Fake news, erreurs et censure... au Moyen Âge

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Alors que la loi sur les fake news a été votée à l'Assemblée, retour sur le contrôle de l'information et des idées au Moyen Âge, et les effets pervers que cela a pu provoquer...

Les dernières élections françaises, brésiliennes ou américaines ont montré à quel point les fake news étaient un problème pour la démocratie. Alors que la loi sur la propagation de ces fausses informations a été votée à l’Assemblée nationale et vont être débattue au Sénat, beaucoup s’interrogent sur les effets pervers de ce contrôle de l’information.

À la fin du Moyen Âge, c’est surtout l’Église qui a cherché à combattre les « erreurs » et à contrer leur diffusion…

Etienne Tempier et l’averrosphère

Qui dit science au Moyen Âge, dit théologie – ou philosophie (la distinction ne paraissait sans doute pas si évidente à nos ancêtres) ; et au XIIIe siècle, le Philosophe par excellence, c’est Aristote : l’Occident latin l’a découvert au siècle précédent et son enseignement joue un rôle important dans le développement de l’université de Paris.

Tant qu’il ne parle que de dialectique, l’aristotélisme ne révolutionne rien d’autre que les méthodes d’enseignement. Mais la seconde vague de traductions, par lesquelles le public découvre la Physique et la Métaphysique, est autrement plus subversive : assortis des commentaires du philosophe andalou Averroès (ibn Rushd), ces textes développent des théories fondamentalement contraires au dogme catholique, comme l’éternité du monde ou l’idée que les actions de Dieu ne sont pas entièrement libres… D’abord interdits, ces ouvrages trouvent finalement leur place dans l’enseignement de la faculté des Arts de l’Université de Paris : ce que les théologiens tiennent pour des « erreurs » y est librement étudié à partir des années 1250.

Les maîtres en théologie ravalent leur colère. Faisant pression sur l’évêque de Paris, Étienne Tempier, ils obtiennent finalement la condamnation des thèses averroïstes. En 1277, 219 « erreurs manifestes et exécrables » sont interdites à la demande du pape. Les maîtres ès arts compromis dans l’affaire sont exclus de l’université. Siger de Brabant, le plus radical d’entre eux, disparaît des sources après avoir été jugé par un tribunal d’inquisition.

Les universitaires parisiens avaient parfaitement conscience des effets néfastes de la censure sur le progrès intellectuel. Dès 1267, Roger Bacon, pourtant critique vis-à-vis de l’aristotélisme, remarquait que « ceux qui, à chaque époque, ont entravé les sources de vérité et d’utilité qui leur étaient apportées par les susdits philosophes, se sont gravement trompés ». D’ailleurs, la censure ecclésiastique n’a jamais empêché Aristote de circuler sous le manteau…

La censure entre manuscrits et imprimés

Les universitaires sensibles à l’averroïsme formaient somme toute un cercle assez restreint. Le problème devient plus sérieux avec l’invention de l’imprimerie au milieu du XVe siècle : l’Église ne tarde pas à s’y intéresser et à la promouvoir dans toute l’Europe. Cependant, au bout de quelques années, il devient évident que l’imprimerie sert à la propagation de la bonne parole… et d’« erreurs » plus ou moins nocives ! Le public s’est élargi : sans être encore dans toutes les mains, les imprimés sont largement achetés hors des universités.

La papauté réagit avec un temps de retard. En 1517, la bulle Inter solicitudines instaure le principe d’une censure ecclésiastique systématique : tout nouveau livre doit passer devant l’autorité religieuse locale avant d’être imprimé. Dans un premier temps, les grands centres d’imprimerie gardent leurs vieilles habitudes. Mais Luther va changer la donne. Quand l’Église se rend compte que les thèses de ce moine rebelle connaissent un succès réel et que des régions entières et des princes se convertissent à la Réforme, l’imprimerie tombe de plus en plus sous la coupe des autorités religieuses, mais aussi des autorités civiles qui n’ont, elles non plus, aucun intérêt à ce que des noyaux d’hérésie se propagent dans leurs États. Cela n’empêchera pourtant jamais les lecteurs de se procurer des livres interdits et certains imprimeurs de braver la censure en émigrant à Genève ou en anonymisant leurs éditions…

Que les idées professées sont vraies ou fausses, si les faits décrits relèvent de la théorie du complot ou non, la censure n’a jamais résolu le problème de la diffusion d’idées. La condamnation des autorités a au contraire plutôt contribué à donner de la visibilité aux idées censurées en les mettant sous le feu des projecteurs. Quand les promoteurs de fake news se verront victimes de la censure de l’État, qui sait si ça ne pourra pas se retourner contre la démocratie qu’on croit ainsi protéger ?

Tobias Boestad et Catherine Kikuchi

Pour en savoir plus :

- Luca Bianchi, Censure et liberté intellectuelle à l’université de Paris (XIIIe-XIVe siècles), Paris, Les Belles Lettres, 1999.

- Jacques Verger, Les universités au Moyen Âge, Paris, PUF, 1973.

- Mario Infelise, I libri proibiti. Da Gutenberg all’Encyclopédie, Rome/Bari, Laterza, 1999

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