Notre palmarès des 25 livres de l'année

La rédaction a revisité une année de lectures pour dresser une liste, forcément non exhaustive, de recommandations à nos lecteurs.

Par "Le Point"

Trompe-l’œil. Derrière notre sélection des 25 livres de l’année, les rayonnages futuristes de la toute nouvelle bibliothèque de Tianjin, en Chine.
Trompe-l’œil. Derrière notre sélection des 25 livres de l’année, les rayonnages futuristes de la toute nouvelle bibliothèque de Tianjin, en Chine. © SIPA / SIPA USA / SIPA

Temps de lecture : 20 min

Quelle tâche herculéenne ! Pour la mener à bien, nous avons fait le choix, comme chaque année, d'écarter les livres déjà récompensés par Le Point, primés par les grands prix d'automne, ou écrits par nos collaborateurs. On s'est laissé porter par la passion et la raison et surtout l'envie de vous faire essayer de nouvelles vitamines. Voici notre ordonnance :

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Souvenirs de la marée basse, de Chantal Thomas (Seuil, 224 pages, 18 euros).

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Chantal Thomas  © Hermance TRIAY/Opale/Leemage

Ayant grandi au bord d'une plage, entre « une mère lunatique et un père silence », Chantal Thomas inscrit dans le sillage autobiographique, et même intime, ses souvenirs liés à la mer et à la mère, les deux ne faisant qu'un tant Jackie aimait nager. À Arcachon, puis à Nice, chaque été elle sortait des vagues transfigurée, un grand sourire sur son « visage de natation ». À sa fille unique, cette éternelle « enfant estivante » a transmis non seulement « la jubilation en mode nageur », mais aussi le don du présent. Tout n'est pas rose dans ce livre infiniment délicat, mais la poésie donne en partage, de scène en scène, cette gaieté qui « vient de la mer ».

Underground Railroad, de Colson Whitehead, traduit de l'anglais par Serge Chauvin (Albin Michel, 416 pages, 22,90 euros).

Avant la guerre de Sécession, les aventures d'une jeune esclave noire née dans les champs de coton qui tente de gagner le Nord. Comment ? Par un réseau de chemin de fer souterrain qui n'a jamais existé, mais dont l'idée est venue à l'auteur à cause d'une expression utilisée au temps des plantations lorsqu'un esclave prenait la fuite : « Il a pris l'underground railroad ! » Inspirée aussi de la célèbre esclave Harriet Jacobs, qui vécut sept ans dans un grenier avant de recouvrer la liberté, cette passionnante aventure sur rails aux airs de nouveaux Voyages de Gulliver a été plébiscitée par Barack Obama et Oprah Winfrey et a raflé le National Book Award (2016) et le prix Pulitzer (2017) au lendemain de l'élection de Trump. L'Amérique avait la gueule de bois. Mais aussi, pour se consoler, ce très beau roman.

Cette chose étrange en moi, d'Orhan Pamuk, traduit du turc par Valérie Gay-Aksoy (Gallimard, 688 pages, 25 euros).

Orhan Pamuk © Francesca Mantovani Francesca Mantovani/Gallimard
Orhan Pamuk © Francesca Mantovani Francesca Mantovani/Gallimard


« Alors qu'ils ne jurent que par Allah, la patrie, la morale, est-ce juste qu'ils ne pensent à rien d'autre que gagner de l'argent ? » Ah, on ne les oubliera pas de sitôt, les trois jolies filles d'Abdurrahman Efendi au cou tordu. À partir des aventures d'un petit vendeur ambulant de boza, la boisson phare de l'Empire ottoman, le Balzac d'Istanbul, prix Nobel de littérature en 2006, raconte sa ville comme on ne l'avait jamais lue : à travers ses petites gens, dont ses femmes ! Ces 600 pages d'amour et de rêve sur fond de spéculation immobilière et de montée de l'islamisme politique dessinent un tableau aux mille détails, une fresque goûteuse et picaresque, et c'est ainsi que Pamuk est grand.

LIRE aussi Turquie - Orhan Pamuk : « Je continue à être optimiste »

Une odyssée. Un père, un fils, une épopée, de Daniel Mendelsohn, traduit de l'anglais par Isabelle D. Taudière et Clotilde Meyer (Flammarion, 400 pages, 23 euros).

Un prof d'université accepte d'accueillir, à sa demande, son père octogénaire à son séminaire sur L'Odyssée. L'occasion, très vite, d'un duel entre les deux hommes au milieu des étudiants sidérés. L'occasion, aussi, d'une réconciliation père-fils avant qu'ils ne se quittent à jamais. Celle-ci aura lieu dans un bateau de croisière sur les traces d'Ulysse en Méditerranée. Bouleversant d'intelligence, ce nouveau morceau de bravoure de l'auteur des Disparus (Flammarion) est tout simplement l'un des meilleurs livres qu'on ait lus ces dernières années. À condition, bien sûr, d'aimer Homère, l'érudition espiègle et les histoires de transmission. Umberto Eco nous manque : Daniel Mendelsohn serait-il son héritier new-yorkais ?

LIRE aussi Mon père, Homère et moi

La part d'ange en nous, de Steven Pinker, traduit de l'anglais par Daniel Mirsky (Les Arènes, 1 042 pages, 27 euros).

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Steven Pinker  © Bryce VICKMARK/REDUX-REA

Bienvenue dans l'œuvre maîtresse de l'un des penseurs les plus stimulants d'aujourd'hui. Plus de 1 000 pages, trois décennies de recherches, une somme de données colossales collectées et des centaines de notes écrites : Steven Pinker frappe fort pour nous démontrer que le monde ne cesse d'être moins violent. Psychologue et professeur à Harvard, ce Canadien dresse une vaste fresque historique qui remonte à la préhistoire pour prouver que nous vivons dans les temps les plus pacifiques jamais connus. Champion des Lumières, de la foi en l'homme et d'un optimisme fondé sur la réalité, il avance à rebours de l'air du temps et nous fait un bien fou.

LIRE aussi Steven Pinker : rencontre avec le penseur le plus stimulant d'aujourd'hui

Lettres à Véra, de Vladimir Nabokov, traduit du russe et de l'anglais par Laure Troubetzkoy (Fayard, édité par Olga Voronina et Brian Boyd, 856 pages, 36 euros).

« Ma joie », « petit moineau », « ma douce », « petit papillon », « souricette »... Tels sont quelques-uns des noms tendres que Vladimir Nabokov adresse au grand amour de sa vie, Véra, épousée en 1925 et dont il partagera la vie durant un demi-siècle. La première parution en français de leur correspondance (à sens unique, car Véra a pris soin de détruire ses propres lettres) est un événement. Sommet de lyrisme par l'un des plus grands stylistes du XXe siècle, cette déclaration d'amour au long cours à son « ange aux cheveux d'or », sertie de magnifiques descriptions de paysages et de sentiments, est un chef-d'œuvre supplémentaire de l'auteur de Lolita.

Une partie rouge, de Maggie Nelson, traduit de l'anglais par Julia Deck (Editions du sous-sol, 218 pages, 20 euros).

Maggie Nelson ©  Ed. du Sous-sol/SP
Maggie Nelson © Ed. du Sous-sol/SP

Encensée aussi bien par Emma Watson, la Hermione de Harry Potter, que par Karl Ove Knausgaard, le nouveau roi planétaire de l'autofiction, l'Américaine Maggie Nelson nous invite ici à une chasse au fantôme. Celui de sa tante Jane qu'elle n'a jamais connue, assassinée à l'âge de 25 ans de deux balles dans la tête, puis étranglée avec un bas. La réouverture de l'enquête va provoquer un séisme familial et conduire à l'écriture de ce formidable livre hybride, récit de procès et réflexion sur la violence faite aux femmes par les hommes, qui convoque James Ellroy, les sacrifices aztèques... et même l'Elmer de Bugs Bunny.

Histoire mondiale de la France, sous la direction de Patrick Boucheron (Seuil, 800 pages, 29 euros).

Cet ouvrage, c'est 146 dates, une centaine d'historiens, 100 000 exemplaires vendus. Phénomène de l'année, il a suscité aussi d'âpres polémiques, tant cette vision perméable, élargie et décentrée de la France reparcourue au gré de ses contacts avec l'étranger a heurté les tenants du roman national : la bataille de Poitiers délaissée au profit d'un échange de butin chez les Arabes près de Perpignan ; la fondation de la France libre à Dakar plutôt que l'appel du 18 juin 1940 ; la naissance de l'économie sucrière française en 1660 plutôt que la prise de pouvoir par Louis XIV à la même date ; les révoltes kanaks dans l'armée en 1917 plutôt que Verdun... Ce collectif use avec maestria de l'art du contre-pied et de l'alternance stimulante, traçant la voie d'une histoire mondiale qui manquait jusque-là en France.

LIRE aussi Patrick Boucheron : « L'histoire de France est devenue mondiale »

Napoléon et de Gaulle. Deux héros français, de Patrice Gueniffey (Perrin, 400 pages, 21,50 euros).

GUENIFFREY Patrice ©   Hannah ASSOULINE/Opale
Patrice Gueniffrey   © Hannah ASSOULINE/Opale

Impossible de raconter l'histoire de France sans raconter celle de ses grands hommes, selon Gueniffey, qui confronte dans ce livre son duo majeur. Tous deux ont incarné au mieux le mythe du sauveur, réconciliant un pays irréconciliable, imposant un pouvoir efficace, prétendant même être la France. Au-delà de leurs différences, l'un, Bonaparte, fut porté et appelé par la France, tandis que l'autre, de Gaulle, se porta lui-même à la tête de l'État, leurs trajectoires incitant l'historien à s'interroger sur l'âme d'une nation jamais guérie de ses hommes providentiels et sur l'impossibilité actuelle de voir émerger une personne d'une telle carrure dans nos démocraties. Écrite à la fin d'un quinquennat Hollande bien morose, cette analyse, soutenue par un style féroce et éblouissant, nous fait respirer l'air pur des cimes.

LIRE aussi : Comment Napoléon et de Gaulle ont réconcilié les Français et Boucheron-Gueniffey, le choc de l'histoire de France

Le sympathisant, de Viet Thanh Nguyen, traduit de l'anglais par Clément Baude (Bel-fond, 504 pages, 23,50 euros).

Ce roman, le Washington Post l'a comparé à 1984, de George Orwell, pour sa précision à décrire les jeux de manipulation. Mais l'écrivain, également auteur d'un essai finaliste des National Book Awards sur la guerre du Vietnam dans les mémoires américaine et asiatique, préfère le présenter comme sa réponse à Apocalypse Now de Coppola. Le sympathisant est l'hallucinante confession d'un agent double après la guerre du Vietnam, fortement inspirée de l'étrange destinée de Pham Xuan An, qui fut journaliste pour Time Magazine... et espion pour le Nord-Vietnam de 1952 à 1975. Un livre retors et fascinant qui ferait un excellent film, avec Sympathy for the Devil pour bande originale et qui ne serait pas signé par Coppola.

LIRE aussi Viet Thanh Nguyen : "Ma réponse à "Apocalypse Now"

Souvenirs dormants, de Patrick Modiano (Gallimard, 112 pages, 14,50 euros).

FRANCE-NOBEL-LITERATURE-MODIANO ©  THOMAS SAMSON / AFP
Patrick Modiano © THOMAS SAMSON / AFP

Le maître des souvenirs phosphorescents réveille une nouvelle fois pour nous ses souvenirs dormants. L'intrigue ? Un jeune homme fugue de son pensionnat, s'installe à Paris où il rencontre un certain nombre de personnages, dont six femmes, aux prises avec un revolver et le milieu occultiste parisien. Comme chaque fois, les noms des personnages brillent comme des signaux étranges dans la brume mémorielle et nous invitent à voir un chemin caché dans le labyrinthe de la ville. Il y a des carnets avec des numéros de téléphone, une disciple de Gurdjieff et un mystérieux théoricien du rêve qui a trouvé le secret pour diriger nos songes. Encore une fois, la magie Modiano opère. Mais le plus chic, c'est qu'avec ce livre, paru en même temps qu'une pièce de théâtre (Nos débuts dans la vie), le Prix Nobel nous ouvre aussi sa boîte à outils. Précieux.

Retour à Lemberg, de Philippe Sands, traduit de l'anglais par Astrid van Busekist (Albin Michel, 544 pages, 23 euros).

C'est le portrait d'une ville de Galicie, Lvov, ou Lviv, ou Lemberg. C'est aussi le destin croisé de quatre figures ayant Lemberg pour point commun : Hans Frank, le gouverneur nazi de Pologne, vint y prononcer un discours sur la solution finale ; Hersch Lauterpacht, l'inventeur de la notion de crime contre l'humanité, et Raphael Lemkin, qui forgea le concept de génocide, y étaient nés ; de même que Léon Buchholz, le grand-père de Sands. C'est enfin une enquête magistrale, minutieuse, menée de main de maître par ce juriste anglais, à partir de lettres, de photos, qui rend la parole à une communauté de 200 000 juifs exterminés par les nazis.

LIRE aussi Philippe Sands, l'avocat des oubliés de l'Histoire

Le bureau des jardins et des étangs, de Didier Decoin (Stock, 396 pages, 20,50 euros).

Katsuro, le pêcheur de carpes qui fournissait en poissons ornementaux les temples de la ville impériale, s'est noyé. Miyuki, sa jeune veuve, décide de prendre la relève. Du ramassis de huttes qu'est son village à la splendeur de Heian-kyo (l'actuelle Kyoto) au XIIe siècle, cette femme « à la maigre silhouette d'herbe folle » va affronter tous les périls, tous les démons, la cour impériale valant bien le pire des bouges en ce domaine. Le grand conteur qu'est Decoin nous livre un fabuleux voyage initiatique, saturé d'images et d'odeurs, d'une violence et d'un raffinement extrêmes, sans avoir jamais mis un pied au Japon. Mais il y a transporté, ça se sent, tout son enthousiasme et son imaginaire.

LIRE aussi Le voyage de Miyuki

La première pierre, de Carsten Jensen, traduit du danois par Nils Ahl (Phébus, 770 pages, 26 euros).

L'ancien journaliste et écrivain désormais de premier plan Carsten Jensen livre avec ce roman un Au cœur des ténèbres à l'afghane. Au début, on croit à l'épopée déjà vue d'une unité engagée dans des zones de combats, avec ses portraits, ses poussées d'adrénaline, ses deuils, sa vie collective. L'affaire dérape à la page 300 lorsque le chef d'une section de soldats danois, Schroder, passe à l'ennemi, faisant tomber dans une embuscade une dizaine d'hommes. Qui est Schroder, ancien concepteur de jeux vidéo, à la recherche duquel le gouvernement envoie un Danois d'origine afghane ? Son enquête fera pénétrer le roman, et le lecteur, dans une zone trouble, passionnante, qui d'une classique histoire de guerre bascule bientôt dans le machiavélisme d'un polar idéologique passionnant.

La servante écarlate, de Margaret Atwood, traduit de l'anglais par Sylviane Rue (Robert Laffont, « Pavillons Poche », 544 pages, 11,50 euros).

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Margaret Atwood  © ROBYN BECK / AFP

Ce roman a été écrit en 1985, et c'est pourtant l'un des cartons de l'année. Dans ce classique de l'anticipation noire, la Canadienne Margaret Atwood imagine une théocratie instaurée après une catastrophe écologique qui a rendu la quasi-totalité des femmes stériles. Les rares femmes encore fertiles sont kidnappées pour devenir les servantes d'hommes puissants, avec lesquels elles sont régulièrement contraintes à des rapports sexuels ritualisés dans l'espoir d'une grossesse. Remis à l'honneur avec une adaptation en série signée HBO, le roman est devenu le brûlot féministe, écologiste et citoyen qu'il fallait à l'Amérique de Trump et à un monde angoissé.

LIRE aussi Diabolique Margaret Atwood

Les jours enfuis, de Jay McInerney, traduit de l'anglais par Marc Amfreville (L'Olivier, 496 pages, 22,50 euros).

De livre en livre, McInerney montre de New York ce que Baudelaire dit de Paris : la nostalgie des jours enfuis. On a suivi et aimé le couple Russel et Corrine Calloway à travers les années 1980, 1990 et 2000, entre finance et édition, dîners avec Salman Rushdie et tendres coïts dans les cabines d'essayage de Saks Fifth Avenue. Les voici avec ce troisième tome au seuil des années Trump, et, si le couple tient la route malgré les coups de canif dans le contrat, à 50 ans et des poussières, le brillant des jours et des nuits est de moins en moins éclatant. Cette lumière qui n'en finit pas de finir, cette sexualité en berne, ça s'appelle vieillir, mais le rebond n'est pas interdit : voici l'antidote, servi avec un plaisir non dissimulé par l'ex-oiseau de nuit le plus grinçant de Manhattan.

Le fabuleux et triste destin d'Ivan et d'Ivana, de Maryse Condé (JC Lattès, 250 pages, 19 euros).

Maryse Condé © Philippe Matsas Philippe Matsas/Opale/Leemage
Maryse Condé © Philippe Matsas Philippe Matsas/Opale/Leemage

Voici l'histoire d'Ivan et Ivana, jumeaux nés d'un coup de foudre entre un musicien malien en tournée en Guadeloupe et leur mère, qui y est née (comme Maryse Condé). Le père repart pour le Mali ; Simone voit ses jumeaux grandir sans s'inquiéter de l'amour dévastateur qui les unit. Est-ce parce qu'il souffre de ce désir coupable pour sa sœur qu'Ivan va se perdre dans le djihad ? La narration quasi frénétique suit les parcours d'un ange et d'un démon pris dans les enjeux de notre temps. Tous les chemins de la biographie de Maryse Condé, auteure de l'immortelle saga Ségou (Robert Laffont), se retrouvent dans ce livre d'audace et de combats : Haïti, l'Afrique, la France, le racisme et l'intolérance mais aussi la famille et l'espoir dans la jeunesse.

Comme de longs échos, d'Elena Piacentini (Fleuve noir, 288 pages, 19,90 euros).

Les maris font toujours des coupables idéals. Comme Vincent Dussart, qui découvre l'assassinat de son épouse et la disparition de leur nourrisson, et que l'enquête accule, du moins jusqu'à ce que cette affaire fasse jaillir le souvenir d'une autre, irrésolue et tombée aux oubliettes... Cette romancière et scénariste corse qui a migré chez les Ch'tis réalise le formidable tour de passe-passe d'entremêler les trames et de résoudre un puzzle impensable - bien que tiré d'un fait divers réel - grâce au soutien de personnages qui palpitent d'une profonde humanité. Bref, de signer, en amoureuse des mots, un suspense labyrinthique et hypnotique qui annonce Piacentini comme la nouvelle voix à suivre du polar hexagonal.

LIRE aussi Polar : meurtre baudelairien

Chroniques d'une société liquide, d'Umberto Eco, traduit de l'italien par Myriem Bouzaher (Grasset, 512 pages, 23 euros).

Umberto Eco © Leonardo Cendamo Leonardo Cendamo/Grasset/SP
Umberto Eco © Leonardo Cendamo Leonardo Cendamo/Grasset/SP

Disparu en 2016, l'auteur du Nom de la rose était aussi un éditorialiste implacable. Le recueil de ses articles parus dans L'Espresso entre 2000 et 2015, placé sous le haut patronage de Zygmunt Bauman, et qui paraît à titre posthume, va permettre aux Français de découvrir son talent d'éditorialiste. De la baisse de niveau des frasques sexuelles des hommes politiques à nos addictions aux réseaux sociaux, de la notion de décadence à un éloge du polythéisme comme contrepoison spirituel, il professore déploie son ironie, son érudition et son goût de l'actualité pour mettre le feu aux idées reçues. C'est décapant, mais qu'est-ce que c'est bon ! Reviens, Umberto !

LIRE aussi Derniers échos d'Eco

Seul le grenadier, de Sinan Antoon, traduit de l'arabe par Leyla Mansour (Actes Sud, 320 pages, 22 euros).

Il est écrivain et il est irakien. Nul autre que lui ne pouvait donc nous dire avec autant de précision et de poésie le tragique destin de son pays, qui s'incarne ici à la fois dans un homme et dans un arbre. L'homme, c'est un étudiant fasciné par Giacometti qui voulait devenir sculpteur avant que le conflit avec l'Iran puis les bombes américaines ne le détournent de sa vocation et ne l'obligent à reprendre le métier de son père, qui prépare les défunts avant le rite de l'ensevelissement. L'arbre, c'est le grenadier du jardin, qui se nourrit de l'eau du lavage des corps, puissante métaphore d'un pays où la mort et la vie s'étreignent avec violence depuis presque quarante ans. Un magnifique chant de deuil à la beauté fusillée par la guerre des hommes.

Arrête avec tes mensonges, de Philippe Besson (Julliard, 198 pages, 18 euros).

Philippe Besson © Seb Seb / Maxime Reychman/Julliard/SP
Philippe Besson © Seb Seb / Maxime Reychman/Julliard/SP

Avec son livre sur les coulisses de la campagne de Macron, c'est l'année Besson ! Juste avant, il y avait ce roman, qui nous plonge dans les années 1980 au cœur d'un petit village de Charentes où chacun se scrute. L'année de la terminale, le jeune Philippe Besson, intello maladroit, vit sa première passion, farouchement secrète, avec Thomas, un fils d'agriculteur. Au-delà du récit fébrile d'un apprentissage des corps et d'un amour qui ne dira jamais son nom, Besson, écrivain des vertiges et des déchirures, tisse une réflexion poignante sur le destin, le déterminisme social et ceux qu'il faut parfois laisser derrière soi.

Les routes de la soie, de Peter Frankopan, traduit de l'anglais par Guillaume Villeneuve (Editions Nevicata, 736 pages, 27 euros).

On a tous rêvé de lire une histoire de l'humanité en 700 pages. On rêve tous aussi de partir en voyage sur les chemins du monde et de son passé. L'historien anglais comble ces deux aspirations en nous entraînant sur une quinzaine de routes qui jalonnent deux mille cinq cents ans d'échanges et de tumultes. Soie, pétrole, monothéisme, fourrure, peste, blé, esclavage... Au cœur de cette fresque, un continent, l'Asie, carrefour des biens et des civilisations, que Frankopan nous fait redécouvrir au triple galop en compagnie des Byzantins, des Perses, des Moghols, des premiers Russes... Haletant.

LIRE aussi La mondialisation comme on ne l'a jamais racontée

Marx et la poupée, de Maryam Madjidi (Le Nouvel Attila, 208 pages, 18 euros).

Ses parents cachaient des tracts politiques dans ses couches-culottes. Née en Iran de parents communistes à l'aube des années 1980, la narratrice de Marx et la poupée a assisté, enfant, à des réunions clandestines et a même été contrainte, en vertu des principes marxistes, de faire don de ses jouets aux enfants pauvres du quartier. Puis viendra l'arrachement avec un départ pour la France, à l'âge de 6 ans. Dans ce premier livre, Maryam Madjidi, fille de l'exil, raconte avec tendresse et culot les bonheurs et les désarrois liés à sa double identité. Avec en prime un regard moqueur sur ces Français qui lui disent, trois siècles après Montesquieu, que c'est extraordinaire d'être persane. Vif, cocasse et souvent poignant.

LIRE aussi Livres : le club des filles de l'exil

Une activité respectable, de Julia Kerninon (Rouergue, 60 pages, 9,80 euros)

À 30 ans et avec deux romans publiés, l'auteure de Buvard signe ce court manifeste pour la littérature, formidablement contagieux. Il faut dire qu'à seulement 5 ans, Julia Kerninon s'était vu offrir une machine à écrire et se sentait d'emblée chez elle dans la librairie Shakespeare et Compagnie, où l'emmenait sa mère. Lire, écrire, s'entraîner comme une athlète, partir à Budapest à 20 ans, voir son premier livre accepté, avoir tout donné pour cela, effectué nombre de petits boulots : ce récit d'apprentissage raconte tout du choix de Julia, vivre la poésie, coûte que coûte, et, par l'écriture, atteindre à ce rapport « intense et franc » avec le monde. A ses parents « affamés de livres », qui ont toujours considéré la littérature comme une « activité respectable », elle rend grâce. Nous aussi.

Non ce n'était pas mieux avant, 10 bonnes raisons d'avoir confiance en l'avenir, de Johan Norberg, traduit de l'anglais par Laurent Bury (Plon, 272 pages, 17,90 euros).

Johan Norberg © DR

Entre 1950 et 2011, l'espérance de vie est passée de 42 à 70 ans en Asie, de 50 à 74 en Amérique latine, de 37 à 57 ans en Afrique. Côté alphabétisation, il y a deux cents ans, 12 % de la population mondiale savaient lire et écrire, contre 86 % aujourd'hui. Mais oui, l'humanité va de mieux en mieux ! N'en déplaise à tous les oiseaux de malheur, c'est la thèse délicieusement optimiste de l'essayiste suédois Johan Norberg. D'après ce libéral, apôtre de la mondialisation heureuse, nous sommes statistiquement plus riches, en meilleure santé, plus éduqués et même plus tolérants que par le passé. Et il s'en explique, avalanche de chiffres et d'anecdotes à l'appui. L'antidote rêvé au catastrophisme ambiant.

LIRE aussi Johan Norberg : « On croit plus aux fantômes qu'au progrès »

Les lauréats des grands prix de l'automne 

Prix Goncourt : Eric Vuillard « L'ordre du jour » (Actes Sud)

Prix Goncourt des lycéens : Alice Zeniter « L'art de perdre » (Flammarion)

Prix Renaudot : Olivier Guez « La disparition de Josef Mengele » (Grasset)

Prix Renaudot essai : Justine Augier « De l'ardeur » (Actes Sud)

Prix Renaudot des lycéens : Kaouther Adimi « Nos richesses » (Seuil)

Prix Interallié : Jean-René Van der Plaetsen « La nostalgie de l'honneur » (Grasset)

Prix Femina : Philippe Jaenada « La serpe » (Julliard)

Prix Femina étranger : John Edgar Wideman « Ecrire pour sauver une vie. Le dossier Louis Till » (Gallimard)

Prix Femina essai : Jean-Luc Coatalem « Mes pas vont ailleurs » (Stock)

Prix Médicis : Yannick Haenel « Tiens ferme ta couronne » (Gallimard)

Prix Médicis étranger: Paolo Cognetti G « Les huit montagnes » (Stock)

Grand Prix du roman de l'Académie française : Daniel Rondeau « Mécaniques du chaos » (Grasset)

Prix de Flore : Pierre Ducrozet « L'invention des corps » (Actes Sud) et Zarca « Paname underground » (Goutte d'or)

Les prix décernés par « Le Point » en 2017

Prix des Libraires de Nancy-Le Point : Alice Zeniter, « L'art de perdre » (Flammarion).

Prix du Polar européen : Hannelore Cayre, « La daronne » (Métailié).

Prix de la Biographie : Clara Royer, « Imre Kertesz : l'histoire de mes morts » (Actes Sud).

Le jury

Claude Arnaud
Jean-Paul Enthoven
Marc Lambron
Marie-Françoise Leclère
Sébastien Le Fol
François-Guillaume ­Lorrain
Thomas Mahler
Saïd Mahrane
Julie Malaure
Valérie Marin La Meslée
Christophe Ono-dit-Biot
Sophie Pujas
Michel Schneider
Albert Sebag
Laurent Theis

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Commentaires (5)

  • AMPM

    Intéressant de noter que cette liste comporte une très grande majorité de romans. À lire quand on a lu tout le reste.

  • www.respectinternational.fr

    J'ai moi même en Bretagne, dans les Côtes d'Armor, une bibliothèque fournie. Quelques livres aussi à Paris. Mais la vérité est que lire est difficile. Surtout pour ceux, comme moi, dont les capacités sont limitées. Même quand je suis au chômage, je lis relativement peu et toujours de façon laborieuse. Je suis actuellement en train de finir de lire (sans bien sûr tout comprendre) "Histoire secrète d'un krach qui dure" de Marc Roche que j'ai commencé il y a plusieurs mois... Je suis très admiratif de ceux qui lisent beaucoup - surtout s'ils comprennent ce qu'ils lisent. Personnellement, je ne pourrais pas lire plus de trois heures par jour et jamais plusieurs mois consécutifs. C'est pourquoi je suis au fond content de travailler.

  • cactus 22

    J'ai des tonnes de bouquins à lire chez moi, me manque le temps.

    Normal, je suis fonctionnaire.

    Ben quoi, j'ai dit quelque chose qu'il ne fallait pas dire ?