Santé et bien-être

Qui veut la peau de l’Évras ?

Depuis une semaine, l’éducation à la vie relationnelle affective et sexuelle (Évras) et ses séances d’animation à l’école font l’objet de polémiques qui font le tour de la toile et sont relayées jusqu’au polémiste français d’extrême-droite Éric Zemmour en personne. De quoi s’agit-il ? Comment rassurer et dépasser les frictions ? On en parle avec Lola Clavreul, directrice de la Fédération des centres pluralistes de planning familial (FCPPF).

Le point de départ du débat : la publication d’un ouvrage dont l’objectif est d’homogénéiser et professionnaliser la pratique de l’Évras. Ce guide destiné aux professionnel·les est tombé entre les mains de l’Observatoire de la petite sirène (voir encadré) qui malgré l’aval massif de nombreuses actrices et acteurs de terrain, y voit quelques passages très problématiques. La polémique enfle et dépasse même les frontières du Royaume. Mais quel est le véritable souci ?

Lola Clavreul : « En réalité, ce qui intéresse cet observatoire auto-proclamé, ce n’est pas tant le guide en lui-même, mais plutôt une question de valeurs. Il tend à déconstruire et à critiquer les études et points de vue qui portent sur la transidentité. On est dans le giron de la Manif pour tous en France. D’ailleurs l’Observatoire de la petite sirène est né de ça, d’une branche française très réactionnaire qui soutient une théorie sur la 'dysphorie de genre à apparition rapide' : une 'épidémie' de transformation de genre, de coming out au service d’une idéologie qui déferlerait dans la société. Avec une vraie crainte, défendue sur leur site : aborder ces sujets en classe ou dans tout autre espace avec des jeunes serait susceptible de contaminer les autres. Le tout avec études à l’appui réalisées sur des micros-échantillons, servies par des questions très orientées. Toutes ces personnes sont opposées au principe d’auto-détermination de l’enfant. »

« Laisser un enfant dans l’ignorance, non pas dans l’innocence, cela revient à le mettre en danger »
Lola Clavreul, directrice de la FCPPF

Qu’en disent les professionnel·les de première ligne ?
L. C. : « Justement, il suffit de passer les portes d’organismes comme Genres pluriels ou TransKids pour se rendre compte qu’ils et elles sont loin de pousser les enfants dans des opérations de transformation, comme c’est affirmé par l’Observatoire de la petite sirène. Ces professionnel·les sont très prudent·es sur ces questions et orientent bien souvent les enfants vers d’autres types de consultations. Parce qu’il arrive qu’en périphérie de ce que l’on appelle la variation de genre, il y ait autre chose. Que les parents vérifient par eux-mêmes : ces structures de terrain mettent plein de warnings et sont loin de l’effet boule de neige fantasmé par la pédopsychiatre Sophie Dechêne. »

Justement, la transidentité, c’est un des points de tension soulevé par cette dernière. Pouvez-vous revenir sur les polémiques suscitées le par guide ?
L. C.
 : « La partie sur la transidentité serait selon l’Observatoire un véritable mode d’emploi. Là, il y a incompréhension. Les séances Évras ne précèdent jamais les questions des enfants. Il n’y a pas un programme de thèmes à aborder. Si on parle d’identité de genre, par exemple, c’est parce que les enfants d’une école y sont confrontés dans leur environnement. L’autre polémique porte sur les sextos ramenés à des élèves de 9 ans. C’est intéressant pour illustrer les questions liées au consentement, à l’image. C’est un point de détail dans ce guide destiné aux professionnel·les de l’Évras, et pas aux profs ou aux enfants comme on a pu le lire. D’ailleurs, ce point prête à confusion et il va être reformulé début 2023. »

L’idée défendue par tou·tes ces pédopsys sur ce point polémique des sextos consiste à conserver le plus possible l’innocence des enfants, qu’en pensez-vous ?
L. C.
 : « Elles s’appuient sur ce bon vieux concept freudien de l’état de latence (période où toute pulsion sexuelle de l'enfant est comme inerte ou partiellement éteinte, ndlr). Mais je pense qu’il est inutile de préciser aux parents que la sexualité des enfants ne commence pas à leurs 18 ans. Dès le plus jeune âge, ils/elles reçoivent des informations sur la sexualité de plein de manières différentes. De plus, ils/elles vivent dans des foyers composés en moyenne de sept à huit écrans, qu’ils/elles maîtrisent au-delà de toute protection parentale qu’ils/elles contournent allégrement. Conséquence de quoi ils/elles sont exposé·es à des contenus à caractère sexuel de plus en plus jeunes. Qu’est-ce que l’on fait face à ça ? Faut-il les laisser seul·es face à toutes ces incompréhensions, à toutes ces représentations ? Ne pas leur donner de clés ? Laisser un enfant dans l’ignorance, non pas dans l’innocence, cela revient à le mettre en danger. Quand un enfant pose des questions, il veut obtenir une réponse. Si il/elle ne l’obtient pas auprès de ses parents, il/elle ira les chercher ailleurs. C’est justement là que l’Évras joue un rôle : apporter des réponses complètes aux questions que les enfants se posent, par des professionel·les formé·es pour ça. »

Ce qui fait peur et ce qu’agite justement l’Observatoire de la petite sirène, c’est l’idéologie cachée que servirait l’Évras. Comment rassurer tous les parents sur ce point-là ?
L. C. :
« Dans leur pétition en ligne qui compte aujourd’hui 8 000 signataires, il est question en filigrane dans les commentaires de complots pédo-satanistes. Le guide n’est pas écrit par ou pour des militant·es, mais par plus de 150 professionnel·les qui sont des représentant·es des écoles de tous les réseaux, des représentant.es des parents, des travailleurs et travailleuses de planning familial, de centres PMS, des scientifiques, etc. Il repose sur une base commune. Sur des travaux d’organismes très sérieux comme ceux de l’OMS ou l’Unesco. C’est un guide qui se veut le plus représentatif possible. »

Est-ce que toute cette polémique ne se résumerait pas à un combat de valeurs ?
L. C. :
« Ce qui est navrant, c’est d’assister à toute cette désinformation sans la contextualiser. Nous avons effectué tout un travail pour rappeler qui est cet Observatoire (voir encadré). En un mot, ces détracteurs sont composés de scientifiques qui déplorent le manque de neutralité du guide. Mais eux ne sont pas neutres, ils sont liés à l’extrême-droite homophobe. Leurs propos sont d’ailleurs repris sur le compte Instagram d’Éric Zemmour depuis la semaine dernière. Conservateur toujours, le journal français le Figaro publie en ligne des articles au où il est question ‘d’un guide belge qui incite les enfants de 9 ans à s’envoyer des sextos’. Il y a en effet un choc des valeurs. Le guide, lui, est le fruit d’un compromis, d’acteurs, d’actrices qui viennent d’horizons divers. Il n’est pas complétement neutre, c’est vrai. Il s’inscrit clairement dans une démarche progressiste. Mais pas militante. »

Est-ce que toute cette polémique influe sur le contenu du guide en lui-même ?
L. C. :
« Les choses peuvent toujours être améliorées. Par essence, rien en ce qui concerne l’Évras n’est figé dans le marbre. Et toute critique ou processus participatif d’amélioration est le bienvenu, tant que c’est constructif. L’ennui, c’est de devoir combiner avec des fausses informations, avec l’intox. Ici, le rêve de nos opposant·es, c’est que tout ce qui a trait à l’éducation à la sexualité reste dans le giron familial. Ça ne devrait être l’affaire que des parents. Or, on connaît les disparités d’une famille à l’autre. Certaines sont hyper à l’aise et tant mieux. Mais pour d’autres, il est hors de question d’aborder quoi que ce soit. Des questions vitales pourtant. Il en va donc d’une question d’équité, d’égalité des chances, de tronc commun de base même. C’est un droit fondamental pour un·e jeune d’être correctement informé·e. L’idée de le faire à l’école consiste à lutter contre les inégalités à ce niveau-là. »

On sait qu’une idée en périphérie du tronc commun voulu par le Pacte d’excellence consiste à aborder les questions liées à l’Évras à l’école de manière transversale, quand ça s’y prête en cours. Est-ce que tout ce ramdam peut faire reculer les politiques sur ce point-là ?
L. C. :
« Je trouve que face à toute cette agitation, les ministres sont droites dans leurs bottes. Le protocole d’accord qui vise à rendre l’Évras obligatoire à tous les établissements de la Fédération Wallonie-Bruxelles est en marche (voir encadré). Il n’est pas question de réviser tout cela.
Pour rappel, on ne parle pas d’une matière omniprésente. Mais bien de séances qui ont lieu deux heures par an. Ce que je crains, c’est plutôt la levée de boucliers chez certains parents. On veut tout faire pour les rassurer, les amener à s’informer, à voir par eux-mêmes ce qu’est une séance Évras. Encore une fois, ce sont deux heures où l’on propose de s’occuper de problématiques qui les préoccupent. Un endroit où les enfants se sentent en sécurité, où ils peuvent se sentir libres de parler, d’être eux-mêmes en toute confidentialité. Un endroit où on leur amène des réponses sur-mesure, qui prennent en compte leurs paramètres.
Et surtout pas un endroit où l’on va leur faire ingurgiter quoi que ce soit. Encore une fois, l’Évras, ce n’est pas un cours. »

Comme à chaque fois qu’on parle d’Évras, c’est toujours le « S » qui pose problème. La sexualité est-elle condamnée à rester tabou ?
L. C. :
« Pendant les séances d’Évras, on parle d’abord d’émotions, de relations, de protection du corps, d’amour, d’amitié, des compositions familiales… Sur la question de ce fameux S d’Évras, les études de l’OMS démontrent que parler de sexualité, c’est la meilleure manière pour amener les élèves à des pratiques mieux protégées et plus tardives. Leur donner les clés de tout ça, c’est important pour eux, pour leur vie. Faire de l’éducation sexuelle à la maison, encore une fois, c’est génial. Mais les parents ne sont pas experts en tout. Ce n’est pas grave de s’en remettre à des professionnel·les. Finalement, on le fait dans plein d’autres domaines : pour le langage, pour la santé, pour la santé mentale, pour le deuil, pour le soutien scolaire… des matières où il peut y avoir autant d’embrigadements que pour la sexualité. Dès lors pourquoi ne pas faire confiance aux psys, aux assistantes sociales et assistants sociaux, aux conseillères conjugales et conseillers conjugaux, aux pros de secteur là ? On ne parle pas de militant·es lambdas. Peut-être que tout ceci montre encore une fois, en effet, que la sexualité reste un tabou important dans notre société. »

En savoir +

  • Pour tout savoir sur l’Évras : un site porté par plusieurs associations avec une entrée pro et une entrée parents. Il s’agit d’une sorte de FAQ très complète et accessible. Ce que l’on aime, c’est que l’Évras y est montré en totale transparence.
  • Pour tout savoir sur l’Observatoire de la petite sirène : la FCPPF a retracé toute la constellation de cet observatoire aux travaux et aux recherches très orientés. Important pour bien cerner d’où vient la polémique.
  • Pour bien comprendre quelle est la place de l’Évras à l’école : la place de l’Évras à l’école est très cadrée. Pour preuve cet accord de coopération entre les différentes instances (Communauté française, Région wallonne, Commission communautaire française).
  • Pour mieux comprendre : n’hésitez pas à contacter la Fédération de Centres Pluralistes des Planning Familial. L’asbl est d’une pédagogie sans pareille et ouverte au dialogue.
Cet article a fait l'objet d'un droit de réponse qu'on peut retrouver ici

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