Publié le mardi 30 septembre 2008 à 15:50

Bertrand Blier

Bertrand a 14 ans et Clou­zot l’in­vite à une projec­tion du “Mystère Picasso” aux studios de la Victo­rine, à Nice

Bertrand a 14 ans et Clou­zot l’in­vite à une projec­tion du “Mystère Picasso” aux studios de la Victo­rine, à Nice. “J’ai été scot­ché par ces plans de la créa­tion en trans­pa­rence. Et j’ai décou­vert le métier de réali­sa­teur”.

Dans le portrait qui lui est consa­cré, L’Homme tout contre*, Bertrand Blier s’af­firme contre les modes, la poli­tique, l’art confor­table et convenu. En fait cet anti­con­for­miste est surtout pour la prise de risque par des chemins de traverse, un humour acerbe et un style qui n’ap­par­tiennent qu’à lui. « L’idée, c’est de mettre la barre assez haut de manière à bien me casser la gueule ! » Provo­cant, sombre et drôle.

INITIALES BB. Bertrand naît le 14 mars 1939 à Boulogne-Billan­court (92). Il est le fils de Bernard Blier, il a une petite sœur, Brigitte.

PREMIERS SOUVENIRS. « Même si mon père ne parlait pas de la guerre, même si on était à l’abri, on l’a prise en pleine gueule. Il s’était évadé d’Al­le­magne et quand il enten­dait l’as­cen­seur, il avait la trouille qu’on vienne le cher­cher. Il m’a appris la peur. On enten­dait les bombar­de­ments alle­mands sur les usines Renault et Citroën. Les soirs, dans la cave, où l’on m’avait aménagé un plumard sur des planches, mon père me prenait dans ses bras. Il y avait des gens dans les couloirs de terre battue… Je me souviens aussi de la libé­ra­tion de Paris, de mes parents avec des copains, la nuit, cousant un drapeau sur la table de la salle à manger. J’étais un môme timide, mala­dif, fragile des poumons jusqu’à la puberté. » Sa mère, Gisèle, était une surdouée du piano. « Ses mains me boule­ver­saient quand elle jouait Chopin, les valses, les nocturnes. »

NOIR. « Mon père rangeait les Balzac, les Marcel Aymé, les origi­naux de Molière, etc., dans la biblio­thèque du salon, un lieu magique. Tout ce qui parais­sait et les polars était dans ma chambre. Je n’avais qu’à choi­sir. À 12–13 ans, j’avais lu toute la Série noire. Vipère au sein, de James Hadley Chase, très effi­cace sur le mental d’un garçon ! Je dévo­rais les livres jusqu’à 3 heures du mat’, sous la couver­ture, avec une lampe de poche. Parfois mon père entrait dans ma chambre, me deman­dait : “ Tu dors ?”, je répon­dais conne­ment : “Oui”, il repre­nait « Ça te dit un coup de saucis­son dans la cuisine ? »

UN MONDE D’HOMMES. « Après le retour de l’école et le goûter, mon père m’ap­pe­lait : “Bon, tu viens, on va se faire une petite répète.” Je lui donnais la réplique en jouant les autres person­nages. » En vacances avec ses parents à Saint-Paul-de-Vence, (06) l’en­fant a le droit de regar­der les parties d’échecs entre son père et Henri- Georges Clou­zot, dans un nuage de fumée de pipes.

PREMIER CONCERT. Sidney Bechet à l’Olym­pia, en 1949. La première fois aussi que les fans cassent les sièges de la salle et passent du balcon à l’or­chestre !

FONDATION. Son premier film, à 22 ans, est une série de témoi­gnages de jeunes nés après la guerre. Pour Hitler, connais pas (1962), Bertrand Blier se rend dans des foyers de l’édu­ca­tion surveillée, de mères céli­ba­taires, des prisons. « Nombre de mes person­nages viennent de ce film qui m’a marqué à vie. Par exemple, la frigi­dité de Miou Miou dans Les Valseuses. Mon premier long-métrage de fiction, Si j’étais un espion (1967), où j’ai dirigé mon père pour la première fois, a été un désastre commer­cial. » Sa traver­sée du désert, la soli­tude le mettent devant la machine à écrire. Son roman Les Valseuses paraît en 1972.

FIN. « En 1974, le film Les Valseuses est prêt à sortir. À la fin, Miou Miou, Dewaere et Depar­dieu sont dans la DS qui perd une roue, bascule dans le ravin et explose. Il est projeté à Donald Rugoff, le distri­bu­teur améri­cain qui diffuse tous les films français d’au­teurs aux États-Unis. Un gros bonhomme très sympa. En sortant de la salle, il me dit “J’achète !” avant de me prendre dans un coin : “Mais faut pas qu’ils meurent.” J’ai changé la fin. Il avait raison. Bon, ils dispa­raissent tout de même dans un tunnel. » Le film révèle Gérard Depar­dieu et Patrick Dewaere. « Sur le tour­nage, les acteurs étaient déchaî­nés, comme les person­nages du film. Ils se soûlaient la gueule, ne dormaient pas, tout le monde couchait avec tout le monde. Il y a quand même eu une épidé­mie de morpions ! Mais j’étais prévenu. Quand mon père a joué pendant deux ans Crime parfait au théâtre, c’était un assas­sin qui rentrait le soir, à la maison… Depar­dieu, loubard agri­cole de Château­roux, est devenu mon frère, moi qui ai grandi dans le beurre. »

OSCAR. En 1979, Prépa­rez vos mouchoirs est élu meilleur film étran­ger. « Avec Dino Risi, nous avons été invi­tés au très chic déjeu­ner du Gild, le syndi­cat des metteurs en scène. Nous sommes arri­vés en limou­sine, la sienne avec un drapeau italien, la mienne avec un drapeau trico­lore. On nous a servi un verre de blanc, on se disait qu’on allait s’em­mer­der, puis on a entendu : “ hello King !” Vidor s’est pointé, puis Minnelli, puis Capra, puis Wilder ! Hyper-bonnard. Après quelques bana­li­tés, très vite ils se sont tous mis à dire du mal de Chaplin ! »

AQUAPHOBIE. « Buffet froid (1979) s’est tourné les doigts dans le nez. Il n’y a pas d’his­toire d’amour, un scéna­rio diabo­lique, des acteurs en béton armé et tout le monde bute tout le monde. » Le seul détail périlleux de cette chro­nique sur la soli­tude des cités et l’en­vie de tuer l’autre est venue de la scène finale. « Quand j’ai demandé à mon père de monter dans une barque avec Gérard [Depar­dieu, NDLR], sur une eau à 3 °C, où il allait être assas­siné ! Il avait été poussé dans l’eau, tout petit, par son grand frère, et ne savait pas nager… Des plon­geurs, sous la barque, assu­raient sa sécu­rité. Il aimait telle­ment son person­nage qu’il en a oublié sa peur. En embarquant, il s’est tourné vers moi et m’a lancé : “Tu vas quand même pas buter ton père !” Faire jouer son père ? No problem. « Le problème, c’est le talent. Faudrait être un âne pour avoir des états d’âme. »

GAMINS. « Mastroianni était l’homme le plus déli­cieux du métier. Sur le tour­nage d’Un, deux, trois, soleil, à Marseille, je l’avais emmené manger un cassou­let, qu’il adorait. Il y avait un vieux qui -dînait avec une fille très jeune, qui, de dos, était très bien roulée. Il me demande si, à mon avis, de face, c’est aussi bien. Il fait un aller retour aux toilettes et -revient le pouce vers le bas ! »

FAMILLE TUYAU DE POELE. Marié à 20 ans à Françoise, il a une première fille, aujourd’­hui âgée de 32 ans, deve­nue psycho­logue, « Béatrice, un beau prénom, choisi aussi pour faire plai­sir à mon père. » Quelques années plus tard, avec Anouk Grin­berg, il devient père de Léonard, 15 ans, aujourd’­hui. Avec sa femme actuelle, Farida, ils ont eu Leila, il y a huit ans. « Elle est fasci­née par son grand-père, qu’elle n’a jamais connu. » Celui qui n’a jamais encaissé le divorce de ses parents, ni leurs conflits a « commencé très tôt les femmes. Je n’ai pratique­ment pas été céli­ba­taire, mais je n’ai jamais été collec­tion­neur. Et j’ai divorcé comme tout le monde. J’ai une vie compliquée, écla­tée, moderne. »

(*) Sur Arte, le 12 octobre à 18 h 15. Les Valseuses, en édition collec­tor (19,99 E). Un coffret de 12 DVD sort le 14 octobre (89,99 E) StudioCa­nal.


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