C'est un jour de 1976, lorsqu'il achète sa première caméra, que naît Leos Carax. Depuis, il filme les élans de l'âme, du cœur et des corps.
Sisyphe
Après le succès de Mauvais Sang, le petit génie est invité sur TF1. Leos a préparé l'emission avec Frédéric Mitterrand, choisi les extraits de film. Au moment du direct, impossible de le sortir de sa loge. Le producteur trépigne, Mitterrand s'exalte, rien à faire. Derrière la porte, on entend Binoche fondre en larmes. “Elle se recroquevillait sur Carax ; ils n'avaient plus de mains tellement ils se rongeaient les ongles.” L'animateur devra improviser un dialogue devant deux chaises vides.
Un peu plus tard, Jean-Luc Godard invite Carax, dont il a reconnu les dons, à figurer dans King Lear. “On ne vous entend pas au son, vous savez”, dit le cinéaste suisse à son disciple. – “Oui, mais je ne peux pas faire plus”, répond Carax.– “Je comprends pourquoi vous avez mis tant de temps à tourner votre film. On ne vous entendait pas dire 'moteur'. Je ne vois pas d'autre raison”, commente Godard. Lorsqu'il s'attaque au projet fou des Amants du Pont-Neuf, Leos Carax ne se doute pas qu'il va alimenter les rumeurs et réincarner le mythe de Sisyphe. Il imagine encore des courses folles, des sprints et des envols : ce qu'il préfère filmer chez ses personnages, c'est leur élan.
Donc, Carax court. Pour décoller de terre. Un journaliste parlait un jour de suicide à Céline et lui demandait quelles seraient ses dernières paroles ; il répondit : “Ils étaient lourds, les hommes.” C'est une réponse qui enchante Carax. “Lorsque j'ai lu cela, dit-il, je me suis senti visé. Enfant, je voulais être astronaute. Mon idéal serait de devenir léger, parvenir au bonheur inouï. Sans avoir mal au ventre. Faire cet effort dans un état de grâce. Sur ma tombe, je mettrai : 'Que n'étais-je fougère ?' ”