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Billet de blog 6 octobre 2017

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Quatre mois de Macron-économie

Pour éviter que notre mémoire ne s’efface au fur et à mesure que les mauvaises décisions économiques et sociales du gouvernement s’accumulent, Jean-Marie Harribey, membre du collectif d'animation des Économistes atterrés propose un petit récapitulatif des réformes adoptées depuis le début du quinquennat, regroupées en 3 thématiques : ordonnances sur le travail, fiscalité et politique budgétaire.

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Pour éviter que notre mémoire ne s’efface au fur et à mesure que les mauvaises décisions économiques et sociales (1) du gouvernement s’accumulent, tentons un petit récapitulatif depuis le début du quinquennat.

Ordonnances sur le travail

  • Plafonnement des indemnités prud’hommales pour licenciement illégal : c’est la prime à la fraude, une sorte de principe de faveur à l’envers. Plafonnement pour les patrons licenciant « sans cause sérieuse et réelle », mais diminution des indemnités pour les salariés licenciés. Dans les très petites entreprises (TPE de 1 à 10 salariés), le plancher des indemnités de licenciement est encore plus bas que dans les entreprises de plus de 10 salariés : un demi-mois de salaire pour une ancienneté inférieure à 2 ans ; un mois entre 2 et 4 ans d’ancienneté, etc. Le délai de recours est raccourci de deux ans à un an avec obligation pour le salarié de fournir préalablement un dossier complet.
  • Avec la remise en cause de la hiérarchie des normes, la négociation au plus près de l’entreprise va accroître la subordination des salariés à leur employeur et renforcer la tendance à l’individualisation de la relation salariale. L’aménagement du temps de travail avait déjà été inclus dans ce cadre par les lois précédentes, notamment Fillon et El Khomri. La négociation des salaires entre dans le périmètre de la compétence de l’entreprise, avec une extension du domaine des accords d’entreprise signés par des syndicats minoritaires. Dans les entreprises de moins 11 et de moins de 20 salariés si elles n’ont pas de délégué syndical (c’est le cas presque partout), le chef d’entreprise pourra organiser un référendum (dans la loi El Khomri c’était sur initiative des syndicats représentant 30 % des salariés). Dans les entreprises de moins de 50 salariés, les employeurs pourront négocier avec un élu du personnel non mandaté par un syndicat.
  • Le contrat de chantier : nouvelle manière de contourner le CDI sans supprimer les défauts du CDD. La négociation des contrats précaires se fera dans l’entreprise. Il y a présomption de légalité des accords d’entreprises, nouveau socle du droit du travail. Jusqu’ici les CDD relevaient de règles établies par la loi ; désormais ils relèveront de règles fixées au niveau des branches.
  • Rupture conventionnelle collective pour éviter les plans « sociaux ».
  • Périmètre national du bénéfice pour juger des difficultés de l’entreprise, sans tenir compte de l’implantation des multinationales : c’est la négation de la notion de consolidation des bénéfices.
  • Fusion des institutions représentatives du personnel avec diminution des moyens : en particulier, le Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), outil au service de la protection des salariés, passe à la trappe. Globalement, la capacité d’expertise va être dégradée avec la création d’un unique Comité social et économique.
  • Que devient le compte pénibilité du travail  renommé compte professionnel de prévention ? À la demande du Medef, il sera « simplifié » par décret pour lui enlever les dispositions « inapplicables », comme la manutention de charges lourdes, l’exposition aux postures pénibles, aux vibrations mécaniques et aux risques chimiques. C’est ainsi que « l’obligation de suivi de l’exposition aux risques chimiques sera supprimée ». C’est cohérent avec la suppression des CHSCT !
  • Aggravation des conditions d’emploi des femmes, notamment par le recul de l’encadrement du temps partiel (auquel 31 % des femmes sont soumises) avec le contournement (déjà effectué dans certaines branches, notamment celle du nettoyage) du seuil minimal de 24 heures hebdomadaires).
  • Le candidat Macron avait promis d’étendre l’assurance chômage à tous les indépendants et de donner droit aux indemnités de licenciement aux salariés démissionnaires. Mais, baisse des dépenses oblige, le président Macron ne sait pas où trouver les « 8 à 14 milliards la première année » et les « 3 à 5 milliards les années suivantes ». Si l’on en croit la presse, pour alléger le coût pour l’Unédic, le gouvernement cherche à inventer un régime particulier comme il en existe pour les intermittents du spectacle. L’astuce consisterait à moins indemniser ces catégories que celles des chômeurs, au nom de l’idée que « universalité ne veut pas dire uniformité » (2). Il fallait y penser !

Au total, l’ensemble des mesures contenues dans les ordonnances et dans la loi qui les validera prochainement doivent être comprises comme une régression du droit du travail. Au-delà de celui-ci, il s’agit aussi d’une attaque brutale contre le travail lui-même, dans ce qu’il a de plus vivant, pour donner encore plus d’espace au capital, cette chose morte.

Fiscalité

            Instauration d’une taxe forfaitaire de 30 % sur les revenus du patrimoine (dividendes, intérêts, loyers, plus-values), incluant les prélèvements sociaux : ils échapperont donc à l’impôt sur le revenu progressif (dont la tranche supérieure est imposée à 45 %). Plusieurs milliards de recettes fiscales en moins par an. Sans compter l’optimisation et l’évasion fiscales qui perdureront.

            Transformation de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) en excluant la fortune financière, principale fortune des plus riches (71 % pour les 1 % les plus riches ; 84 % pour les 0,1 % les plus riches) ainsi que les objets de luxe (yachts, jets privés, voitures de luxe, œuvres d’art, chevaux de course…, certaines catégories étant encore en discussion), pour ne garder comme assiette que la partie immobilière : une perte de 4,5 milliards € par an de recettes fiscales.

            Augmentation de la CSG de 1,7 point, dont le taux passera de 7,5 % à 9,2 % : cela pour baisser les cotisations sociales salariales maladie (0,75 %) et chômage (2,4 %). Au final, 60 % des retraités seront pénalisés, dès lors que le revenu fiscal de référence dépasse 14 404 € pour une personne seule et 22 095 € pour un couple. Le gain de pouvoir d’achat des salariés du privé atteindra 390 € par an pour un salaire brut mensuel de 2000 € et 1690 € pour un salaire brut mensuel de 20 000 €. Quant aux fonctionnaires, c’est la stagnation des salaires perpétuée.

            Revalorisation des retraites de base de seulement 0,8 % en octobre 2017 (après le gel de 2016, une revalorisation de 0,1 % en 2015 et un gel en 2014), mais la prochaine revalorisation est renvoyée à janvier 2019. (3) Quant aux retraites complémentaires des salariés du privé, versées par l’Agirc et l’Arrco, elles devraient être normalement revalorisées au 1er novembre 2017, mais comme elles sont indexées sur l’inflation moins un point, il y a peu de chances qu’elles le soient cette année compte tenu de la faible inflation.

            Suppression de la taxe d’habitation pour 80 % des foyers fiscaux (en deçà d’un revenu fiscal de référence de 28 000 € pour une personne seule et de 45 000 € pour deux personnes) : si l’assise de cette taxe n’est pas exempte de défauts puisqu’elle est vieille de plus de 30 ans, qu’est-il prévu pour compenser la baisse des recettes fiscales pour les collectivités territoriales ? D’autant plus que les annonces de coupes de dotations se multiplient.

            Transformation progressive du Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) en baisse de cotisations sociales patronales : le CICE permet de déduire de l’impôt sur les bénéfices (IS) 7 % des salaires versés l’année précédente jusqu’à 2,5 fois le Smic. Il sera remplacé par une baisse de 6 points sur la part de la masse salariale inférieure à ce seuil. S’ajoutera une diminution de 4,1 points au niveau du Smic. Et le Medef n’est pas content : parce que, au contraire du CICE, la baisse des cotisations augmente le bénéfice comptable, donc potentiellement l’IS. Gageons que le patronat trouvera une astuce pour faire évader pas mal de choses… En attendant que la baisse du taux de l’IS de 33,3 % à 25 % promise en 2022 arrive…

            Progression de la fiscalité environnementale : le litre de gazole taxé de 10,4 centimes de plus en 4 ans ; la Contribution climat énergie, dite taxe carbone, actuellement de 30,5 €/t/CO2, portée à 44 € en 2018 et 86 € en 2022. Ce pourrait être un bon signe, mais à quand la réaction des lobbies ? En attendant, le gouvernement prévoit de supprimer les aides « au maintien des agriculteurs biologiques »… Le marché y pourvoira, a déclaré le ministre de l’agriculture, Stéphane Travert. Le marché agricole, nouveau bon exemple de marché ? Sous l’impulsion du lobbying pro-glyphosate de la FNSEA ? (4)

            Quant à la taxe sur les transactions financières (TTF) dont discutent depuis plusieurs années une dizaine de pays européens, elle est toujours dans les limbes, et le projet a même reculé puisqu’Emmanuel Macron a remis en cause le début d’accord en proposant à la place une « stamp duty tax », sorte d’impôt de bourse à l’assiette étroite, confirmant ainsi la disposition du projet de budget français 2018 qui renonce à étendre la TTF aux opérations spéculatives infra-quotidiennes.[11] L’obsession des financiers de Paris est d’attirer ceux de la City après le Brexit.

Politiques budgétaire et de dépenses publiques

Entre 15 et 20 milliards de baisse programmée des dépenses publiques, selon les annonces variables du gouvernement. C’est le signe de la poursuite des politiques d’austérité : 7 milliards de moins pour l’État, 5 pour la Sécurité sociale et 3 pour les collectivités territoriales. La loi de financement de la Sécurité sociale de 2018 exige de l’assurance-maladie une économie de 4,2 milliards. Le forfait hospitalier augmente de 2 euros par jour : la ministre des solidarités et de la santé, Agnès Buzyn, affirme qu’il sera payé par les mutuelles et « non par les Français » : or, qui paie les cotisations aux mutuelles, de plus non dépendantes des revenus, donc moins solidaires que celles à la Sécurité sociale ?

            Diminution des « emplois aidés » de 440 000 à 200 000 l’an prochain (5) pour économiser 2,6 milliards d’euros (un emploi aidé coûte 11 000 euros par an). Cela dans le contexte où les dépenses de fonctionnement des collectivités locales s’élevaient en 2016 à 168,5 milliards d’euros, en baisse de 0,2 % par rapport à 2015, et les dépenses d’investissement à 45,5 milliards, en baisse de 3 %. Les restrictions apportées à l’accompagnement des « parcours professionnels, carrières et rémunérations », commencées déjà à la fin du quinquennat Hollande, se font en niant l’utilité de ces emplois, tant en termes d’utilité des services rendus que d’aides pour entrer dans l’emploi. De plus, qu’est-ce qu’un emploi aidé quand les exonérations de cotisations sociales représentent 52 milliards d’euros par an (CICE et Pacte de responsabilité inclus), auxquels vont s’ajouter 4 milliards en 2018 au titre de zéro cotisation au niveau du Smic ?

            Diminution de l’aide personnalisée au logement (APL) de 5 euros par mois qui va toucher 6,5 millions de ménages, dont 800 000 étudiants. Ainsi, les HLM auront 1,4 milliard d’euro sen moins s‘ils répercutent la baisse des APL sur les loyers.

Le gouvernement annonce un plan de 57 milliards d’investissement (20 pour la transition écologique, 15 pour la formation des chômeurs et des travailleurs peu qualifiés, 13 au titre dernier plan d’investissement décidé par Hollande, 9 pour la transformation numérique des services de l’État, dont la santé). Sur quel laps de temps : le quinquennat ? Le financement de ce plan, dans un contexte de baisse des impôts, se fera par emprunt, alors qu’on n’a guère de visibilité des politiques du taux d’intérêt des banques centrales dans un proche avenir.

Le gouvernement table sur un regain de croissance économique (1,6 ou 1,7 % par an ?) avec en ligne de mire l’équilibre budgétaire « structurel » (hors aléas de la conjoncture), c’est-à-dire un équilibre variable en fonction des… variations. Absurde. Aussi absurde que de déclarer improductifs les travailleurs dans les services non marchands (6) et de considérer les dépenses publiques comme n’alimentant pas la demande vers toute l’économie (7).

L’absurdité se nomme aussi allégeance au dogme de la compétitivité et à celui du couple contradictoire concurrence/concentration : Alstom avait déjà vendu sa branche électricité à General Electric, sa branche TGV passe sous contrôle de Siemens, et les chantiers navals de Saint-Nazaire seront dirigés par Fincantieri. Aux politiques budgétaire, fiscale et sociale injustes s’ajoute une politique industrielle évanescente. 

Le fondé de pouvoir et les fondus de pouvoir

Au bout de quatre mois, la preuve est faite qu’Emmanuel Macron est le fondé de pouvoir de la haute classe bourgeoise, bruyamment applaudi par le Medef. Même l’éditorialiste du Monde, Françoise Fressoz, qui durant toute la période électorale appelait à ce qui ne s’appelait pas encore le macronisme, commente : « Au bonheur des riches ! » (Le Monde, 28 septembre 2017).

Il faut être au moins professeur au Collège de France pour affirmer que le volet sécurité de la flexicurité est en marche pour les salariés, que le ruissellement de la richesse des riches vers les pauvres est à l’œuvre et que l’argent placé à la Bourse alimente l’économie (Philippe Aghion, France-Inter, 21 septembre 2017). Et, être professeur à Polytechnique et à l’ENSAE donne la légitimité de réclamer d’aller encore plus loin dans la libéralisation (Pierre Cahuc, « Le big bang n’a pas eu lieu », Le Monde, 26 septembre 2017) qui a conduit à la crise (8).

Le fondé de pouvoir a derrière lui des fondus de pouvoir voulant imposer leur magistère sur une science économique galvaudée, au point de considérer que la cause du chômage est le droit du travail, comme les accidents de la route qui seraient dus au code de la route, c’est bien connu.

                                                                                                                                       4 octobre 2017

(1) Nous laissons de côté ici les débats sur l’état d’urgence permanent, même s’il y aurait beaucoup à dire en matière démocratique.

(2) Étienne Lefebvre, Les Échos, 3 octobre 2017.

(3) La date de revalorisation avait déjà été repoussée de janvier à avril en 2009, puis d’avril à octobre en 2014.

(4) Dans Le Monde du 1er et 2 octobre 2017, Stéphane Foucart raconte (« L’expert doit-il être un plagiaire ? »), comment l’Autorité européenne de sécurité des aliments a validé le rapport d’évaluation du glyphosate remis par l’Institut fédéral allemand d’évaluation des risques, qui était lui-même un « copier-coller » des déclarations des « sociétés demandant la réautorisation du glyphosate ».

(5) Dans son entretien avec Libération, 4 octobre 2017, Édouard Philippe affirme que le nombre d’emplois aidés passera de 280 000 à 200 000.

(6) Sur ce point très discuté, voir Jean-Marie Harribey, La richesse, la valeur et l’inestimable ; Fondements d’une critique socio-écologique de l’économie capitaliste, Les Liens qui libèrent, 2013.

(7) Voir Les Économistes atterrés, Changer d’avenir ! Réinventer le travail et le modèle économique, Les Liens qui libèrent, 2017.

(8) Voir Attac, Par ici la sortie, Cette crise qui n’en finit pas, LLL, 2017.

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