L'EFF s'érige contre la possibilité d'inclure des DRM dans le format JPEG

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Crédits : rkruzan/iStock
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Le comité Joint Photographic Experts Group (JPEG) s’est réuni pour aborder la possibilité d’inclure des verrous numériques dans les images JPG. La question se pose devant les problématiques de respect de droits d’auteur. L’EFF, qui y est farouchement opposée, était sur place pour expliquer aux ayants droit les dangers d’une telle démarche.

L’Electronic Frontier Foundation était à Bruxelles mardi avec les membres du comité JPEG pour expliquer les risques liés à l’implémentation de DRM dans le format JPEG. D’un point de vue pratique, cela reviendrait pour l’association à bloquer certaines opérations de la même manière qu’un photocopieur ne peut pas produire de copies d’un billet de banque. Un code intégré dans une image qui interdirait de réaliser certaines manipulations.

Pourquoi une telle réflexion ? Parce que les ayants droit sont relativement agacés par l’usage sans contrôle d’images qui, souvent, ont bien un copyright. Les banques d’images par exemple, à l’instar de Getty, Fotolia ou iStockPhoto, voient ainsi leurs photos se balader régulièrement sur la toile, dans un cadre non prévu par le contrat d’utilisation qui lie l’obtention de ces images au client. Peu importe finalement la manière dont le contenu s’est retrouvé sur le web puisque le point crucial est d’éviter que tout un chacun puisse le lire s’il n’a pas les droits.

Des verrous sous forme « d'extensions » intégrées aux fichiers

Que propose en fait le comité ? D’intégrer des DRM de manière « intelligente » dans le format JPEG. Comme indiqué dans sa présentation, les ingénieurs pourraient partir d’un format déjà existant, comme le JPEG XT, pour procéder de la même manière. Il déplace dans une autre partie des données supplémentaires manquant au format original, notamment la gestion du canal alpha (pour la transparence) ou encore les informations relatives au HDR. Une manière de procéder logique : le format JPEG est si répandu que le modifier n’aurait guère de sens. De fait, les applications capables de lire le format XT en profitent, tandis que les autres peuvent visualiser une version basique.

Dans son document, le comité explique que la situation pourrait être similaire avec les DRM. Ces derniers ne peuvent pas être intégrés directement dans le format, mais une extension pourrait l’accompagner. On y trouverait toutes les données relatives à la gestion des droits. Une application non compatible lirait une version fortement dégradée de l’image, tandis qu’une solution comparable verrait les DRM et interrogerait le serveur (car oui, il y aurait évidemment un serveur) pour obtenir les droits de lecture.

Des DRM pour contrôler l'intégralité des droits

Les DRM pourraient, dans le cas de ces images, définir précisément les droits numériques qu’un utilisateur pourrait obtenir. Par exemple, dans le cadre d’une consultation de page web, la possibilité de l’afficher pour un visionnage simple. Pour un professionnel de l’image par contre, l’extension pourrait embarquer les droits de modification, d’enregistrement et ainsi de suite. Dès lors, on imagine tout de suite que pour qu’une telle solution puisse être mise en place, il faudrait que de très nombreux logiciels soient adaptés.

L’EFF note que le comité dispose déjà du JPG2000 pour présenter des images avec gestion des droits numériques. L’association reconnait cependant que ce format n’existe que pour des « besoins hautement spécialisés tels que l’imagerie médicale, la diffusion des médias, le cinéma et l’archivage ». Elle constate que ce format très particulier n’a joué aucun rôle dans le monde grand public et qu’il peut donc exister une demande.

L'EFF met en garde contre les conséquences d'une telle décision

Mais il ne faudrait pas croire que l’EFF soit d’accord avec l’idée même de DRM au sein des images. Dans sa propre présentation, préparée spécialement pour la réunion de mardi, la fondation explique que même si elle comprend les besoins des membres du comité, les effets secondaires d’un telle décision seraient non seulement nombreux, mais clairement incompris de ceux qui souhaitent une telle solution. Et de rappeler le long combat de tous ceux qui, avant le comité, ont été séduits par les sirènes des DRM qui, s’ils sont parfois obligatoires, ne sont pas judicieux dans tous les cas. L’EFF cite ainsi le cryptologue Bruce Schneier, pour qui il est impossible dans l’absolu d’interdire la copie d’un fichier, « pas plus qu’on ne peut rendre l’eau sèche ». Et dans le cadre d'une image affichée sur un site, il suffit d'effectuer une capture de tout ou partie de l'écran pour la récupérer, la modifier et la partager...

Les défauts de ces contrôles numériques sont connus car ils sont exposés régulièrement au grand jour. L’utilisation des DRM impose ainsi l’utilisation d’un verrou et d’une clé. Or, la récupération du verrou prend forcément du temps, provoquant des délais dans l’affichage, là où le JPEG permet justement de montrer très rapidement des images grâce à leur poids réduit. Délai d’affichage, images plus lourdes, contact avec le serveur qui peut être rendu inopérant pour une raison ou une autre : la solution manque de simplicité et de souplesse.

Les DRM ne peuvent pas épouser correctement les contours du cadre juridique

Mais selon la fondation, le plus gros problème des DRM est qu’ils ne peuvent pas suivre correctement le contour des lois en matière de copyright. Il existe de très nombreuses exceptions culturelles dans ce domaine, et si la fondation cite les exemples du fair use et des citations, on ajoutera ceux de caricature, de parodie et de pastiche, des cas cités justement dans le rapport Reda qui préconisait une remise à plat du droit d’auteur en France. Un cas qui illustre parfaitement la complexité de cette thématique et l’obligation de prendre en compte dans la définition d’une technologie de verrouillage tous les cas de figure.

Parmi les autres points abordés, il faut citer également l’impossibilité pour les solutions open source d’utiliser de telles images. On notera aussi une interopérabilité rendue plus complexe, la possibilité d’erreurs dans les attributions des droits numériques, ainsi que… la chute de valeur du contenu protégé, les utilisateurs s’en méfiant nettement. Et de citer le cas de l’Apple TV, dont la version 2, beaucoup plus modifiable, s’est vendu trois fois plus que la version 3. Sans parler des risques légaux pour ceux qui en remonteraient les éventuelles vulnérabilités, à cause de lois telles que le DMCA.

Une problématique complexe, qu'on ne peut écarter d'un revers de la main

Pour l’EFF, une grosse partie des difficultés rencontrées par les ayants droit vient de la diffusion même des images, notamment à travers les réseaux sociaux. Des plateformes comme Facebook se débarrassent complètement des métadonnées à l’importation des photos, supprimant donc les informations sur leur provenance ou autre. L’association estime que c’est de là que provient une bonne part de la pression actuelle pour la mise en place des DRM. Dès lors, pourquoi ne pas attaquer le problème à sa source et négocier une préservation de ces informations, en offrant du même coup aux utilisateurs la possibilité de choisir avec précision ce qui reste ou non ?

Dans tous les cas, l’EFF estime que le travail en cours ne peut globalement produire aucun résultat bon pour les utilisateurs, avec des effets secondaires nombreux et assez mal compris par les membres du comité. Le grand public risque non seulement de fuir ce type de modification, mais également de privilégier d’autres solutions ou de contourner ce qui sera proposé. Cela étant, d’un autre côté, on ne peut pas simplement dire « nous n’utiliserons plus le format JPEG ». Il est extrêmement répandu et d’autres codecs qui lui sont souvent associés, comme le PNG, ne peuvent pas être utilisés pour les grandes photos quand le poids du fichier devient une vraie contrainte.

La fondation recommande donc au comité de se rapprocher des solutions existantes pour ne pas réinventer la roue, et de définir précisément les domaines dans lesquels les DRM auraient un intérêt. Cependant, elle l’enjoint dans le même temps à se méfier de toute tentative de modifier le format de base lui-même, de peur que la compatibilité, la vie privée et la sécurité générales n’en soient affectées.

Publiée le 15/10/2015 à 14:45
Vincent Hermann

Rédacteur/journaliste spécialisé dans le logiciel et en particulier les systèmes d'exploitation. Ne se déplace jamais sans son épée.

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