Montebourg veut un Android « made in France » : pourquoi c’est du délire

Le ministre aimerait que la France développe son propre OS, cet ensemble de logiciels qui fait marcher votre smartphone ou votre ordinateur. Pour les professionnels du numérique, c’est une hérésie.

Arnaud Montebourg prend une photo avec sa coque d'iPhone trs franaise  Saint-Denis, le 24 octobre 2013
Arnaud Montebourg prend une photo avec sa coque d’iPhone très française à Saint-Denis, le 24 octobre 2013 - Jacques Brinon/AP/SIPA

Montebourg et le « made in France », une longue histoire d’amour. Depuis deux ans qu’il est ministre, il n’a cessé de le décliner à toutes les sauces. Raillé depuis sa sortie en marinière, robot Moulinex à la main sous fond de drapeau tricolore, le ministre du Redressement productif a du mal à être pris au sérieux mais ne démord pas.

En croisade contre l’hégémonie des grands groupes américains du Net, il lui fallait marquer un gros coup. Son envie de créer un moteur de recherche européen pour concurrencer Google tombée à l’eau, si interdire le géant semble peu réaliste, il n’abandonne pas l’idée de s’y attaquer frontalement. Que faire pour exalter le génie français et la souveraineté bleu blanc rouge ?

Qu’est-ce qu’un OS ?
Un OS, c'est un système d'exploitation (Operating System), c'est-à-dire, grossièrement, l'ensemble de logiciels qui permet à votre ordinateur ou à votre mobile de fonctionner. Pour un ordinateur c'est par exemple Windows XP ou Linux, et pour un mobile IOs (Apple) ou Android. 

Son projet, il l’annonce discrètement ce lundi au journal L’Opinion : créer un « OS » (voir encadré) made in France. Il voudrait que ce dernier se trouve « partout : du mobile à la voiture, au robot » pour « permettre la mutualisation des données entre les services partenaires ».

Pour ceux qui ignoraient encore lundi l’existence d’un ovni appelé OS sur nos périphériques, la sortie médiatique du ministre peut paraître crédible – même si on en connaît que quelques détails – mais chez les professionnels du numérique, elle fait doucement rire. Directeur du digital dans une agence de design parisienne, Mickaël raconte :

« Même si cela semble partir d’un bon sentiment, l’écho chez les professionnels tourne un peu à la blague devant la machine à café : “T’as entendu la dernière de Montebourg ? Il veut sortir un OS made in France !” »

Certains d’entre eux se demandent même s’il a consulté des personnes qualifiées dans le domaine avant de s’exprimer. En tout cas, voici ce qu’ont à lui répondre les pros qu’on a interviewés.

1Créer un OS, c’était bien... il y a dix ans

 

De prime abord, cette annonce du ministre peut sembler anachronique. Pourquoi vouloir développer un système d’exploitation, alors que le marché est dominé sans partage par des géants depuis des années ?

Pour Philippe Scoffoni, expert en logiciels libres, Arnaud Montebourg se trompe de cheval de bataille : 

« Il faut arrêter de chercher à copier-coller ce qui existe mais faire de la prospective. Le gouvernement devrait regarder dans quoi investissent Google et Facebook, les entreprises qu’ils rachètent : de la réalité augmentée, de l’intelligence artificielle, des systèmes immersifs. »
Le marché des OS

 

Le marché français des systèmes d'exploitation pour smartphones est déjà bien trusté par nos amis américains :

  • Google a la main sur deux tiers des OS grâce à Android ;
  • Apple rafle un smartphone sur cinq grâce à iOS ;
  • Windows, bon derniers chez les poids lourds, se contente d'un petit 10%.

D’autant plus que, selon Mickaël, les usagers ont leurs habitudes, et qu’il sera difficile de leur en faire changer :

« Ce n’est pas tout de développer un OS, il faut que les gens l’utilisent. Maîtriser un OS, ça représente des heures d’apprentissage pour un utilisateur lambda, au fil des journées. Par exemple, passer d’un PC à un Mac, c’est très compliqué, et vice versa. Une fois que les OS sont installés, que les utilisateurs les connaissent, c’est effectivement très dur de trouver sa place. »

2Créer un OS, d’accord. Mais pour quelles applications ?

 

Aujourd’hui, créer un OS est risqué. Sur smartphone par exemple, il implique qu’on puisse y installer des applications. Windows l’a appris à ses dépends en développant son système d’exploitation Windows Phonen qui ne compte encore aujourd’hui que très peu d’applications compatibles. Une situation que Tristan Nitot, le porte-parole de Mozilla interrogé par 01.net, résume très bien : 

« Ce n’est pas un système d’exploitation (un OS) qu’il faut créer, mais un écosystème. C’est-à-dire un OS avec des développeurs et des applications. Sans applications, un OS n’a aucun intérêt. Sur les smartphones, Android et iOS trustent les deux premières places et Microsoft investit largement sans réussir à doubler iOS malgré son rachat de Nokia. Et on voit que Nokia, en désespoir de cause, se met à produire des appareils sous Android ! C’est dire s’il est difficile pour quiconque de se faire une place au soleil. »

3Avant de créer un OS, il faut créer une dynamique en France

 

Pour Philippe Scoffoni, il y a d’autres priorités, comme créer une synergie autour de la question du numérique :

« Il faut faire de la formation et surtout de l’accompagnement des entreprises, pousser les collectivités à les aider. »

C’était l’idée lancée par Fleur Pellerin, ancienne ministre chargée de l’Economie numérique : créer un espace qui fédère toutes les petites et moyennes entreprises du numérique baptisé « French Tech ». Beaucoup encouragent cette initiative et la trouvent nécessaire en France. 

Mickaël va plus loin : il souhaite la création d’un lieu d’innovation ancré géographiquement.

« Ce qu’il manque en France avant tout, c’est un vrai écosystème à la Silicon Valley. En voulant créer un OS, Arnaud Montebourg se trompe de façon de faire, et c’est assez révélateur du décalage entre les hommes politiques et le milieu du numérique en France. Lui ne voit qu’un projet qui dure six mois ou un an, mais il faut sortir de cette logique-là. Il faudrait créer une vraie dynamique qui, naturellement, génèrerait ce type de projets s’ils s’avèrent pertinents. »

4Créer un OS made in France, c’est difficile

 

Arnaud Montebourg, par instinct mimétique, pourrait être tenté de copier l’iOS d’Apple et de mettre notre OS dans les mains d’un opérateur comme Orange. Cela impliquerait de repartir à zéro ou de prendre un « noyau existant » et tout développer dans un système fermé.

Cela voudrait aussi dire dépenser pas mal d’argent, et inciter les développeurs à faire des applis pour cet écosystème-là, au même titre que celles pour Android et iOS. Cela signifierait encore de convaincre des constructeurs de téléphones de vendre des modèles équipés de cet OS, alors qu’il n’y a encore aucun client…

Pour reprendre les mots de Loïc Dachary, développeur web et membre de l’April, une asso qui promeut les logiciels libres :

« Repartir à zéro sur un nouvel OS serait très stupide et phénoménalement difficile. »

5Un OS made in France « libre » : pas possible

 

L’autre option : recourir aux logiciels libres comme Firefox OS, de la fondation Mozilla, qui permet de ne pas repartir à zéro et de bénéficier du travail quotidien bénévole de toute une communauté. Loïc Dachary explique :

« Voilà le truc intelligent à faire : on prend un logiciel libre (Firefox OS par exemple) qui nous donne une bonne base de départ sur le volet technique. Ensuite, on y accole un projet politique français : on soutient l’effort des citoyens qui ne veulent pas se mettre en situation de dépendance vis-à-vis d’entreprises tierces, américaines ou françaises. »

Arnaud Montebourg veut labelliser son OS made in France, pourtant, c’est difficile :

« Il ne sait pas que le logiciel libre, ça ne peut pas être français ? Ici ou ailleurs, ça appartient à l’humanité, ça n’a aucun sens. »

Si l’Etat voulait recourir à Firefox OS, qui est majoritairement développé en France, cela n’engendrerait que peu ou pas de revenus pour le pays : on ne peut pas vendre un logiciel libre, il appartient à tout le monde.

Au mieux pourrait-on seulement revendiquer d’y avoir contribué (c’est le choix fait par les Allemands). Pas le « must » en matière de communication politique, mais les Français auraient alors une alternative efficace aux « colons numérique » qu’Arnaud Montebourg a en horreur.

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Commentaires 220 commentaires
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    gzzzt

    <p>faut arrêter, pour le grand public ubuntu et linux mint sont largement des références, et à part quelques changements cosmétiques c’est à peu près la même chose.<br /> mon père qui est complétement largué devant un ordinateur utilise un ubuntu que je lui ai installé, et il s’en sors très bien.<br /> de toute façon les gens passent 90% de leur temps devant un navigateur, et rien ne ressemble plus à un navigateur sous windows qu’un navigateur sous linux.</p>

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    gzzzt

    <p>si ça peut vous rassurer les français sous bien placés dans les technologies de surveillance numérique<br /><a href="http://reflets.info/surveillance-enquete-sur-qosmos-le-fournisseur-de-sondes-a-la-syrie-dal-assad/" rel="nofollow" target="_blank">Lien</a><br /><a href="http://reflets.info/qosmos-du-projet-universitaire-aux-activites-secret-defense/" rel="nofollow" target="_blank">Lien</a><br /> en ce qui concerne le logiciel c’est juste un non-sens total. même l’OS nord-coreen est basé sur linux.<br /> Apple, windows et google, tout les gros poisson de la silicon valley utilisent un paquet des briques sous licence GNU, c’est à dire du logiciel libre. Dans le cas de ubuntu, c’est une fondation sud americaine, et linux mint a une équipe internationale et un dirigeant français. Les contributeurs viennent de partout, et ils ne sont pas forcément rémunérés.<br /> Si le logiciel libre n’as pas gagné la parti pour le grand public, son principe est partiellement adopté dans tous les secteurs IT, et pour des raisons souvent bien pragmatiques, parce que c’est souvent beaucoup plus rentable de ne pas partir de zéro. et sinon 99% de l’infrastructure qui compose « internet » (les serveurs), est sous linux.</p>

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    jyrair

    <p>M. Montebourg raconte certes un paquet d’âneries à la minute, mais pour ce qui est d’un OS mobile « français », celui-ci existe déjà et il s’appelle <a href="http://www.uhuru-mobile.com/" rel="nofollow" target="_blank">Uhuru</a>.</p> <p>Initialement conçu comme un antivirus c’est aujourd’hui un OS sécurisé basé sur Android (donc qui ne repart pas de zéro), financé par l’état, et à destination des entreprises et des particuliers qui veulent sécuriser leur données. Et d’après les premiers échos, cet OS sécurisé est loin d’être ridicule.<br /> Alors oui, M. Montbourg délire s’il imagine que la France va développer un nouvelle solution à partir de rien, mais si la France et l’Europe ont une carte à jouer dans cet univers, c’est clairement sur la sécurisation et la protection des données des utilisateurs.</p> <p>Reste ensuite à espérer que cette initiative ne rejoigne pas le cimetière des bonnes idées lors du prochain remaniement...</p>

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    gzzzt

    <p>à une époque ça avait du sens pour la musique et le montage video.<br /> pour parler technique les drivers audio/midi sous mac sont (étaient ?) beaucoup plus performants et beaucoup plus souples ; et apple à toujours privilegié une connectique « pro » sur ses machines (les macs portables ETAIENT les seuls à ma connaissance à avoir un firewire 6 ou 9 broches qui permettaient d’alimenter ses périphériques, maintenant ils sont passé au thunderbolt, un peu rapidement).<br /> La qualité du hardware pour les portables est un argument qui pèse dans la balance aussi (pour les pc de bureau beaucoup moins).<br /> Sinon pour les « geeks » c’est le seul systeme qui leur permet d’installer sans problèmes des logiciels commerciaux et qui a également un bash unix, avec une architecture de base et une logique similaire à linux<br /> à vrai dire je n’ai pas trop utilisé trop windows depuis xp, je sais pas trop les progrès qui ont été fait.<br /> Maintenant le coté prison doré qui est de plus en plus présent depuis l’emergence des Itrucs, ça c’est beaucoup plus irritant.</p>

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    rootine

    <p>ça y est FranceOS est sortie : <a href="https://www.youtube.com/watch?v=qt4gbx9fQ0g" rel="nofollow" target="_blank">Lien</a></p> <p>il est disponible dans tous vos bureaux de poste en échange de votre vieux minitel, et ceci gratuitement ! (enfin payé par vos impôts, faut pas déconner).</p>

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