Claire GENEVRE
Claire GUICHARD
L3 Histoire et Histoire de l’art
Exposé Art Nouveau, 2007-2008

MAISON HUOT
92, 92bis quai Claude le Lorrain, Nancy

I. HISTORIQUE

   La maison Huot, du nom de son commanditaire, est en réalité composée de deux maisons jumelles.

Frédéric HUOT, d’origine mosellane, opte pour la France en 1889 et s’installe à Nancy en 1895. Âgé de moins de trente ans, il est déjà rentier. C’est au printemps 1903 qu’il commande ses maisons à Émile ANDRÉ. Lui laissant beaucoup de liberté, il permet à ce jeune architecte d’exprimer son art, directement lié à l’Ecole de Nancy.

Émile ANDRÉ est né le 22 octobre 1871 à Nancy. Il est issu d’une famille d’entrepreneurs architectes renommée de cette même ville.

Émile ANDRÉ

Son grand-père, François ANDRÉ (1811-1904), était entrepreneur en bâtiment. Son père, Charles ANDRÉ (1841-1928), était architecte départemental. Ce dernier, menant une carrière politique en parallèle à ses activités professionnelles, rencontra la plupart des artistes de l’avant-garde nancéienne de l’époque. En 1894, devenu un notable incontournable de la ville, il prit la direction de la première exposition d’arts décoratifs lorrains ; elle eut un succès retentissant à Nancy. Personnellement impliqué dans le choix des œuvres, il réussit à convaincre son ami, le grand ébéniste Eugène VALLIN, d’exposer l’une des pièces les plus remarquées de l’exposition : un plafond de salle à manger. Tous les artistes reconnurent le rôle de Charles ANDRÉ dans la réussite de cette manifestation et, au-delà, dans la genèse de l’Ecole de Nancy.
Avec un père très impliqué dans la promotion de la culture lorraine, il n’est pas étonnant qu’Émile ANDRÉ ait été si rapidement intégré au mouvement initié par ses aînés. Ainsi il participe à plusieurs chantiers assurés par son père. Puis, après un premier échec, il entre à l’école des Beaux-arts de Paris en février 1893 et est admis dans l’atelier de Victor LALOUX (1850-1937) en mars. Il retrouve dans cette école de jeunes nancéiens qui, plus tard, s’illustreront dans leur ville par la construction d’édifices Art Nouveau : Paul CHARBONNIER (1865-1953), Henri DUFOUR (1870-1939), Henry Barthélémy GUTTON (1874-1963), Gaston MUNIER (1871-1918), Léon CAYOTE (1875-1946). Au cours de ses études, Émile ANDRÉ effectue de nombreux voyages. En 1894, il voyage en Tunisie avec René BINET et ira jusqu’en Italie. De novembre 1896 à avril 1897, il découvre l’Egypte, cette fois accompagné de Gaston MUNIER. En 1898, il obtient une deuxième médaille d’architecture et une bourse de voyage au Salon de Paris, grâce à sa reconstitution du temple de Kom-Ombos. De septembre à novembre 1898, il voyage successivement à Ceylan et en Inde. Puis il séjournera en Perse de novembre 1898 à avril 1900. Cette même année, il expose une vingtaine de dessins de son dernier voyage à l’Exposition Universelle de Paris. Puis de retour à Nancy, Émile ANDRÉ débute aussitôt sa carrière d’architecte et participe aux activités du mouvement nancéien. Il est l’un des membres fondateurs de l’Alliance Provinciale des Industries d’Art ou Ecole de Nancy créée en février 1901. Un de ses premiers projets fût la transformation des magasins Vaxelaire rue Saint Jean. La même année, il est chargé avec l'architecte Henry GUTTON d'établir le plan du lotissement du parc de Saurupt, où il réalise, en 1902, la loge du gardien, la villa les Glycines et la villa les Roches. Les années suivantes, il expose à plusieurs reprises des aquarelles, des dessins de voyage, des projets d’architecture, de meubles ou encore de décoration intérieure, à l’occasion de manifestations organisées par la Société Lorraine des Amis des Arts ou par l’Ecole de Nancy. En 1909, il réalise plusieurs pavillons dans le cadre de l’Exposition Internationale de l’Est de la France. Elu conseiller municipal de Nancy en 1912, il est nommé Officier de l’Instruction Publique l’année suivante. En 1918, il publie Les Reconstruction provisoires dans les villages dévastés aux Imprimeries réunies de Nancy et travaille à la reconstruction de nombreux villages lorrains. Ses fils Jacques (1904-1985) et Michel (1905-1975) poursuivent ses recherches. En 1931 il collabore avec eux à la construction de l’Institut de Zoologie de la rue Sainte Catherine de Nancy. Il décède deux ans plus tard à Nancy. Quatre de ses dessins seront exposés à l’Exposition rétrospective du centenaire de la Société Lorraine des Amis des Arts, se déroulant du 7 octobre au 12 novembre 1933.

   Les premiers documents d’Émile ANDRÉ sur cette maison datent du 29 avril 1903, quelques jours avant la demande d’autorisation de construire publiée le 3 mai. Une seconde demande est faite le 21 juin pour la maison jumelle. Nous pouvons donc supposer qu’un premier projet a été complété par un second, ce qui expliquerait qu’il y ait deux façades distinctes. Mais aucun document ne confirme cette hypothèse.

   Un avant-projet, non daté, de la façade sur rue a été conservé. La conception de l’édifice est basée sur la symétrie. Ce principe est accentué par la souche de cheminée centrale et le refend du mur qui matérialisent l’axe de symétrie. Cependant, les soupiraux des caves et les aisseliers de l’avant-toit sont les seuls éléments parfaitement symétriques. Ceci n’empêche pas la façade d’être équilibrée. En effet, les formes sont diverses mais se répondent d’une façade à l’autre.
Émile ANDRÉ reprend ici des formes qu’il a déjà expérimentées dans ses villas du parc de Saurupt et dans l’immeuble que Jules LOMBARD vient de se faire construire avenue Foch. Mais c’est la première fois qu’il utilise ses lucarnes pignons aux devants si particuliers.
Cet avant-projet présente peu de différences avec l’œuvre définitive, même si quelques formes ont été modifiées : les jours au-dessus du portail, le décor sous une des lucarnes pignons, la composition des fenêtres, le gable au-dessus du portail est abandonné.

Les travaux sont réalisés rapidement. Un document daté du 6 juin 1903 confirme que la construction de la façade sur rue est déjà bien avancée. Cependant, la forme des lucarnes n’est définie que le 16 septembre. Le gros œuvre, confié à l’entrepreneur nancéien Alexis GENY, est achevé à la fin de l’année 1903.
Le nom de ce dernier est associé à celui d’ANDRÉ au-dessus du portail. Le fait de cosigner une œuvre est courant à l’époque, mais ce sont en général les sculpteurs qui apparaissent à côté du maître d’œuvre. Le sculpteur de la Maison Huot n’est pas connu, mais c’était sans doute un artisan employé par l’entrepreneur.

   
La verrière a été réalisée par Jacques GRUBER (1870-1936), maître verrier à Nancy.
Il fut formé à l’école des Beaux-arts de Nancy puis de Paris, dans l’atelier de Gustave MOREAU. A vingt-quatre ans, il devient professeur d’art décoratif à l’école des Beaux-arts de Nancy. Il a collaboré avec Antonin DAUM (verrier) entre 1894 et 1900, ainsi qu’avec Louis MAJORELLE (célèbre décorateur et ébéniste nancéien, 1859-1926). Jacques GRUBER touche à différents domaines : curieux de la reliure, il est graphiste et peintre, créateur de modèles aussi bien pour le luminaire que pour la céramique. Il dessine des projets de meubles marqués par l’influence de GALLÉ puis de VALLIN.

Sensible à la couleur, aux jeux de lignes et de matières, c’est dans le domaine du vitrail que ses œuvres sont éblouissantes. Il réalise une synthèse créative de différentes techniques (verres superposés, verre gravé, verre à relief), fondée sur une vision personnelle de la nature. Contrairement aux autres verriers, il tire parti de la présence de plomb.
En 1916, il s’installe à Paris et y entame une brillante carrière, marquée par le style art-déco.

   L’occupation des maisons se fait dans le courant de l’année 1904 ; Frédérique HUOT occupe le 92bis tandis qu’il loue le 92 à un professeur de la Faculté de Pharmacie de Nancy.
Le 4 mai 1994, la façade et la toiture sur rue sont classées Monument Historique.

II. DESCRIPTION

   L’édifice, situé à proximité du chemin de fer, est composé de plusieurs bâtiments : les maisons jumelles, côté rue, et les parties constituantes à l’arrière : un jardin d’agrément et une écurie.
   Les matériaux utilisés sont diverses : pierres de taille et pierres meulières en façade, briques autour d’une baie et des soupiraux, métal, bois, verre et céramique. La couverture est faite de tuiles et d’ardoises.
   La Maison Huot est un édifice à étages, composé d’un sous-sol, du rez-de-chaussée, d’un premier étage et d’un second, sous les combles. L’élévation est à quatre travées.

LES BAIES
Les onze fenêtres de la façade sur rue sont différentes. Elles rendent compte de la diversité des formes, des matériaux et du décor utilisés par ANDRÉ.

La plus simple en apparence (rez-de-chaussée, côté locataire) est pourtant très complexe. Sa forme, plus large que haute, est originale pour l’époque. Pour amoindrir cet effet, ANDRÉ rajoute des vantaux verticaux dans l’embrasure de la baie.
Une autre particularité est le délardement concave (arêtes cassées) des couvrements des baies ainsi que leurs piédroits. Certaines sont sans décor, comme les deux baies du rez-de-chaussée, côté locataire, tandis que les autres sont couvertes d’un décor de fleurs stylisées.

L’allège des baies porte un décor qui reprend la forme des balustres du balcon en pierre. La reprise d’une forme architecturale en élément de décor, ou l’inverse, est souvent utilisée par ANDRÉ.

Émile ANDRÉ est aussi habile dans l’association de matériaux polychromes. Il utilise notamment de la brique crue pour les soupiraux des caves, associée à une forme originale en aile de papillon. La brique émaillée est, elle, utilisée pour le couvrement de la baie (rez-de-chaussée, 92 bis) en forme de fer à cheval.
Le bois, présent sur chaque baie et qui entoure le vitrail, ajoute à l’originalité de la façade.

LES LUCARNES PIGNON ET LES SOUCHES DE CHEMINÉES

L’architecte utilise ces formes pour la première fois ici. Le gâble surmontant la lucarne témoigne d’une influence gothique, cependant le tracé et le décor sont renouvelés. Les crossettes (rupture décorative d’une ligne aux angles) à la base du gâble rappellent celles du portail, tandis que le décor sculpté en relief méplat se creuse progressivement vers les parties hautes.
Trois cheminées rythment la façade. Sculptées également en relief de plus en plus accentué vers le haut, leurs motifs floraux les apparentent à des bouquets.
Ces éléments donnent un effet de verticalité à la façade et participent à une impression d’élévation du bâtiment vers le haut.

LES PORTES

   La porte cochère, 92 bis
   La forme de cette porte, prévue pour le passage de la voiture, à l’époque tirée par des chevaux, a déjà été expérimentée par Émile ANDRÉ au 69 avenue Foch, et deviendra vite familière. Elle est couverte d’un arc en anse de panier, surmonté de deux jours lenticulaires décorés de ferronnerie. Le chambranle à crossettes est décoré de pommes et d’aiguilles de pin.

Les fasces des crossettes ne font pas le tour de la porte, mais elles s’intègrent progressivement dans le mur. Cette technique est couramment utilisée en Art Nouveau.

   Un dessin d’exécution de la ferronnerie du vantail gauche de la porte cochère est conservé au musée de l’École de Nancy. Constituée de trois branches épineuses ramifiées, écrasées aux extrémités, elle se prolonge dans les jours situés au-dessus de la porte.

   La porte piétonne, 92

   La porte du 92 est une entrée piétonne, en bois. Traitée beaucoup plus simplement que la précédente, on retrouve cependant un décor de ferronnerie dans le jour qui la surmonte, ainsi qu’un motif végétal sur la clenche

LE BALCON, 92 BIS   

Le balcon du 92 bis est inspiré de l’architecture balnéaire très à la mode à l’époque. Réalisé en bois, il était , à l’origine, peint en sombre, contrastant avec la ferronnerie de la porte, peinte en clair. Ce balcon est aujourd’hui incomplet et les teintes sont inversées.

ÉLÉVATION POSTÉRIEURE

   Un dessin, daté du 7 mai 1903, nous permet d’étudier la façade postérieure. Cette dernière est plus ordinaire que la façade sur rue. Cependant, elle présente une grande diversité de percements et de matériaux utilisés pour les façades postérieures à l’époque. La partie droite, destinée au commanditaire, est tout de même privilégiée. Au rez-de-chaussée, deux bow-window donnent sur les cuisines de chaque maison. Au premier étage du 92 bis, la salle de bain s’ouvre sur un balcon qui conduit à la terrasse couvrant la cuisine. Les chambres, donnant sur le jardin, s’ouvrent sur cette terrasse.

COUVERTURE

   La couverture est composée de toits à longs pans. La tuile et l’ardoise se mêlent, formant à l’origine un motif, aujourd’hui disparu.

DISPOSITION INTÉRIEURE

   Le plan du rez-de-chaussée témoigne d’une composition symétrique dans l’ensemble. L’entrée, située dans le passage de la voiture au 92 bis, se fait dans un vestibule, où se situent les escaliers qui mènent aux étages. L’originalité de cette disposition se trouve dans les salles à manger, cuisines et offices, qui donnent sur le jardin, tandis que les salons donnent sur la rue. Les cuisines, situées dans des bow-window, reçoivent une luminosité abondante. Plusieurs cheminées en céramique permettaient de chauffer les maisons et l’on trouvait du plancher à tous les étages. Malgré la symétrie, un petit salon / bureau est placé immédiatement à gauche de l’entrée du 92, que l’on ne retrouve pas dans le 92 bis.

ÉCURIE ET REMISE À VOITURE

   Appartenant au 92 bis, on y accède par le passage de la voiture. Rassemblées sous le même toit, elles occupent le fond de la parcelle dans l’angle gauche. Constituées d’un corps de bâtiment en L, le rez-de-chaussée accueille les chevaux et la voiture, tandis que le premier étage contient le logement du cocher ainsi que le grenier à fourrage. Un dessin, daté du 30 juin 1903, nous montre une façade soignée, avec le couvrement des baies formant un bandeau ondulant de briques et de calcaire.

III. NOTE DE SYNTHESE

   La maison Huot est un édifice qui représente une synthèse des réalisations antérieures d’ Émile ANDRÉ. Il reprend ici des formes qu’il a expérimentées dans ses villas du parc de Saurupt et dans l’immeuble Lombard, avenue Foch.
   Dès l’achèvement de ces maisons jumelles, elles furent reconnues comme exemplaires. La maison Huot est devenue emblématique de l’architecture Art Nouveau à Nancy. Toujours propriété privée aujourd’hui, elle n’est malheureusement pas visitable.