Interdire la diffusion du visage des policiers ? Une proposition de loi sur la « sécurité globale » fait polémique

DEBAT Les députés débattront mercredi en commission de la proposition de loi relative à la « sécurité globale », dont plusieurs articles font polémique

Hélene Sergent et Thibaut Le Gal
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Un "gilet jaune" filmant les forces de l'ordre
Un "gilet jaune" filmant les forces de l'ordre — Kamil Zihnioglu/AP/SIPA
  • Une proposition de loi sur la « sécurité globale » doit être examinée à partir de ce mercredi 4 novembre par la commission des Lois de l’Assemblée nationale, avant d’être examinée du 17 au 20 novembre dans l’hémicycle.
  • L’un des articles du texte prévoit de punir la « diffusion » d’images permettant d'identifier tout policier ou gendarme dans le cadre d’une opération de police si cette diffusion vise à « porter atteinte à son intégrité physique ou psychique ».
  • Une partie de l’opposition et des associations dénoncent une entrave à la liberté d’information, notamment sur les violences policières.

Une nouvelle loi sur la sécurité pour l’exécutif. Les députés débattront mercredi en commission de la proposition de loi « relative à la sécurité globale ». « Un texte important », qui vise à « renforcer très fortement le poids de la sécurité » dans la vie quotidienne, a souligné le ministre de l’Intérieur  sur Twitter lundi. Gérald Darmanin a d’ailleurs engagé la procédure accélérée sur la proposition de loi.

Rédigé par les députés La République en marche Jean-Michel Fauvergue – l’ancien patron du Raid – et Alice Thourot, le texte comporte trois volets : « Le renforcement des polices municipales, un meilleur encadrement de la sécurité privée, et plusieurs mesures pour mieux protéger ceux qui nous protègent », résume l’élue LREM de la Drôme. Mais plusieurs éléments de ce dernier chapitre, qui n’étaient pas présents dans la première mouture du texte en janvier dernier, suscitent la controverse.

Filmer les forces de l’ordre, un futur délit ?

« Dans le contexte actuel, avec l’épidémie et les attaques terroristes, tout le monde est un peu tétanisé. L’exécutif en profite pour faire passer ce texte sécuritaire, très vendeur politiquement, avec cette stratégie qui vise toujours plus à ratisser sur les terres du RN et de la droite dure », dénonce Ugo Bernalicis, député insoumis du Nord. Dans son viseur, notamment, l’article 24 de la proposition de loi, qui consiste à punir la diffusion d’images ou d’éléments d’identification de policiers ou de gendarmes lorsqu’ils sont en opération. Cette interdiction, précise le texte, ne vaut que lorsque cette diffusion a pour but de « porter atteinte à l’intégrité physique ou psychique » de ces forces de sécurité.

Avec cette mesure, la majorité souhaite protéger les fonctionnaires et militaires de tout usage « malveillant » de leur image sur les réseaux sociaux. « On veut empêcher ceux qui filment des policiers ou des gendarmes en intervention, les identifient et lancent des cabales contre eux sur les réseaux sociaux », défend Alice Thourot. Ce nouveau délit, puni d’un an de prison et de 45.000 euros d’amende, a été ajouté sous l’impulsion de l’exécutif. Interrogé à ce sujet lundi sur RMC et BFMTV, Gérald Darmanin s’est justifié : « J’avais fait une promesse, qui était celle de ne plus pouvoir diffuser les images des policiers et des gendarmes sur les réseaux sociaux. Cette promesse sera tenue. »


Plus jamais d'affaire Benalla?

Une promesse qui fait bondir Anne-Sophie Simpere, chargée de plaidoyer à Amnesty International France : « Certaines vidéos tournées lors de manifestations ont permis de mettre en lumière des actes illégaux émanant de la police. Cela relève de la liberté d’informer ». Pour Arthur Messaud, juriste à La Quadrature du Net (QDN), l’objectif est « clair » : « Il s’agit de ne plus documenter les violences policières », estime-t-il. « C’est un contre-pouvoir nécessaire pour dénoncer les comportements de certains policiers. Rappelons-nous de tout ce que l’on a appris grâce à ce type de vidéos », abonde Ugo Bernalicis, qui évoque par exemple les violences policières ayant émaillé les manifestations des « gilets jaunes ».

« Il y a un prinicipe, celui de la transparence de l’agent public et de sa responsabilité. Sans ce principe, les affaires du Burger King des Champs-Elysées, de Geneviève Legay, ou  Benalla n'auraient pas été connues », abonde Paul Cassia, professeur de droit public à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne.

Contacté par 20 Minutes, le député LREM et ex-patron du Raid Jean-Michel Fauvergue, balaie toute volonté d’entrave à la liberté d’informer : « Le texte ne vise aucune profession. Le droit de filmer est absolu, mais la diffusion devra respecter les termes de la proposition de loi. »

Avec plus de trois cents amendements déposés – dont certains émanent du gouvernement –, les députés vont faire évoluer le texte et préciser les contours de cet article 24. Voire le supprimer ? « C’est la mesure la plus caricaturale, souffle Arthur Messaud de la QDN, au point qu’on se demande si ce n’est pas un chiffon rouge qui sera finalement rejeté par les députés. »