Parcourir la route départementale 58, qui relie Morlaix à Roscoff, dans le nord du Finistère, donne l’impression d’avoir franchi la Manche avant même de l’avoir aperçue. Plusieurs magasins arborent des devantures utilisant la langue de Shakespeare. L’un d’eux, baptisé « Wine Beer Supermarket », dispose, sur son parking, d’un bus à impériale rouge pour attirer le chaland.
Dans le secteur, les Britanniques – touristes ou chauffeurs routiers – font partie du décor. Les côtes de Cornouailles ne se trouvent qu’à deux cents kilomètres. Plusieurs dizaines de milliers de sujets de Sa Majesté débarquent chaque année à Roscoff. L’économie de cette cité portuaire et balnéaire (3 500 habitants en hiver, 20 000 en été) dépend en grande partie des échanges avec les voisins insulaires, facilités par l’absence de frontière au sein du marché intérieur de l’Union européenne (UE).
Port de pêche, de plaisance et de commerce, siège du premier employeur de marins français (la compagnie Brittany Ferries), mais aussi haut lieu de la culture légumière (destinée en partie à l’export), Roscoff figure parmi les territoires hexagonaux les plus directement concernés par le Brexit.
Dans son bureau, à l’étage de l’hôtel de ville, Joseph Seité, maire (divers droite) depuis 1995, résume la situation : « Le lien transmanche est essentiel pour nous. » Ce lien pourrait à tout le moins se distendre au cours des mois à venir. Avec le Brexit, le « corridor roscovite » est susceptible de se muer en frontière.
« On ne sait rien de ce qui va se passer ! »
Depuis le début de l’année, la façon dont s’enchaînent les visites de « grands élus » et de représentants de l’Etat témoigne du caractère stratégique de ce point de passage. M. Seité a accueilli successivement Jean-Yves Le Drian, le ministre des affaires étrangères et « ministre officieux » de la Bretagne, Michèle Kirry, la préfète de région, ainsi que Loïg Chesnais-Girard, président (PS) du conseil régional. Tous sont venus constater le travail engagé pour anticiper « le pire », à savoir un « Brexit dur ». Cependant, les uns et les autres naviguent à vue. « On entend plein d’infos, mais cela change constamment, confie le maire. En fait, on ne sait rien de ce qui va se passer ! »
Frédéric Bossis gère la boutique de vins, bières et spiritueux signalée par un bus à impériale. Debout, près de sa borne d’accueil, ce « caviste spécialisé dans le commerce transmanche » désigne une cliente du regard : « La dame anglaise, là-bas, vient ici depuis vingt ans. Aujourd’hui, elle va peut-être dépenser 600 euros… » Irlandais et Britanniques représentent 60 % des 4 millions d’euros de chiffre d’affaires annuel de M. Bossis.
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