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Henri Bohic : biographie


© Institut de recherche et d’histoire des textes - CNRS
Tours BM, 575, f. 117. Base Enluminures                                               

Parmi les universitaires bretons du Moyen Age, le canoniste Henri Bohic occupe certainement une place privilégiée. Issu d’une famille de petite noblesse du diocèse de Léon, il fait ses études de droit à Orléans. Dès 1334 il est installé à Paris, dans la paroisse de Saint-Benoît. C’est à l’Université de Paris qu’il professe les Décrétales, de mane, poursuivant par ailleurs une carrière d’avocat, de conseiller après du duc d’Orléans et du roi Philippe VI. Si sa biographie laisse paraître de grandes zones d’ombre, son oeuvre, par contre, nous est parvenue à travers de nombreux manuscrits, témoignage de son succès. Achevé en 1349, son commentaire sur les Décrétales de Grégoire XI, Distinctiones super quinque libris Decretalium, reflète son propre enseignement du Clos Bruneau.
Nous présentons ici quelques passages d’une étude publiée dans le volume 4 de Pecia − « Au service de l’Université et au conseil du duc … Notes sur le canoniste breton Henri Bohic († v. 1357) » −, suivis de la tradition manuscrite des Distinctiones et d’une bibliographie.


Ce nom de Bohic est très ancien et en grande estime au dit Bas-Léon et y a près Saint-Renan une motte de terre que l’on dit estre l’ancien chasteau Bohic et que de là sont issues les maisons de Kergadiou, Kermenou, Kerlean, de la Villeneufve et aultres
. Ainsi s’exprime l’auteur d’une ancienne généalogie de la famille de Kergroadez dont l’imposant château de granit fortifié se voit encore à Brélès. Toutefois rien ne subsiste des premières filiations du lignage des Bohic sinon quelques données éparses introduisant la noblesse de cette famille bretonne. 




Le silence des archives vaticanes sur les bénéfices qu’aurait pu obtenir Henri Bohic montre à l’évidence une carrière à l’opposé de celle de son proche « cousin » Even. Au témoignage de ses écrits il naquit au diocèse de Léon, sans doute dans la mouvance de l’abbaye bénédictine de Saint-Mathieu du Finistère, ou d’un de ses prieurés. Il fut à la fin du XIVe siècle élève en droit civil à Orléans sous Jean de la Ferté et Pierre du Chesne (ou Du Quesne, futur doyen du chapître cathédral de Tournai). Parmi ses condisciples se trouvait un certain Alain Helory, neveu d’Yves Hélory, le saint de Tréguier, lequel fréquenta lui aussi ces écoles d’Orléans. De ses études dans la capitale nous ne savons rien, ni les dates de sa maîtrise ni celles de sa licence.
Les premières informations parisiennes relatives à Henri Bohic proviennent de l’acte d’un achat qu’il fit le 6 juin 1334 de maisons « entretenantes » au clos Bruneau, rue Saint-Hilaire, « ou mont de Paris », en la censive de l’église Saint-Benoît. Ainsi, devant Pierre Belagent, garde de la prévôté de Paris, se présente « maistre Gieffroy du Puis autrement dit de taulé breton », chapelain de Martin des Essars, conseiller du roi. Ce dernier s’engage à vendre à « honorable homme & discret maistre henry bohic clerc licencié en lois & en decres » trois maisons dont deux furent à feu Symon de Chais, curé de Nogent, et « ces 3 maisons furent a feu maistre alain du val ».
Le censier de la Grande Confrérie aux prêtres et aux bourgeois de Paris composé en 1343 nous situe alors la « meson Jacquet Blanchet bedel en la faculté de decrez que len dit aux . III . paz qui fu mestre pierre de Tancro ouvrant en la rue de cloz Bruneau et en la rue saint hylaire, ten[an]t dune p[ar]t ou clos Bruneau aux escoles Aymon Lagado et dautre p[ar]t a la meson mess G[ir]art des Courtiz chanoine de paris et en lautre rue a la meson mess. henri Bouin (sic, pour Bouic) dune part et a la meson mess. Jehan Frepier dautre part … ». Bien plus tard ces maisons seront baillées à rente au chanoine de Saint-Benoît Clement de Soilly, exécuteur testamentaire du cardinal de Dormans. Celui-ci en fera don au collège de Beauvais le 29 décembre 1388.


1352. Quittance d’Henri Bohic. © Paris, BnF, PO 381 d. 8392 p. 882.

Sachent tuit que Je henri bohic clerc & consiller de mons le duc dorliens cognois & confesse auoir eu e receu donorable home & sage messire yves de cleder receueur du dit signeur en sa conte de beaumont le roger. doze liures tournois pour mes despans en alant e uenant de paris au dit beaumont pour les grans jours du dit seignour Item quinze soulz tournois pour les despans fes par mes valles au dit beaumont des quelles sommes je me tiens pour bien poie et en quitte le dit receueur & touz ceuls a qui quictance en appartient & puet appartenir donne soubz mon seel le xvie jour doctembre lan de grace mil ccc. lij.


Henri Bohic poursuivit sa carrière de juriste professionnel. Ainsi fait-il partie d’un groupe d’avocats présents le vendredi 4 octobre 1336 lors d’une entente passée entre Thierry d’Erlebach, Pierre de Cros et Gilles d’Abbeville concernant l’exécution du testament de Conrad de Bonmersheim. Au début de l’année 1341 il assiste à Paris à la réalisation des dernières volontés d’Hervé de Léon, seigneur breton qu’il dut certainement fréquenter dans la capitale. Ce dernier, chevalier, seigneur de Noyon-sur-Andelle, homme de guerre du lignage des vicomtes de Léon, prit place auprès du parti de Montfort et défendit en 1341 la ville de Nantes assiégée par les Génois et les Français. A la suite d’un désaccord il abandonne ce parti, et prend le commandement du premier corps d’armée de Charles de Blois. Il assiège Hennebont et Carhaix. Retiré au manoir épiscopal de Trégarantec, Hervé de Léon est surpris par Gautier de Mauny et Tanguy du Châtel qui le font prisonnier et l’envoient en Angleterre. Echangé contre le comte de Salisbury, il participe ensuite au siège de Vannes. Fait de nouveau prisonnier, reconduit en Angleterre, il n’obtient sa délivrance qu’au prix d’une rançon de 100 000 écus. Froissart nous conte ses exploits contre les Maures d’Espagne et les païens de Prusse. Il décède « en allant en son pays en la cité d’Angiers », probablement à la fin de l’année 1344. Nous savons qu’ Hervé de Léon possédait une demeure à Paris : la Maison d’Ardoise. Celle-ci, « assise … en la grant rue S. Denis », fut du reste vendue par sa femme Margerite d’Avaugour à la confrérie Saint-Jacques aux Pèlerins en 1343-44 pour la modique somme de 620 livres parisis payée « en deniers d’or ». Cette vente « pour la delivrance de la personne du dit mons. Hervieu de Léon qui, si comme ils disoient, estoit prisonnier du roy d’Angleterre en la ville de Londres … » .


Quelques témoignages significatifs de l’importance et de la valeur du corpus d’Henri Bohic nous sont parvenus, ainsi celui de Philippe de Leyde, conseiller juridique du comte de Hollande, auteur d’un célèbre traité. Il fit ses études de droit à Orléans entre 1345 et 1349, enseigna les Décrétales à l’Université de Paris vers 1365 et fut promu doctor decretorum en 1369. Dans son ouvrage il fait plusieurs fois référence à Dominus Henricus … où l’on doit reconnaître Henri Bohic. Au reste, il disposait dans sa bibliothèque personnelle de trois volumes du maître breton. Simon de Cramaud (ca 1360-1422), personnage d’une très grande notoriété, conseiller de Charles V, maître des requêtes de l’Hôtel du roi, composa son De substraccione obediencie en 1396-1397. Il y fait explicitement référence à Henri Bohic et ce à trente et une reprises.
L’apparition de l’imprimerie facilitera la diffusion des oeuvres du canoniste. Dès 1498, sort des presses lyonnaises de Johann Siber, pour Jacques Buyer, une première édition corrigée par François Josserand : « Opus preclarissimum distinctionum Henrici Bouhic utriusq[ue] iuris professoris super qui[n]q[ue] libris Decretaliu[m] nouiter impressum accuratissimeq[ue] correctum. Lugdun[i]. : per Magistru[m] Iohanne[m] Siberti atq[ue] impensis M[a]g[ist]ri Iacobi Bueri impressu[m], Anno labente incarnate deitatis. M.ccccxcviij ».
D’autres éditions suivront, aidant à la reconnaissance de l’oeuvre du maître, même si ce dernier n’est toujours pas identifié avec exactitude. Ainsi, l’édition de Venise, 1576, lui donne une origine lyonnaise … Au XIXe siècle, J. F. Von Schulte voit le diocèse de Léon en Armagnac.
Certains historiens ont attribué à Henri Bohic un Commentaire sur le Sexte. En fait, il s’agit d’un répertoire (Repertorium) ou d’une table (Tabula) de concordance des éléments traités soit dans les Décrétales, le Sexte ou le Décret de Gratien. Plus tard, d’autres canonistes rédigeront de telles tables sur les Distinctiones : Albert de Moriers, François Josserand, Ulrich de Albeck …


© Institut de recherche et d’histoire des textes - CNRS
Tours BM, 576, f. 119v. Base Enluminures

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Suite et développement dans :
Jean-Luc Deuffic, “Au service de l’Université et au conseil du duc … Notes sur le canoniste breton Henri Bohic († v. 1357)” dans Pecia, vol. 4, 2004, p. 47-101 [Lien]
Jean-Luc Deuffic, “Henri Bohic, et le receveur Yves de Cleder”, dans Notes de bibliologie. Livres d’heures et manuscrits du Moyen Age identifiés, Pecia, Le livre et l’écrit, 7, 2009 [Lien]

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