Section socialiste de l'île de Ré
Le courage, c'est de chercher la vérité et de la dire. Jean Jaures – Psiledere@aol.com

6 juin 2008

Thales à la barre du tribunal

Filed under: 10 - Chronique de la haine ordinaire — iledere @ 4:39

Jacques Peyrat, le maire de Nie à l’époque des faits…Le procès de « l’affaire du tramway » s’ouvre ce lundi au tribunal correctionnel de Nice avec deux têtes d’affiche : Michel Josserand, ex-patron de THEC, filiale du groupe Thalès, et Dominique Monleau, ancien conseiller municipal UMP de la ville, sous-délégués aux transports. Les cinq jours d’audience pourraient bien être le théâtre du grand déballage du linge sale de Thalès.

C’est aujourd’hui, à 14 heures, que s’ouvre à Nice, et pour cinq jours, le procès de « l’affaire du tramway ». Il s’agit, en principe, de l’un de ces bons vieux scandales politico-financiers à l’ancienne, où des pots-de-vin passent des mains de monsieur Dupont, entrepreneur privé, aux poches de monsieur Durand, élu territorial, et c’est, a priori, d’une affligeante banalité – à ceci près, qui n’est pas rien, que cette fois-ci les débats, au tribunal, pourraient aussi tourner au déballage, spectaculaire, des petits (et moins petits) secrets du groupe Thales (ex-Thomson).

1. L’AFFAIRE DU TRAMWAY
Cette affaire est, en elle-même, d’une simplicité ravissante. Elle commence le jour où le groupe Thales, maître d’œuvre, par le biais de sa filiale THEC (Thalès engineering and consulting), de la construction du tramway de Nice, porte plainte pour corruption : ses dirigeants affirment avoir découvert, après enquête, que l’ancien patron de THEC, Michel Josserand, licencié au terme de cette investigation interne, aurait versé, pour obtenir ce marché d’un montant de 13 millions d’euros, des pots-de-vin à un certain Dominique Monleau, conseiller municipal, réputé proche du maire UMP de l’époque, Jacques Peyrat.

Le 6 avril 2005, six personnes sont placées en garde à vue. Parmi elles : Michel Josserand et Dominique Monleau.

Après quelques dénégations d’usage, Monleau reconnaît, assez vite et « afin », explique-t-il, « de soulager sa conscience », avoir effectivement perçu deux commissions occultes de 45.700 euros chacune. (Détail touchant : c’est un franc-maçon de la GLNF (Grande loge nationale française) qui l’a mis en relation avec Thales.)

Michel Josserand, pour sa part, se défend énergiquement d’avoir été l’instigateur de ce que la justice appellera un « pacte de corruption » : furieux d’être ainsi présenté par son ancien employeur, il estime, au contraire, être dans cette affaire un « fusible », que le groupe Thales fait « sauter » pour se protéger.

Dominique Monleau est « placé sous mandat de dépôt » le 8 avril 2005. Le lendemain, à son tour, Michel Josserand est incarcéré : il ne sera élargi que deux mois et demi plus tard, le 24 juin.

Et là, tout bascule, car Michel Josserand, qui décidément supporte mal qu’on le fasse passer pour un grand manitou de la corruption, et dont la prison n’apaise que fort peu l’irritation, décide soudain qu’il n’a pas du tout l’intention de porter seul un si grand chapeau – et se met à raconter, dans le bureau de Gilles Accomando, alors vice-procureur de la République de Nice, tout ce qu’il sait, non des affaires locales, mais de celles de Thales en France et dans le monde. Pour le dire autrement : il dégoupille, posément, un chapelet de grenades offensives dont l’explosion risque de faire des ravages, s’il se vérifie que son récit recèle ne serait-ce qu’une toute petite part de vérité.

2. UN ÉMOUVANT « CODE D’ÉTHIQUE »
Pour mieux goûter le témoignage de Michel Josserand, il faut avoir à l’esprit que les grands groupes industriels aiment à se draper de blanche éthique, lorsqu’ils font du commerce – fût-ce, notamment, celui des armes. Au sein du groupe Thales, pointure mondiale de l’électronique de défense, la draperie se présente sous la forme d’un « Code d’éthique », assez formidablement émouvant, qui énonce par exemple, que « Thales pratique un commerce loyal et respectueux des législations et pratiques en vigueur » – et veille tout particulièrement à ne jamais se laisser entraîner dans de sottes affaires de corruption, puisque « le groupe s’interdit absolument d’accorder directement ou indirectement à quelque agent public que ce soit, tout avantage indu, afin qu’il agisse ou s’abstienne d’agir, dans l’exécution de ses fonctions, en faveur du groupe Thales ».

Précision délicieuse, « le groupe Thales », très soucieux du respect de son « environnement » en général et de « la citoyenneté » en particulier, « veille au strict respect des réglementations nationales et internationales applicables dans les États où il opère » : c’est beau comme une aventure de Oui-Oui au pays joli de la déontologie.

3. UNE LONGUE DÉPOSITION
Problème : dans le bureau du vice-procureur de la République de Nice, Michel Josserand fait, au mois de mai 2005, une description moins directement idyllique des traditions commerciales de son ex-employeur.

Il remet ainsi à son interlocuteur une longue liste de marchés internationaux où Thales, dit-il, ne se serait pas toujours « interdit absolument d’accorder directement ou indirectement (…) tout avantage indu ». Pour chacun de ces marchés, un commentaire, sibyllin, dresse un état de son avancement : un projet de « centrale électrique » en Algérie n’a pas été « finalisé », une mystérieuse « étude Cape Town », en Afrique du Sud, est présentée comme « auditable par Bercy »…

Michel Josserand affirme, aussi, que la tristement célèbre affaire des frégates de Taïwan, en elle-même un peu gênante pour Thales, n’aurait pas été complètement unique en son genre. Il y avait, explique ainsi Michel Josserand le 20 mai 2005 (en fin d’après-midi), « un projet pour la sécurité des jeux Olympiques d’Athènes, en 2002 et début 2003. À ce moment-là, je me suis déplacé en Grèce et j’ai eu des contacts avec [un responsable] de Thales international en Grèce. Celui-ci m’a indiqué qu’il fallait prévoir une commission de 7 à 10 % pour [un responsable politique grec]. Et il m’a indiqué que dans le précédent marché de vente de frégates à la Grèce, un accord sur le versement de commissions était intervenu avec le même [responsable politique], et Thales a emporté le marché ».

Ce n’est pas tout – loin s’en faut. Michel Josserand ajoute à cet ahurissant inventaire que Thales aurait contourné l’embargo sur les armes à destination de l’Irak de Saddam Hussein !

Il évoque, d’abord, un « intermédiaire », Gérard Bertinetti, qui aurait aidé Thales à remporter nombre de marchés : « J’avais entendu parler de lui, mais ce n’est que lorsque j’ai rejoint THEC que j’ai commencé à travailler avec lui. J’ai travaillé avec lui de 2001 jusqu’au début 2003 et on a gagné l’affaire « Secoia » grâce à lui. « Secoia », c’était la construction d’une usine destinée à la destruction [de] munitions chimiques [de la Première Guerre mondiale] ». Puis Michel Josserand lâche sa bombe : « [Un responsable] de THEC, explique-t-il, s’est rendu à plusieurs reprises en Irak, dans le cadre des échanges « pétrole contre nourriture ». Il s’y est notamment rendu (…) à la mi-2001. Plusieurs personnes m’ont parlé en des termes assez évasifs de cette affaire, qu’ils ont appelée « Baby Food », dont la finalité était de construire une usine de fabrication de lait en poudre. D’après ce que j’ai compris cette usine n’a jamais été réalisée. [Deux salariés de Thales] m’ont fait comprendre que les livraisons étaient d’une autre nature, mais c’est vraiment [un troisième salarié du groupe] qui m’a fait comprendre que les livraisons étaient en fait des livraisons d’armes à Saddam Hussein pendant l’embargo. (…) Lorsque [Thales] a gagné l’affaire qui s’appelle « Secoia », [quelqu’un] m’a dit que nous aurions à traiter, en plus [des munitions chimiques de la Première Guerre mondiale initialement prévues] les munitions livrées en Irak qui avaient été fournies antérieurement par Thalès via SODETEG. [Un responsable] de l’affaire « Secoia » m’a aussi parlé de cette livraison ».

Naturellement, et cela doit absolument être souligné , rien ne prouve que Michel Josserand dise vrai, lorsqu’il formule ces graves accusations : il n’apporte aucune preuve.

4. « LES ALLÉGATIONS DE MONSIEUR JOSSERAND »

Le groupe Thales produit d’ailleurs, pour le démentir, cette « fiche » récapitulative, très argumentée : « LE 10 février 1975, SODETEG (devenue THEC) signe un contrat d’usine clés en main de lait en poudre avec l’administration irakienne. Dès le début les travaux se heurtent à de nombreuses difficultés (pannes, incurie du personnel local…), des experts de Nestlé sont appelés en renfort. 1985, l’usine est prête à être « recettée », les Irakiens refusent, SODETEG quitte le site et n’y reviendra plus, une plainte est déposée à la chambre de commerce internationale pour obtenir le paiement des Irakiens. 1990, la CCI condamne l’Irak à verser le reliquat du contrat ainsi que les frais de procédure. Du fait de la guerre et de l’embargo, le jugement ne sera pas appliqué. 22 janvier 1991, dans le cadre de l’opération alliée en Irak, l’usine est bombardée et fortement endommagée, cet objectif étant considéré par les services de renseignement américains comme susceptible de fabriquer des armes chimiques. 1992/1993, les Irakiens remettent en état l’usine après la fin des opérations (sans SODETEG). Juin 1994 et décembre 1998, [la mission de l’ONU en Irak] visite le site (parmi des centaines) et conclut qu’aucune trace n’a été trouvée d’une activité de ce genre, actuelle ou passée. Conclusion : SODETEG a construit une unité de production de lait entre 1975 et 1985 sous le contrôle d’experts de plusieurs sociétés spécialisées (GALLIA, NESTLÉ) il est impossible que des installations chimiques à but militaire puissent avoir échappé à l’attention de toutes ces personnes. Après 1985, SODETEG n’a plus eu d’activité sur ce site, ni pendant l’exploitation, ni à l’occasion de sa remise en état. Si l’usine « Baby Milk » avait été un centre secret de production, les Irakiens ne se seraient pas lancés dans un arbitrage de la CCI avec commission d’experts et risque de découverte d’activités secrètes ».

Conclusion du groupe Thales : « Les allégations de Monsieur Josserand sont un amalgame de rumeurs sans fondement, comme l’étaient apparemment les renseignements militaires américains en 1991 ». C’est clair, c’est net, et ça devrait clore le débat.

5. UNE TRIBUNE AU TRIBUNAL
Sauf que ce n’est pas du tout ce qui se passe.

Le témoignage explosif de Michel Josserand, pieusement recueilli à Nice, est transmis au parquet de Paris, où deux informations judiciaires sont confiées, à la fin de l’année 2005, aux juges Renaud Van Ruymbecke et Xavière Simeoni, déjà en charge de l’affaire des frégates de Taïwan : l’une, portant sur le contrat « Secoia ». L’autre, sur les marchés internationaux dont Michel Josserand affirme qu’ils ne sont pas forcément tous conformes au « Code d’éthique » de Thales.

Dans le cours de leur enquête sur « Secoia », les deux magistrats mettent la main sur un contrat stipulant que Gérard Bertinetti devait recevoir une commission représentant 1,35 % du montant de ce marché de 120 millions d’euros : preuve que l’intéressé a bel et bien fait office d’« intermédiaire », et que, par conséquent, et sur ce point précis, les « allégations » de Michel Josserand n’étaient pas complètement fantaisistes. Résultat : au tout début du mois d’avril 2008, THEC et Gérard Bertinetti sont renvoyés devant le tribunal correctionnel pour « trafic d’influence ».

Dans leur instruction du second dossier qui leur a été confié, en revanche, les juges, qui disposent notamment d’éléments relatifs à plusieurs marchés camerounais, à un marché marocain, ou encore à celui du métro du Caire, semblent se hâter fort lentement.

Michel Josserand, lui, n’a pas oublié que la justice a fait preuve de plus de célérité, pour le placer, en 2005, en détention provisoire – et commence à trouver le temps long : il est fort possible, dès lors, qu’il profite de la tribune que va lui offrir cette semaine le tribunal qui va juger l’affaire du tramway, pour demander, publiquement, où en est, au bout de trois ans, l’instruction des juges Van Ruymbeke et Simeoni.

Sébastien Fontenelle pour « bakchich »

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