Serge en 1960

Le Super-45 tours « Romantique 60 »

Érotisme discret, mélodie irrésistible, le super-45 tours «Romantisme 60» sort en janvier 1960, en même temps que le film de Doniol-Valcroze avec Bernadette Lafont et Alexandra Stewart :

Je te prendrai doucement et sans contrainte
De quoi as-tu peur allons n’aie nulle crainte
Je t’en prie ne sois pas farouche
Quand me vient l’eau à la bouche

Soulagement pour son auteur, c’est enfin son premier vrai succès avec 100 000 exemplaires vendus, un joli score, environ cinquante fois plus que ses quatre EP’s précédents.

Dans un night-club, Serge rencontre la très belle Pier Angeli, starlette hollywoodienne et ex-petite amie officielle de James Dean. Sur un bout de papier elle griffonne : «J’adore « L’eau à la bouche », ça me donne l’eau à la bouche», déjà fétichiste, Serge conservera précieusement cette relique …

Pier Angeli

Le 16 décembre 1959, en plus de «L’eau à la bouche», Serge dépose deux nouveaux titres à la SACEM : «Les nanas au paradis» et «Le cirque», deux chansons qui sont à l’époque enregistrées par Catherine Sauvage mais jamais éditées avant 1996 et l’anthologie Gainsbourg chanté par publiée par EMI France. La mélodie indistincte de la première en est peut-être la cause, tout comme ses paroles qui rappellent furieusement l’époque où il travaillait chez Madame Arthur :

Sur le cha-cha-cha
T’as de l’imagination
L’exotique c’est ça qu’est chouette
Pour l’évasion
Qu’ça peut fout ‘ s’ ils le jouent à
L’accordéon
N’ importe quoi pourvu qu’ça
Gueule y’a pas de raison
Les nanas au paradis s’envoleront

Avec un arrangement signé Goraguer, «Le cirque» aurait pu devenir autre chose qu’un amusant imbroglio, la raideur de l’ interprétation et l’absence de swing du pianiste Jacques Loussier ruinent toute ambition :

L’amant
De la femme
D’mon amant
A une femme
Qui a un amant
C’est l’amant
De la femme
De l’amant
De la femme
De mon amant

Catherine Sauvage, la grande dame de la chanson poétique, fidèle interprète de Léo Ferré mais aussi de Mac Orlan, Aragon, Boris Vian et Prévert, consacrera effectivement un super-45 tours aux chansons de Serge, mais deux ans plus tard : dans l’immédiat, ils se contentent de participer ensemble, le 9 janvier 1960, au spectacle télévisé Rive droite. Grâce à Sylvie Rivet, la musique de «L’eau à la bouche» est également choisie par Marcel Lherbier comme générique de sa nouvelle émission de télé sur le cinéma.

Le College Inn, à Montparnasse, où, seul à l’affiche, Gainsbourg se produit tous les soirs dès les premier jours de janvier et jusqu’à la fin du mois d’avril, est un cabaret très ancien, qui existait déjà dans les années 30: «Il jette tous les soirs la douche glacée d’une poésie insolite assez déconcertante», prévient un chroniqueur anonyme.

Gainsbourg s’incruste dans le circuit des cabarets parce que, depuis la Libération, c’est (mais plus pour longtemps) le passage obligé pour tous ceux qui, comme lui, cherchent à percer dans le créneau de la chanson «sérieuse» (les yé-yé, qui vont déferler dans la foulée de Johnny Hallyday – celui-ci publie son premier EP en mars 1960 -, vont complètement changer la donne).

Serge eut plus tard un commentaire désabusé à propos de ces lieux qu’ il écuma tant d’années : «Le cabaret, ce n’est pas vrai. Le public snob applaudit à tout ce qui est difficile et n’achète pas de disques. Le public du musichall applaudit ce qui est facile et achète le disque»

Le 5 mars 1960, Serge participe à la soirée de gala de l ‘Ecole supérieure de commerce au Havre (les cachets pour ce genre de prestation sont souvent confortables), le 31, il applaudit Michèle Arnaud qui se produit en vedette à Bobino (jusqu’au 12 avril) avec des chansons de Gainsbourg, Béart, Brel et Riffard.

C’est aussi vers cette époque que Gainsbourg est plaqué par Sylvie Rivet. Une dispute éclate au pied de l’église Saint-Germain-des-Prés: il se prend une paire de claques, un jour qu’il l’a trop énervée, elle qui pourtant avait jusque-là toléré beaucoup d’écarts.

Sylvie Rivet :

«Avec Serge il était très difficile d’être jaloux … On ne peut pas, il est trop drôle, il est trop vrai, il est trop sincère, moi je trouve que c’est une merveille ! Il me disait qu’il n’ allait pas rentrer trop tard et il s’amenait à 6 heures du matin en me disant : « Mais qu’est-ce que je suis con, je me suis fait embarquer par une nana, je suis vraiment un dégueulasse …  » Moi je trouvais ça rigolo et lui était dépité. Nous nous étions toujours vouvoyés à l’extérieur, ça donnait du piment au tutoiement. Il était très très beau, la photo avec le bouquet de roses, c’est le Gainsbourg que j’ai connu.»

Le 12 mai 1960, toujours accompagné par Alain Goraguer et son orchestre, Serge enregistre les quatre titres du super-45 tours Romantique 60¹ qui sort le mois suivant. A cette occasion, il plaque des paroles sur la mélodie composée six mois plus tôt pour la bande originale du film Les Loups dans la bergerie :

Viens plus près ma belle
Et ne tremble pas ainsi
Je ne te ferai aucun mal
Je ne suis pas
Le grand méchant loup aux abois
Ouh ouh ouh ouh
Cha cha cha du loup

Comme dans «L’Eau à la bouche», il incarne un séducteur qui veut rassurer sa conquête sur ses coupables intentions. N’empêche que vis-à-vis des petites pépées, il est toujours aussi grinçant :

Le ramier roucoule
Le moineau pépie
Caquète la poule
Jacasse la pie
Le chameau blatère
Et le hiboue hue
Râle la panthère
Et craque la grue
Toi toi toi …
Toi, sois belle et tais-toi

On pense au «Boum» de Charles Trenet mis au goût du jour. En face B, deux simili-rocks parfumés de rumba comme on en produisait beaucoup à l’époque. C’est drôle, c’est ringard :

Avec une gueule pareille nom de nom
Ne me manque qu’aux oreilles des pompons
Et si je marchais à croupetons
J’aurais tout du pauvre Aliboron
Laissez-moi
Laissez-moi tranquille
Laissez-moi !

Pour «Judith», Serge reprend un thème composé pour la bande originale du film L ‘Eau à la bouche ; sur un rythme de slow accéléré qui semble le mettre plutôt mal à l’aise, il égrène des paroles sans intérêt :

Judith
C’est plus fort que moi
Que veux-tu
Judith
Je n’aime que toi
Le sais-tu?

On commence à l’apercevoir régulièrement à la télévision: le 6 juin 1960, il interprète « La nuit d’octobre » (le tube avorté de son deuxième album) dans Chansons dans un fauteuil. Trois semaines plus tard, dans Discorama, il chante «Sois belle et tais-toi». Après ses cinq mois non-stop au College Inn, il prend en juin quelques jours de vacances au Touquet.

¹«Cha cha cha du loup» (du film Les Loups dans la bergerie), «Sois belle et tais-toi», «Laissez-moi tranquille» et «Judith» (du film L'Eau à la bouche).

La chanson de Prévert

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