Décryptage

L’Etat attaqué pour défaut de lutte contre les accidents de chasse

La chasse en débatdossier
Dans le sillage du contentieux climatique, une association et un collectif somment, ce mardi, le gouvernement d’exiger des mesures pour «assurer la sécurité de la population».
par Anaïs Moran
publié le 10 octobre 2023 à 11h00
(mis à jour le 10 octobre 2023 à 12h25)

D’ordinaire, il faut un drame pour que le débat resurgisse. Une balle perdue sur un sentier, dans un jardin, une voiture, qui perfore subitement un cou, un thorax, un cœur, pour que la chasse et ses conditions de sécurité soient de nouveau pointées du doigt. Cette fois-ci, c’est la menace d’un recours en justice contre l’Etat. Lundi 9 octobre, le collectif Un jour un chasseur et l’Association pour la protection des animaux sauvages (Aspas) ont conjointement déposé une «demande préalable indemnitaire» auprès de la cheffe du gouvernement Elisabeth Borne et nombre de ses ministres, dont celui de la Transition écologique, Christophe Béchu et la secrétaire d’Etat à la Biodiversité, Sarah El Haïry, pour exiger qu’ils prennent «sans délai des mesures nationales d’encadrement de la chasse propres à assurer la sécurité et la tranquillité de la population».

A l’image des associations de «l’Affaire du siècle» qui dénonçaient «l’inaction climatique» de la France, les deux requérants s’adressent ici à l’Etat pour dénoncer ses «carences fautives» et son incapacité à éradiquer «les accidents, les incidents et les nuisances en marge» des pratiques de chasse. En janvier dernier pourtant, le gouvernement avait présenté un «plan pour la sécurité» à l’intention du million de chasseurs actuellement recensés sur le territoire. «On demandait la mise en place d’un jour du week-end sans chasse pour mieux répartir le temps de loisir entre chasseurs et non-chasseurs, comme au Royaume-Uni ou aux Pays-Bas, relate Mila Sanchez, cofondatrice d’Un jour un chasseur. Mais tout ce qui est ressorti de ce plan, c’est l’instauration d’une contravention pour les chasseurs surpris, fusil à la main, en état d’ivresse manifeste. Cette contravention repose uniquement sur l’appréciation des agents habilités à verbaliser, car aucun taux d’alcool dans le sang n’a été fixé. Ceci est une vaste blague.»

«En période de chasse, les gens sortent se promener la boule au ventre»

Désabusées face aux annonces gouvernementales, les associations choisissent donc de se tourner vers la justice pour interroger la responsabilité de l’Etat. «Cette action n’a pas pour objectif de lancer une discussion polarisée et explosive pour ou contre la chasse, mais bien de remettre au cœur du sujet les questions de sécurité publique, expose Julien Roelens, l’un des avocats des parties requérantes. L’Etat est désinvesti de ses prérogatives en matière de police de la chasse. Il ne remplit pas ses obligations de protection de la vie et de l’intégrité physique des personnes, et ne prend aucunement toutes les mesures utiles pour en assurer le respect. Ces carences graves engagent sa responsabilité.» L’exécutif dispose désormais de deux mois pour répondre à la «demande préalable indemnitaire» de l’Aspas et du collectif Un jour un chasseur. Faute de quoi l’association et le collectif saisiront ensemble le tribunal administratif de Paris.

Selon les données de l’Office français de la biodiversité (OFB), le nombre d’accidents de chasse ayant entraîné une blessure corporelle a baissé de plus de 60 % en l’espace de deux décennies (82 victimes déclarées en 2022) et le nombre de décès a diminué de presque 80 % (six individus sont morts l’année passée, tous étaient chasseurs). Une décroissance insuffisante pour les requérants. «La saison dernière, les non-chasseurs ont représenté 28 % des personnes blessées, alors que la moyenne sur ces vingt ans est de 13 %. Cette augmentation interpelle. On parle là de ramasseurs de champignons, de randonneurs, de cyclistes, qui n’ont rien demandé à personne, relève Marion Fargier, juriste à l’Aspas. En période de chasse, les gens sortent se promener la boule au ventre. Cette insécurité n’est pas un risque accepté.»

Dans un rapport d’information sur la chasse publié en septembre 2022, des sénateurs soulignent que «plus des deux tiers des accidents résultent de fautes graves enfreignant les règles élémentaires de sécurité». Règles qui font l’objet de vives critiques puisqu’elles sont fixées dans chaque «schéma départemental de gestion cynégétique» par les fédérations de chasse elles-mêmes (avec la signature de la préfecture). «Il n’existe aucune homogénéisation des schémas sur le territoire. La Savoie, le Rhône ou la Drôme n’ont par exemple aucune interdiction de tirer en direction des habitations dans leur schéma départemental, certifie Marion Fargier. Aussi, certains documents ne formulent que des recommandations pour la pratique de la chasse, ce qui empêche l’OFB de sanctionner quiconque pour le non-respect du schéma départemental.»

Statuer sur la limitation des jours de chasse

Pour les associations, l’Etat faillit ainsi à ses obligations en validant, par l’intermédiaire de ses préfets, des schémas «lacunaires en matière de sécurité et disparates d’un département à l’autre», dont certains ne contiennent «même pas» les cinq règles de sécurité actuellement applicables à l’ensemble du territoire national. A savoir l’impératif d’une remise à niveau décennale sur les règles élémentaires de sécurité pour les chasseurs, le port obligatoire du gilet fluorescent pour ces derniers, la pose de panneaux de signalisation à proximité immédiate des voies publique lors d’action collective de chasse à tir au grand gibier, et donc aussi, l’interdiction de tirer en direction des infrastructures et des habitations et celle de pratiquer la chasse en état d’ivresse manifeste. Panel de règles nationales que l’Association pour la protection des animaux sauvages et Un jour un chasseur souhaitent voir largement étoffer.

Dans leur «demande préalable indemnitaire», les requérants enjoignent formellement l’exécutif à statuer sur la limitation des jours de chasse – notamment le week-end – et sur un périmètre de sécurité interdit aux tirs. «Au cours des 15 dernières années, 70 % des accidents mortels touchant des non-chasseurs se sont produits durant le week-end et près de 40 % sont survenus alors que la victime se trouvait sur une route ou dans un jardin», peut-on lire dans le document envoyé à Elisabeth Borne et ses ministres. En janvier dernier, avant que le plan gouvernemental ne soit dévoilé, le président de la Fédération nationale des chasseurs, Willy Schraen, avait annoncé une «ruralité à feu et à sang» en cas d’instauration d’un jour sans chasse par semaine. «Pour des raisons de sécurité, la chasse nécessite d’être réduite dans le temps et dans l’espace, insiste Mila Sanchez. C’est la seule chose à faire pour parvenir au zéro accident.»

Sollicité par Libération, le cabinet de la secrétaire d’Etat à la Biodiversité, assume pleinement les mesures de sécurité actuellement en œuvre. «Pour introduire un taux maximum d’alcool dans le sang, il faut un changement de loi, c’est un processus lourd, donc cette contravention est une première étape, justifie son entourage. S’agissant de la journée sans chasse, nous avons préféré renforcer la sécurité tous les jours de la semaine plutôt que de mettre en place une journée sans chasse car les données de l’OFB ne montraient pas de surreprésentation d’accidents un jour en particulier. S’agissant des tirs, en termes de sécurité la priorité reste de mieux contrôler la direction de l’arme et moins le périmètre dans lequel elle est utilisée. Enfin, pour ce qui concerne les schémas départementaux, nous invitons les associations à nous alerter en cas de manquement. Mais nous assumons que ces schémas comportent à la fois une trame nationale identique et des spécificités liées à un territoire local donné.»

Mis à jour à 12H25 avec la réaction de l’entourage de la secrétaire d’Etat à la Biodiversité.

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