6e Année - N° 6
Ezra
Bi-mensuel 19 mars 1950
1er Nissane 5717

Bulletin version multi-media
Toutes les photographies
des cérémonies sont l'oeuvre

© d'Etienne Klein,
Studio Arts et Photos
à qui ces pages sont dédiées
Inauguration de la
Synagogue provisoire
de Strasbourg

par Charles Ehrlich

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L'Arche sainte de la synagogue Broglie


Au lendemain de la guerre, la communauté de Strasbourg, pour pouvoir se reconstituer, rechercha un nouveau lieu de culte. Il fut décidé de reprendre les offices religieux dans la seule synagogue épargnée par la guerre, celle de la rue Kageneck. C’est ainsi que jusqu’en 1950 les offices journaliers eurent lieu avec les membres de  cette synagogue, tandis que le Shabath et les jours de fête  ils étaient célébrés dans la Salle de la Marseillaise (une salle municipale mise à la disposition de la communauté).

Les jours de fêtes de Tishri, il fallait une salle suffisamment grande pour accueillir la foule des fidèles, et c’est ainsi que le Palais des Fêtes fit fonction de synagogue jusqu’à l’inauguration de la Synagogue de la rue Broglie.

C’était une salle qui appartenait à l’administration et qui dépendait du mess des officiers. Elle fut donc aménagée en synagogue provisoire et fut inaugurée en 1950.

A veille de l’inauguration de la Synagogue de la Paix (le 22 mars 1958), le dernier office s'y déroulera à la sortie du Shabath ; celui-ci scellera la période provisoire des prières en la synagogue de la rue Broglie.

"Quel est parmi vous le survivant
Qui ait vu ce temple dans sa splendeur primitive ?
Et comment le voyez-vous maintenant ?
Tel qu'il est, ne paraît-il pas comme rien à vos yeux ?"
(Aggée 2:3 - à propos du second Temple, après le retour de la captivité de Babylone.)

Dernière photographie de la synagogue Kléber avant sa destruction par les nazis
Kleber

Rosh-Hodesh Nissan, le mois de la libération de l'esclavage d'Égypte, la lecture sabbatique de la fin du Livre de l'Exode relatant l'érection du Tabernacle le premier jour de Nissan, l'éclat du soleil printanier, tout semblait s'accorder pour faire de cette journée la marque symbolique de la fin d'une époque douloureuse entre toutes, d'un renouveau de vitalité et de joie intense. Et pourtant cette joie ne pouvait se donner libre cours ni sur les visages des fidèles, ni dans leurs cœurs, contractés par des blessures encore mal cicatrisées. Le long cortège de ceux qui manquent à l'appel aujourd'hui, de ces chères figures de parents et d'amis, a surgi devant notre vision spirituelle, chacun à sa place dans la synagogue du quai Kléber. Un Temple, n'est-il pas vrai, n'est pas seulement un édifice plus ou moins spacieux, plus ou moins somptueux. Mais chaque place nous rappelle tel événement heureux, tel désespoir qui nous y a fait épancher notre cœur, tel réconfort que nous y avons puisé pour surmonter une douleur ou idéaliser une joie. Chaque stalle est empreinte de la personnalité de son occupant habituel qui y a laissé le meilleur de lui-même en mettant son âme à nu devant son Créateur.

Et c'est un lieu où puisse régner une telle ambiance qui a manqué à nos coreligionnaires strasbourgeois depuis plus de dix ans, ce lieu sacré où l'on se retrempe à l'abri de toute pensée profane, où aucun objet profane ne choque la vue et vers lequel l'âme aspire à l'heure de la prière. Le culte domestique est, certes, essentiel dans la vie juive et la prière particulière peut toucher Dieu quel que soit le lieu d'où elle monte vers Lui ; mais notre culte est un culte public, de même que nos prières, rédigées au pluriel, doivent en principe être récitées en commun. Il faut aussi qu'elles puissent être faites dans un cadre, dans une ambiance consacrée, pour monter comme le parfum des holocaustes. Et ce parfum, nous avons besoin de le respirer pour nous trouver entièrement en présence du Tout-Puissant.

Cette présence, nous pouvons de nouveau l'éprouver grâce à l'aménagement de notre synagogue provisoire. Or les briques peuvent être assemblées et cimentées, même un grand Temple pourra être construit de nouveau, mais hélas, tant de fidèles de l'ancien Temple, disparus dans la tourmente, ne verront pas le nouveau…

Vue générale de la cérémonie

Voilà les sentiments diamétralement opposés qui ont tourmenté le fond de notre cœur pendant cette cérémonie simple et digne en tous points, et cependant grandiose et imposante.
"Tout le peuple jetait des cris de joie; cependant, les vieillards qui avaient encore vu le premier Temple de Salomon se lamentaient, parce que la nouvelle Maison de Dieu était loin d'égaler l'ancienne en splendeur."

L'auteur de ces lignes s'excuse d'avoir laissé courir sa plume au hasard de ses réflexions au sortir de cette cérémonie émouvante et sous l'influence des flots d'éloquence dont se sont dégagés toutes ces pensées, avant d'arriver à remplir sa mission de relater la cérémonie proprement dire, laquelle était placée sous la présidence de M. Le Grand Rabbin de France.

L'enceinte sacrée était archi-pleine d'une foule recueillie. Sur l'estrade avaient pris place les plus hautes personnalités du Département (...)

Après un prélude d'orgue, l'Entrée solennelle des Tables de la Loi rendait non seulement un tableau saisissant, mais, au chant majestueux de Seou Cheorim, cette procession, grandiose dans sa simplicité, faisait planer sur l'assistance la She'hina, la présence de la Majesté de Dieu. Douze Seforime avancent lentement, portés, grands rabbins et rabbins en tête, par les personnalités les plus représentatives et les plus méritantes. Le cortège s'immobilise devant l'Arche Sainte. M. le Grand Rabbin Deutsch, maîtrisant son émotion, prononce une prière sublime de consécration du Temple. Rappelant le sacrifice de près de mille victimes strasbourgeoises et leurs indicibles souffrances, il demande à Dieu d'exaucer les prières des survivants qui consacrent cette maison - lieu de prières pour toutes les nations de la terre - à sa Gloire comme un gage perpétuel de notre fidélité. Dans le plus profond recueillement, on allume le Ner Tomid, la Lumière Eternelle, symbole de la présence permanente du Seigneur dans cette enceinte.

La procession se reforme pour les Hakofaus au chant d'invocation de Sim'hath Torah et le Président de la Communauté place enfin les Rouleaux Sacrés dans l'Arche Sainte. Puis éclate majestueusement le Etz Haïm.

De g. à dr. : le G.R. Deutsch, Joseph Borin, le G.R.Schwartz, André Neher
Voici l'heure des discours. Il n'est pas possible, dans le cadre de ce compte-rendu, d'en donner une analyse détaillée. Souhaitons qu'ils soient intégralement publiés en souvenir durable de cette journée. Nous essayerons cependant d'en donner un pref aperçu.

Maître BING, président de la Communauté,
souhaite la bienvenue à tous, en particulier, et tour à tour, aux autorités. Il veut voir dans leur présence, non seulement une marque de sympathie, mais surtout le symbole d'un pays où les hommes ne sont pas jugés d'après leurs croyances ou leurs origines, mais selon leurs mérites. Ses remerciements vont à tous ceux qui ont secondé les efforts de la Commission administrative, à M. Le Préfet, à M. le Maire, au Général. Il exprime la reconnaissance de la Communauté aux architectes, entrepreneurs et ouvriers qui ont redoublé de zèle pour mener la tâche à bien. D'une fonderie de canons, l'édifice s'est transformé en Temple, comme le prophète Isaïe, dans une vision sublime, voyait "les glaives transformés en socs de charrue". Il termine sur le vœu que l'évolution du monde suive le même chemin pacifique.

Cromback
Monsieur CROMBACK, président du Consistoire,
exprime à son tour sa joie et son émotion, en même temps que ses souhaits de bienvenue. Il fait un rappel documenté sur la vie des Juifs à Strasbourg et de leurs synagogues et cimetières de l'année 1160 à nos jours, et constate que l'actuel Temple provisoire se retrouve, à quelques mètres près, à proximité de l'emplacement de la synagogue et du cimetière juif disparus au 14ème siècle. Les massacres et destructions périodiques étaient judicieusement rappelés par l'orateur qui concluait par le souhait de voir bientôt s'ériger une synagogue définitive, protégée désormais par la fraternité et la tolérance général envers les hommes.

Après le chant des derniers versets du Psaume 116, Monsieur le Grand Rabbin DEUTSCH montait en chaire.
L'orateur consommé, à la pensée profonde et au verbe pénétrant, s'est surpassé lui-même. Il serait présomptueux de vouloir, en quelques phrases, analyser un sermon d'une telle élévation. Stigmatisant le geste sacrilège des Allemands, inspirés d'une idéologie satanique, le Grand Rabbin  s'élève au-dessus des contingences dogmatiques pour constater que temples et églises représentent le noyau de la santé morale des peuples. Les édifices religieux sont les piliers de toute civilisation et peuvent seuls garantir le respect de la personne humaine. L'abandon des lieux de prières, c'est la chute du monde dans le chaos. La présence des plus hautes autorités temporelles et spirituelles de contes les confessions signifie, pour l'orateur, le témoignage de leur compassion à nos souffrances passées et la condamnation de toute atteinte à la personne humaine. Reprenant le thème historique de la construction du second Temple après le retour de la captivité de Babylone, le Grand Rabbin cite le prophète Aggée :

"Plus grande sera la splendeur de ce second Temple que celle du premier, car en ce lieu Je ferai régner la Paix."
Sur cet heureux présage, le prédicateur formule le voeu que, dans un avenir proche, toute la Communauté puisse prier en commun dans l'enceinte d'une synagogue spacieuse et définitive.

Monsieur le Grand Rabbin de France, Isaïe SCHWARTZ
S'adresse ensuite à son ancienne Communauté avec son éloquence coutumière et son verbe convaincant. S'identifiant à ces vieillards qui, au temps d'Aggée, ont pleuré les splendeurs du Temple détruit, le Grand Rabbin, qui a exercé son saint ministère au quai Kléber pendant vingt ans, a cependant trouvé pour lui-même, comme pour la Communauté, des paroles de réconfort dans la volonté de vivre de cette dernière. "Puisse la Majesté Divine demeurer au milieu de vous", s'écria le chef spirituel du Judaïsme français, à l'exemple de Moïse lors de l'érection du Tabernacle. L'orateur termine par ces mots : "Soyez forts et vaillants, non seulement dans les épreuves, mais aussi au moment du bonheur, dans la vie facile." La bénédiction sacerdotale sur les assistants, sur la cité, la France et l'humanité tout entière clôtura ce sermon.

Charles Frey
Frey
Monsieur le Maire FREY
monte ensuite à la tribune pour exprimer sa satisfaction d'avoir pu contribuer à l'installation de ce temple provisoire qu'il considère comme une première réparation du mal qui a été fait à notre Communauté, en attendant qu'une prochaine décision puisse intervenir en ce qui concerne la synagogue définitive. Il relate, d'après le document allemand, la destruction de notre ancien Temple. "Il est à supposer qu'il s'agit d'un incendie volontaire", dit ce procès-verbal ; et M. le Maire se demande si cette affirmation du commandant allemand est un acte de courage ou de cynisme. L'orateur exprime les voeux de la municipalité de tous nos concitoyens et souhaite que nos épreuves soient une raison de ferveur dans notre foi.

Ce fut enfin de tour de Monsieur le Préfet PAIRA
qui, dans une rhétorique sobre, précise et fleurie à la fois, a associé le Gouvernement à cette cérémonie. En des termes émouvants, l'orateur évoque le sombre cortège de smilliers d'hommes, de femmes et d'enfants qui ont payé de leur vie leur appartenance à notre confession, souvenir qui hantera ce Temple. Le premier magistrat du Département tire le sens profond de cette manifestation en saluant la résurrection de notre Communauté par la consécration de ce lieu de culte. Après avoir pansé ses plaies, le judaïsme strasbourgeois affirme sa vitalité, sa foi et son espérance. M. le Préfet, faisant allusion aux obstacles rencontrés par la Commission administrative dans sa tâche de reconstruction, et qui furent souvent aplanis par son bienveillant appui, veut y voir une illustration des difficultés mêmes du pays. Mais il en conclut que, si les Français sont de bonne volonté et unis, ils arrivent à frachir tous les obstacles. l'orateur se rend compte que la solution actuelle et toute provisoire ne pourra être que de courte durée et ne saurait satisfaire ceux qui ont la charge des intérêts de la communauté.
Les paroles de sympathie de M. le Préfet ont été hautement appréciées par toute l'assistance.

Intérieur de la synagogue
Interieur
La cérémonie se termina par le Psaume 150, chant de glorification et d'actions de grâces. - Il convient de féliciter M. Borin, premier ministre-officiant, le choeur et, en particulier M. Bochner, ainsi que M. Binn, organiste, pour la perfection absolue de la cérémonie, tant que point de vue religieux, que vocal et artistique.  Rappelons que le chant de Pis'hou-li, exécuté d'une façon magistrale par M. Borin et le chœur, est l'oeuvre de M. Sylvain Binn qui a tenu l'orgue avec maîtrise.

La synagogue provisoire de la place Broglie
Broglie
Le temple provisoire, aménagé dans la cour intérieure de l'ancien couvent Sainte-Claire, dans un bâtiment historique, style Renaissance, ayant abrité une fonderie militaire et, plus récemment, la menuiserie du théâtre, contient environ six cent places. Les architectes, MM.  Lucien Cromback et Edmond Picard, en ont tiré le maximum pour en faire un lieu de prières dans un cadre sobre et religieux, inspirant le recueillement et la méditation. Nos amis, MM. Arthur Blum et Georges Bloch, tels Beçalel et Oholiab de la Bible, tant par un dévouement inlassable que par la connaissance des ouvrages d'art, ont réussi dans la courte limite du temps qu'ils s'étaient impartis, à en faire un joyau. Qu'ils en soient remerciés et félicités

"Que tes yeux soient ouverts jour et nuit sur cette Maison, sur ce lieu dont Tu as dit que Ton Nom y régnerait et que Tu entendes les prières que Ton serviteur T'y adresseras. Oui, tu entendras les supplications de Ton serviteur et de Ton peuple Israël, proférées en ce lieu. Du haut du ciel, où Tu résides, Tu les écouteras et Tu pardonneras."
(2Chroniques 6:20).


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