La mi-mai tout juste passée, les beaux jours qui s’installent pour de bon et une averse venue humidifier les terres : voilà le tableau idéal pour lancer la saison des semis de sarrasin. Comme chaque année depuis 2006, Christine Larsonneur, la directrice de l’association Blé noir tradition Bretagne (BNTB), s’apprêtait à entamer ces festivités printanières. Mais son organisation, qui gère la culture, le stockage et la transformation de la graine en farine depuis 1987 en Bretagne, a craint le pire.
« Il nous manquait 30 % de cultivateurs par rapport à l’année dernière, reconnaît-elle. La spéculation sur les prix du blé tendre, du tournesol ou du colza est si forte, du fait du contexte international, que certains ont abandonné le sarrasin pour ce qu’ils estiment plus rémunérateur. » Sans compter que la Russie et l’Ukraine figurent sur le podium des plus gros producteurs mondiaux de sarrasin, avec la Chine.
Situation paradoxale
Alors, face au risque de pénurie, Christine Larsonneur a sorti le grand jeu : un appel aux cultivateurs sur les réseaux sociaux et dans la presse pour qu’ils tentent l’aventure du blé noir BNTB, qui possède une indication géographique protégée et un cahier des charges strict. Soixante-dix personnes sur les 150 nécessaires ont répondu présentes au 11 mai. Le but ? Eviter, qu’en bout de chaîne les crêpiers manquent de farine.
URGENT : recherchons des producteurs de blé noir pour la sauvegarde de notre agriculture bretonne et d'une producti… https://t.co/yaNZPIsXqE
— farineblenoir (@BleNoirBretagne)
Une situation paradoxale dans une région qui a longtemps abrité une grande partie de la production française de sarrasin, après son introduction au XVe siècle. Dans les années 1860, la moitié des 740 000 hectares de sarrasin cultivés en France se trouvait en Bretagne. Surnommée blé noir, cette plante à fleurs de la famille des polygonacées faisait vivre de nombreux foyers. L’agriculture intensive, les rendements fluctuants et plus faibles du sarrasin par rapport au blé ou au maïs ont presque anéanti sa présence dans les années 1980. Résultat : aujourd’hui, plus de 70 % du blé noir consommé en France est importé.
D’après la direction régionale de l’alimentation, de l’agriculture et des forêts, quelque 5 000 hectares ont été cultivés en Bretagne en 2020 sur un peu plus de 43 000 en France. Dans sa minoterie de Ploërmel (Morbihan), le loquace gérant, Jean-Julien Genest, s’inquiète depuis plus longtemps : « Cela fait déjà deux ans que j’ai du mal à m’approvisionner en blé noir français. » Ses gros clients industriels ne se sont intéressés à la provenance du sarrasin que tout récemment : « Autrefois, l’origine leur importait peu, mais maintenant ils demandent tous du sarrasin français. On est dépassés ! » Afin de pallier le manque, il a lui-même réservé, pour ses clients crêpiers, 1 000 hectares de terres pour la production de cette céréale.
Il vous reste 51.72% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.