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12 janvier 2013 6 12 /01 /janvier /2013 11:04

 

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Il y a quelques temps de cela j'assistais à l’événement « Pas Sages en Seine 2012 ». Rassemblement d'hackers dans tout la polysémie que peut prendre ce terme, il était l'occasion pour des citoyens passionnés d'informatique comme de simples curieux de se rencontrer en ce lieu étonnant qu'est la Cantine à Paris.

 

Au delà de l'événement lui-même, riche en de multiples dimensions, un point précis exita ma curiosité. Ce point c'était la répétition par plusieurs intervenants de l'idée :

« Ce qu'il y a de bien avec Internet c'est qu'il permet l'anonymat. »

Mon esprit narquois et mon maigre contact à l'actualité d'alors provoquèrent dans ma tête une collision semblable à un milliard de milliardième de celle d'un astéroïde sur la Terre les jours de grands vents. En effet le paradoxe était évident. Il suffisait pour moi de reprendre les propos de contempteurs d'Internet et notamment d'une de l'époque, Nadine Morano : « Ce qu'il y a de dangereux avec Internet c'est qu'il permet l'anonymat. » Étonnant rapprochement ? Pas tellement. Nous avons en effet là l'impression de voir les deux faces d'une même pièce. Le même raisonnement dont seule change la face morale. L'un voyant un bénéfice pour la société, l'autre un risque voir plus.

 

En réalité la concordance est logique car les deux raisonnements s'appuient sur le même paradigme : Nom = carte d'identité. Un paradigme logique quand on comprend le long parcours effectué par l’État-Nation en France et ailleurs pour s'approprier le nom. Dans ce combat la carte d'identité mais aussi l'ensemble des techniques de fichage étaient le bras armé1. La volonté était de faire de l’État le détenteur du « nom administratif » et donc du nom, afin à la fois de contrôler la population en la nommant ou en entérinant une dénomination et le faire interagir avec lui par ce nom. Toutefois précisons que la Carte d'Identité n'est que l'achèvement actuel de ce processus qui remonte en Europe au moyen-âge mais peut s'appliquer à toute communauté. Nommer c'est déjà contrôler.

 

Pour certains voir des hackers suivre ce paradigme qui fait du « nom administratif » le nom de la personne peut surprendre. Mais en fait tout hacker qu'il soit l'individu est contraint par l'administration dans ses actions, dans sa vie et parfois dans ses comportements. Là certainement les quelques lecteurs qui ont suivi se demandent encore comment nous allons parvenir à contester l'existence de l'anonymat sur Internet et même au delà. Nous leur répondrons de ne pas être impatients et nous allons à présent produire notre raisonnement en plusieurs points.

 

Premièrement il faut déconstruire ce paradigme, non le « nom administratif » n'est pas la nom. Il n'est que le nom que l'administration considère comme la dénomination de la personne. Souvent d'ailleurs l'administration ne fait qu'entériner un choix fait par les parents, certes eux-mêmes contraints par l’État : prénom, nom de famille, rejet des prénoms ridicules, majorité de la répétition du nom du père,... Ainsi votre serviteur s'appelle aux yeux de l'Etat français Fabien Lorc'h voir parfois Fabien Yves Roland Lorc'h ou même Lorc'h Fabien Yves Roland. Mais je vous assure que comme le démontrait Benjamin Bayart, président de la FDN, à ce même « Pas Sages en Seine » ma mère ne m'a jamais appelé comme ça et mes amis n'ont dû le faire qu'à de rares exceptions. Ce point à l'air anecdotique il est en fait essentiel.

 

Deuxièmement le nom est multiple. La déconstruction du nom comme « nom administratif » conduit à énoncer que le nom est multiple sur Internet mais sur tout les supports au delà. Le nom est la dénomination par laquelle on identifie une personne. Il dépend donc essentiellement du contexte d'émission. Et l'existence de cette multiplicité ne pose pas de problème en soit. Quel présentateur télé ou radio a forcé un jour les Garou, les Lorie, les Calogero à s'appeler par leur « nom administratif » parce que sinon ce serait dangereux ? Aucun évidemment. L'existence de noms d'emprunts comme nom d'artiste est devenu monnaie courante et ils sont même reconnus par le droit comme « nom d'usage ». Vous pouvez ainsi les accoler à votre Carte d'Identité. En fait par cet acte l'administration cherche réellement à identifier en rapprochant « nom d'usage » et « nom administratif », mais passons. Si la dénomination est multiple l'identité l'est aussi. Lorsque vous rencontrez une jeune femme ou un jeune homme qui vous plaît (moins jeune ça vaut tout autant évidemment) avez vous le réflexe de lui lire votre Carte d'Identité pour vous présenter ? L'identité est un mélange complexe entre ce que l'on est, ce que l'on fait et le contexte dans lequel cela s'exerce. Bien sûr elle est multiple, évolutive et définit l'individu autant qu'elle le détermine.

 

Troisièmement, la dénomination est constante. Oui sur Internet il est possible d'agir sans utiliser son « nom administratif ». Si on se limite à ce constat il est possible de considérer que la personne n'est plus identifiée et que l'on peut stopper sa dénomination. En réalité il n'en est rien. Le nom comme le diable se niche dans les détails. Imaginons une situation. Je croise quelqu'un dans la rue. Je ne lui dit pas un mot et poursuit mon chemin. Plus loin la Police arrête cette personne et lui demande si elle a croisé quelqu'un et si oui si elle peut décrire cette personne. « Honnête » la personne le fait. Elle me voit peut-être comme un blanc, costaud, à lunettes, mal rasé, comme je suis souvent (foutue myopie). Cette description constituera ma détermination, mon nom. Certes il sera difficile de relier tout cela à mon « nom administratif » mais avant et un peu aussi pendant le Bertillonnage, cette pratique était très courante. Bien sûr par la suite les empreintes digitales puis génétiques viendront simplifier le travail pour identifier un individu. En tout cas sans le vouloir j'ai laissé une trace de moi, une identification. Pourquoi ? Parce que simplement j'existe socialement. L'existence sociale impose des contacts avec l'autre et donc des moyens fiables ou non, complets ou non, administratifs ou non de s'identifier et donc de se nommer. Et sur Internet c'est la même chose. Certains me rétorqueraient, cryptographie, VPN et pseudonyme temporaire. Je leur dirais que ce sont aussi des moyens d'identifications. Certes une adresse IP ou un pseudonyme temporaire ne permettent pas d'eux-mêmes de savoir que c'est François Dupont qui a fait le coup. Mais un ce n'est pas la question puisque dès l'instant qu'un nom même temporaire est posé il y a dénomination. Et deux il n'est pas nécessaire que cette identification soit publique puisque comme nous l'avons rappeler elle dépend du contexte. Et enfin trois bien loin d'être vides ces éléments sont au contraire pleins de sens. Un pseudonyme parce qu'il a été choisi par l'individu en apprend parfois plus sur lui que son « nom administratif » De plus l'individu en dit parfois beaucoup plus en se sentant protégé par son pseudonyme. Par exemple sur les sites de rencontre X je n'apprendrais à personne que les utilisateurs se lâchent plus et dévoilent beaucoup de leur intimité que sur le site du ministère de l'intérieur où il faut utiliser son « nom administratif » 2. Même le cryptage en lui-même est nommé sans que pour autant cela est forcément un sens pour celui qui le découvre.

 

Quatrièmement, l'anonymat n'existe pas. Généralement la plupart des personnes vont suivre ce raisonnement et être d'accord jusqu'ici. Ils considèrent ainsi que le nom et l'identité sont multiples, que même on peut considérer que des éléments identifient une personne comme des noms ou des dénominations. Et pourtant rares sont ceux qui font le tout petit mais final pas qui renverse les conceptions et semble pourtant si simple et si logique. Alors faisons le ensemble. Si nous pouvons être nommés ou dénommés à tout moment, nous portons donc en permanence un nom ou des noms et donc comment concevoir un anonymat ? Étymologiquement anonymat signifie privé de nom. Et bien évidemment cela n'a pas de sens puisque sur Internet ou ailleurs nous disposons toujours d'un nom. Temporaire, évolutif, multiple mais il existe toujours. Ainsi je m'appelle Hio-Tin-Vho ailleurs et encore autre chose dans d'autres endroits (vous croyez sérieusement que j'allais vous donner tout mes pseudonymes?). Mais entendons nous bien si l'anonymat n'existe pas le pseudonymat est bien réel lui. Comme un « nom d'artiste » le pseudonyme permet de revêtir une autre identité, souvent d'ailleurs similaire à la première, pour des objectifs divers et variés honorables ou non. Par l'analyse le pseudonymat et non l'anonymat on sort aussi au passage de l'amen de l'argumentation morale. Car en effet penser en termes moraux c'est déjà se tromper.

 

Cinquièmement, Internet et les nouvelles technologies de l'information et de la communication permettent une déconstruction du lien présence physique / existence sociale et de l'identité et ça c'est bien plus compliqué. La véritable évolution des NTIC et en particulier d'Internet réside dans ses deux points. D'un côté il va découpler l'existence sociale de la présence physique. Ainsi nous pouvons exister socialement sans être présent physiquement il est possible aussi de transmettre des informations, de discuter, de débattre, d'inviter d'autres personnes sans contact physique direct. Mais déjà premièrement le téléphone, mais aussi la radio, la télévision et tout les médias en général permettaient cela. Sauf qu'Internet va démultiplier cette capacité en lui adjoignant un élément essentiel la simultanéité et ce via de nombreux canaux comme des films, photos, ou textes. L'interactivité si souvent appelée est quant-à elle bien sûr présente mais elle l'était déjà avec le téléphone, la télévision avec bien sûr des délais bien plus longs. D'un autre côté Internet va participer à la déconstruction de l'identité et du nom en permettant l'émergence facilitée d'un pseudonymat et en conduisant l'individu à exister sans son « nom administratif ».

 

Au final il apparaît donc que l'anonymat n'est que la tarte à la crème, la solution de facilité qui empêche de penser, de réfléchir à des questions essentielles que sont l'identité, le nom, la présence physique, le temps qui furent d'ailleurs nécessairement bouleversés par les NTIC. En restant dans le débat moral et en conservant l'optique de l'anonymat on en vient à la fois à entériner le constat nom = « nom administratif » et à tenir des discours équivalents qu'ils soient critiques ou louangeurs sur les réseaux.

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1 : Pierre Piazza, Histoire de la Carte Nationale d'Identité, 2004, Odile Jacob

2 : Théorie confirmée par l'expérience relatée sur son blog par Korben : Aylin Caliskan Islam et Sadia Afroz, deux chercheuses spécialisées en linguistique, seraient capable d'identifier 80% des internautes qui publient anonymement sur le net.

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Published by Respolitica - dans NTIC
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commentaires

alcool au volant 13/03/2013 11:26

Merci pour toutes ces informations qui expliquent que l’IP ne protège pas notre anonymat et un site qui affirme que les IP des commentateurs sont mémorisées. Cordialement.

Albert 12/01/2013 16:12

Votre raisonnement ne tient pas : anonymat = sans nom, déjà la notion d'anonymat se base sur l'existence préalable du concept de nom.

Dire que l'anonymat n'existe pas implique qu'il n'existe pas de nom et donc que nous ne soyons pas définissables en tant que personnes mais seulement en tant qu'animaux.

Donc l'absence de nom est une déshumanisation de notre espèce.

Si le nom existe, l'anonymat existe également puisqu'il s'agit de son contraire.

Respolitica 13/01/2013 01:58



Vous inversez la cause de la conséquence. Le nom est la cause, l'anonymat s'il existait serait la conséquence. Je dis que l'anonymat n'existe pas non pas parce que le nom n'existe pas mais parce
qu'il est multiple et évolutif. Aucune déshumanisation de notre espèce à voir là au contraire c'est la diversité de nos identités qui est notre force.


 


Un lion est un lion est un lion et le restera, je peux être Fabien Lorc'h, Hio-Tin-Vho Fabien L, Respolitica. Certes je définis de manière plus complexe le nom et plus instable mais je le nie pas
loin s'en faut.