montrer des héros invisibles, il paraissait évident que le premier d'entre eux ne devait pas être quelqu'un qu'on connaît déjà par cœur. François Civil a déjà une carrière, il ne sort pas de nulle part, mais c'est quelqu'un dont on découvre de nouveaux aspects (NDLR : on l'a notamment vu dans le dernier film de Cédric Klapisch, « Ce qui nous lie »).

Vous étiez déjà familier avec cet univers des « oreilles d'or » (NDLR : surnom donné aux sous-mariniers qui passent leur temps casque aux oreilles afin de détecter et d'identifier les sons au fond de l'eau) ?

C'est quelque chose que j'ai découvert en faisant des recherches. À bord d'un sous-marin, il n'y pas de fenêtres. On ne découvre le monde extérieur qu'à travers les sons. Forcément, tout repose sur la personne chargée de classifier ces sons ! Elle occupe de plus une fonction éminemment poétique, puisqu'elle est chargée de mettre des mots sur les phénomènes du monde. Je trouvais donc ce personnage particulièrement intéressant, et lorsqu'au cours de mes recherches, j'ai eu l'occasion de rencontrer de vraies oreilles d'or, j'ai su que je tenais quelque chose de très cinématographique.

D'où l'importance apportée au son dans le film ?

C'était clair et net dès le début que le son était le personnage principal du film. Comme il est par définition invisible, il serait rendu par le personnage de l'oreille d'or et par l'immersion sonore.

Comment s'est passée la collaboration avec la Marine nationale ?

Avant de faire « Quai d'Orsay », j'avais passé beaucoup de temps à observer le ministère des Affaires étrangères. J'ai fait pareil avec « Le Chant du loup ». Ça n'avait pas de sens de faire un film avec des sous-marins sans connaître le milieu. Une fiction bien documentée m'intéressera toujours beaucoup plus qu'une fiction écrite en chambre. J'ai écrit beaucoup de choses sous l'eau. J'ai d'ailleurs fait un choix qui était un peu un challenge : garder le langage particulier du bord, qui est un peu du franco-sous-marinier, un langage pas immédiatement compréhensible. Je n'ai pas voulu le traduire, parce que cela aurait été l'édulcorer. Donc je l'ai gardé tel quel, en pariant que le spectateur ferait comme moi lors de ma première immersion, à savoir ne pas comprendre forcément chaque mot, mais comprendre le sens général de ce qui se passe. Et donc, il fallait forcément que cet univers soit authentique.

Ce souci d'authenticité a été jusqu'à l'embauche de vrais sous-mariniers sur le tournage.

Absolument ! De nombreux sous-mariniers étaient volontaires pour faire de la figuration sur le plateau. Je les ai accueillis les bras ouverts. Ça a vraiment apporté quelque chose. Les comédiens avaient ainsi tout le temps à côté d'eux quelqu'un qui pouvait les conseiller. Et pour moi, c'était important d'avoir des gens qui connaissaient bien l'ambiance à bord, qui maîtrisaient en quelque sorte la chorégraphie à l'intérieur d'un sous-marin.

« Le Chant du loup », d'Antonin Baudry, avec François Civil, Omar Sy, Mathieu Kassovitz, Reda Kateb (1h55).