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Textes de travail

Com­plo­tisme en géné­ral et pan­dé­mie en particulier

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Com­plo­tisme en géné­ral et pan­dé­mie en particulier

« On nous cache tout, on nous dit rien

Plus on apprend plus on ne sait rien

On nous informe vrai­ment sur rien

Adam avait-il un nombril ?

On nous cache tout on nous dit rien

(…)

L’affaire truc­muche et l’affaire machin

Dont on ne retrouve pas l’assassin

On nous cache tout on nous dit rien

On nous cache-cache et cache-tampon

Colin-maillard et tartempion

Ce sont les rois de l’information »

(Jacques Dutronc, 1967)

« Ima­gine qu’on nous ment, depuis des siècles et des siècles / Que cer­taines com­mu­nau­tés haut pla­cées connaissent les recettes / Les secrets de la vie, pas celle qu’on nous laisse voir. »

(Keny Arkana).

Quelques consi­dé­ra­tions préalables

Dans le mode de pro­duc­tion capi­ta­liste, la popu­la­tion n’est pas un fait de « nature », sa pro­duc­tion, repro­duc­tion, ges­tion et les caté­go­ries qui la consti­tuent sont le pro­duit de rap­ports de classe et de genre qui en struc­turent la mise en forme et l’évolution. Cette popu­la­tion n’existe socia­le­ment et ne se repro­duit que comme fonc­tion du capi­tal. Il n’y a pas de sub­strat intact ou pur pou­vant ser­vir de pré­fi­gu­ra­tion de quoique ce soit, il n’y pas de bon­heur ou de souf­france, de bonne santé ou de mala­die, de manière de vivre ou de mou­rir qui puissent se com­prendre autre­ment que comme une expres­sion de ces rap­ports de classe et de genre. Il faut ajou­ter, vu le sujet, que cette expres­sion sans cesse renou­ve­lée — car pro­duit his­to­rique — du rap­port de classe et de genre existe dans le quo­ti­dien de la pen­sée et de l’action pour toutes les classes, et encore plus à l’insu (mais « de leur plein gré ») de ses acteurs pour ce qui concerne les classes domi­nantes ou supérieures.

Cette repro­duc­tion n’est pas une méca­nique idéale et froide des rap­ports de pro­duc­tion met­tant en mou­ve­ment ses propres maté­riaux idéaux. Les rap­ports de classe et de genre comme rap­ports de pro­duc­tion ne se donnent pas en clair, ils existent dans une com­plexité qui peut être com­prise concep­tuel­le­ment comme un déploie­ment dyna­mique des caté­go­ries de l’exploitation (rap­port sur­tra­vail / tra­vail néces­saire) sur tous les pans de l’existence que le mode de pro­duc­tion capi­ta­liste met en mou­ve­ment de par son carac­tère total. Ainsi la popu­la­tion est pro­duite et existe bien sûr dans les rap­ports de pro­duc­tion à pro­pre­ment par­ler, mais, par là, dans l’existence quo­ti­dienne à tra­vers laquelle se consti­tue la (re)production du rap­port d’exploitation dans son ensemble comme condi­tion d’existence de ces rap­ports de pro­duc­tion stricts (à tra­vers idéo­lo­gies, pen­sées, affec­ti­vité, socia­bi­lité, loi­sirs, santé, rap­port à l’habitat, nour­ri­ture, symp­tômes, ins­crip­tion ins­ti­tu­tion­nelle, 1 ou 2 sur la carte de sécu…). lire la suite »

Faire tenir ces élé­ments appa­rem­ment dis­pa­rates ou hété­ro­gènes n’est pas l’affaire d’un Macron ou d’un lobby même puis­sant et elle n’est pas non plus le fruit du hasard ni dénuée d’intentions, de volon­tés et de déci­sions. Mais tou­jours les struc­tures dominent les indi­vi­dus ou groupes d’individus et leurs actions, pen­sées, idéo­lo­gies, etc. sont elles-mêmes l’expression de ces rap­ports de classes et de genre qu’ils pro­duisent et, les repro­dui­sant natu­rel­le­ment, qui les repro­duisent1.

Par­tons d’une idée simple, même sim­pliste.

Aucun Etat, aucune bour­geoi­sie ne fou­tra en l’air son éco­no­mie (déjà pas brillante) dans le but de ren­for­cer le « contrôle » et « l’asservissement » de la popu­la­tion ou pour favo­ri­ser les labo­ra­toires et autres Gafa. A la limite cela peut être une oppor­tu­nité mais à mani­pu­ler avec d’extrêmes pré­cau­tions par cette classe domi­nante pour en évi­ter les effets per­vers sur le tra­vail, la pro­duc­tion géné­rale, la repro­duc­tion de la force de tra­vail, la cir­cu­la­tion, la consom­ma­tion et de façon glo­bale la vie sociale quo­ti­dienne qui nour­rit le mode de production.

Pas­sons à un niveau un peu plus éla­boré, rela­tif à la méca­nique du dis­cours com­plo­tiste (ou conspi­ra­tion­niste).

  • Ne jamais accu­ser l’institution, le pou­voir, la cible en géné­ral, de « com­plot ». Ne pas employer le terme.

  • Se posi­tion­ner en avant-garde éclairée.

  • S’appuyer sur la science et la rai­son (pro­li­fé­ra­tion des notes de bas de page, réfé­rences uni­ver­si­taires abs­conses, liens hyper­textes, gra­phiques, cartes, etc.).

  • Tou­jours poser la ques­tion : « à qui pro­fite le crime ? ». Dési­gner pour chaque évé­ne­ment un res­pon­sable, une orga­ni­sa­tion (si pos­sible groupe occulte), et une cause unique. Ainsi on pour­rait dire que puisque la révo­lu­tion bol­ché­vique de 1917 a été en par­tie pos­sible dans les condi­tions de la pre­mière guerre mon­diale, le natio­na­liste serbe qui assas­si­nat l’archiduc d’Autriche à Sara­jevo était un agent de Lénine.

  • Accu­mu­ler des « détails trou­blants » en les connectant.

  • Refu­ser le hasard, ne voir que des cor­ré­la­tions néces­saires (« Savez-vous que … ? » ; « Ce n’est pas un hasard si … »)

  • S’appuyer sur l’histoire et trou­ver toutes sortes d’événements sem­blables aussi dis­pa­rates que pos­sible, mais « ressemblant ».

  • Consi­dé­rer que l’ennemi (orga­ni­sa­tions occultes, ser­vices secrets, Gold­man Sachs, etc.) ne fait jamais d’erreurs. Tout ce qui arrive est voulu et ne peut lui avoir échappé.

  • Consi­dé­rer inver­se­ment et dans le même temps que l’ennemi fait des erreurs de débu­tants (ici retour aux « détails troublants »).

  • Refu­ser la contra­dic­tion en la dis­qua­li­fiant d’office dans la mesure où elle ne peut que pro­ve­nir de sources ayant des inté­rêts liés au(x) chef(s) d’orchestre.

  • Construire le monde comme une « tota­lité expres­sive » (la tota­lité est toute entière pré­sente dans cha­cun de ses élé­ments ou cha­cune de ses par­ties). Mais, mal­heu­reu­se­ment tout le monde n’est pas Leib­niz et nous nous conten­te­rons de quelques cor­ré­la­tions abusives.

  • La tota­lité expres­sive s’exprime dans une « théo­rie des catas­trophes » (le bat­te­ment d’aile du papillon aus­tra­lien et le cyclone en Jamaïque), mais sans entro­pie puisque tout se résout dans la réa­li­sa­tion d’un but unique mûre­ment conçu.

Concluons ici : le sys­tème est clos, infal­si­fiable et téléologique.

Venons-en aux faits

Plus pré­ci­sé­ment, dans le cadre de la pan­dé­mie pré­sente, la colère d’inspiration com­plo­tiste com­porte plu­sieurs temps :

1– la colère contre cer­taines mesures sani­taires prises par les gou­ver­ne­ments et vues comme liber­ti­cides. Ces mesures sont : le port du masque – de sur­croît pour les enfants, la fer­me­ture des com­merces « non essen­tiels » avec la cri­tique molle de la divi­sion essentiel/non essen­tiel, les régle­men­ta­tions des dépla­ce­ments, le fli­cage au tra­vers des attes­ta­tions, la mise en place de l’application du gou­ver­ne­ment Stop Covid et autre ver­sion, la mise sur la touche des cher­cheurs met­tant en cause les stra­té­gies gou­ver­ne­men­tales contre l’épidémie, la mise en place d’un Conseil de défense et d’un état d’urgence pour ne pas en pas­ser par l’Assemblée, les couvre-feu, la pers­pec­tive d’une obli­ga­tion vac­ci­nale au nom de la liberté de se soi­gner mais en même temps la cri­tique du refus des auto­ri­tés médi­cales de déli­vrer sys­té­ma­ti­que­ment l’hydroxychloroquine et autres trai­te­ments anti­bio par­fois uti­li­sés, notam­ment aux USA.

2– Cette colère crée des rap­pro­che­ments avec toute une série de sources d’informations, d’intellectuels et de cher­cheurs divers et variés dont le point com­mun est de don­ner un point de vue dis­so­nant mais revan­chard vis-à-vis des intel­lec­tuels mains­tream.

3– L’explication par une volonté déli­bé­rée du gou­ver­ne­ment d’asservir les gens à tra­vers des mesures dites liber­ti­cides et de les rendre ser­viles par la peur coa­gule tous les élé­ments dis­pa­rates. La peur devient de manière géné­rale l’émotion la plus raillée et la plus avi­lis­sante pour ceux qui n’ont pas peur du covid.

4– La conclu­sion est que le gou­ver­ne­ment et les lob­bies forment une clique sur­puis­sante qui par­vient à mener en bateau les popu­la­tions abru­ties par la peur avec un virus qui existe à peine, à mani­pu­ler les chiffres, à mettre à l’arrêt l’économie dans le simple but d’asservir les popu­la­tions dès lors tout juste bonnes à engrais­ser l’industrie pharmaceutique.

Or,

- Cet atta­che­ment et cette pro­mo­tion de ces liber­tés individuelles,

- ce réflexe d’assoir la légi­ti­mité d’un point de vue par la réfé­rence à un monde d’intellectuels plus ou moins en place, mais tou­jours cou­verts de titres plus pres­ti­gieux les uns que les autres,

- cette mise en avant de l’asservissement de tous et de la peur qui les tient et à quoi cette avant-garde éclai­rée par­vient à échap­per pour por­ter vaillam­ment et contre tous les dan­gers la parole libre et non masquée,

- et enfin cette vision de la popu­la­tion comme simple chair à pâtée consom­ma­trice d’un quel­conque lobby indus­triel média­tique et pharmaceutique.

Tous ces élé­ments viennent vio­lem­ment indi­quer à quel point cette pen­sée ne peut que venir d’une caté­go­rie de la popu­la­tion dont l’existence tient tout entière dans sa capa­cité à pro­duire et repro­duire une par­tie de l’idéologie capi­ta­liste en la pre­nant au pied de la lettre. C’est-à-dire dans une ver­sion conforme et non contra­dic­toire à sa propre exis­tence qui ren­voie à la place occu­pée dans les rap­ports de production.

Le vécu de cette caté­go­rie quant à son ins­crip­tion sociale c’est :

* Un rap­port non contra­dic­toire avec la liberté indi­vi­duelle dont ils jouissent. Leur ins­crip­tion dans la com­mu­nauté du capi­tal comme société capi­ta­liste est telle que leur exis­tence d’individu isolé n’est pas contra­dic­toire avec sa dépen­dance à cette com­mu­nauté car cette dépen­dance n’existe pas avant tout comme une contrainte vio­lente mais spon­ta­né­ment comme par­tie pre­nante, comme une soli­da­ri­sa­tion totale avec ses ins­ti­tu­tions (voir plus loin sur les organes de l’appareil d’Etat). C’est l’individu isolé de la liberté et du choix que l’on a ici et non l’individu isolé dont la liberté de choi­sir se retourne immé­dia­te­ment au pire en errance, désaf­fi­lia­tion, précarité.

* Une vision nor­ma­tive de la société comme devant faire la pro­mo­tion du libre épa­nouis­se­ment indi­vi­duel, à tra­vers la liberté édu­ca­tive, la liberté sani­taire, la liberté ali­men­taire, la liberté artis­tique, avec au pire une inter­ven­tion de l’État réduite au mini­mum sur ces ter­rains qui sont ceux qui leur per­mettent de se repro­duire en tant qu’individu isolé conforme à l’idéologie capi­ta­liste. Car c’est bien l’idéal capi­ta­liste qui ren­voie à sa prise en charge pri­vée la repro­duc­tion des tra­vailleurs. Sauf que, pour le pro­lé­ta­riat, cette prise en charge pri­vée ne marche pas, pour les classes supé­rieurs non plus mais là elle s’appuie sur la pos­si­bi­lité d’un libre arbitre réel­le­ment vécu. C’est grâce à cette assu­rance et à cette homo­gé­néité sans reste de la repro­duc­tion que cette pen­sée peut dénon­cer l’intervention de l’État comme un sys­tème tota­li­taire et mensonger.

Ce libre épa­nouis­se­ment de l’individu dans la société fait face à l’appartenance de classe comme contrainte inté­rio­ri­sée qui est effec­ti­ve­ment liber­ti­cide dans son fon­de­ment contrac­tuel d’achat-vente de la force de tra­vail libre. C’est ainsi que le chan­tage de reti­rer ses enfants de l’école, ou de s’opposer à une poli­tique sani­taire, n’existe que pour des gens dont l’affiliation sociale est non seule­ment garan­tie dans les faits mais aussi dans l’adhésion pleine à l’idéologie du contrat social capi­ta­liste et dans la fonc­tion qu’ils ont de ciment dans la repro­duc­tion des rap­ports sociaux capi­ta­liste. Cer­tains peuvent se per­mettre de mena­cer de reti­rer leurs enfants de l’école quand d’autres savent que les rem­parts à une mise au ban de l’école répu­bli­caine s’amenuisent par manque de moyens, de maî­trise de la « carte sco­laire » et/ou au tra­vers du pas­sage des poli­tiques d’intégration à celles lut­tant contre la « radi­ca­li­sa­tion » et le « séparatisme ».

Cette vision des popu­la­tions comme masses abru­ties de consom­ma­teurs cap­tifs des lob­bies vient dire à quel point ceux qui la portent sont à la fois idéo­lo­gi­que­ment domi­nants, inutiles pro­duc­ti­ve­ment, et du coup idiots au point qu’ils peuvent être aveugles au fait que c’est le tra­vail pro­duc­tif qui est au fon­de­ment du monde qu’ils célèbrent en creux au tra­vers de leurs dénonciations.

Il faut avoir un cer­tain rap­port à l’existence pour pré­tendre que la peur est un frein comme si elle était un choix. Il faut ne rien tra­ver­ser des méandres plus ou moins vio­lents et « pié­geux » de l’appartenance de classe pour n’y voir qu’une ques­tion de mani­pu­la­tion idéo­lo­gique. Enfin il faut pou­voir vivre une exis­tence oua­tée où s’indigner cherche à se faire pas­ser pour de la lutte sociale pour pen­ser que la peur empêche de penser.

Arri­vons à la rai­son d’être externe de l’idéologie com­plo­tiste.

La société est décom­po­sée en une somme d’éléments dis­crets, sépa­rés et indé­pen­dants : tra­vail, édu­ca­tion, santé, sala­riat, consom­ma­tion, loi­sirs, inti­mité, famille, rap­ports amou­reux, etc., tels qu’ils sont actuel­le­ment. Il faut consi­dé­rer ensuite que ces élé­ments et fonc­tions tels qu’ils sont pré­sen­te­ment ne s’organiseraient pas tels qu’ils le devraient de par l’activité, les pra­tiques, les inten­tions, la mani­pu­la­tion, la publi­cité et les inté­rêts mal­veillants d’un cer­tain nombre d’individus for­mant une caste incluant les banques, les grands patrons, les médias, les labo­ra­toires phar­ma­ceu­tiques, les gou­ver­ne­ments non en tant qu’Etat mais comme bande orga­ni­sée. En un mot : les élites. L’ordre éma­nant spon­ta­né­ment de ces élé­ments est une ver­sion cor­rom­pue de l’ordre nécessaire.

Le com­plo­tisme fonc­tionne sur une concep­tion de l’Etat assez banale, fon­da­trice de l’idéologie juri­dique et démo­cra­tique, mais qui est notre lot de tous les jours. Il y aurait d’une part le pou­voir d’Etat, de l’autre l’appareil d’Etat ou la « machine d’Etat » comme la désigne Marx. Le pro­blème réside en ce que l’appareil d’Etat qui maté­ria­lise dans ses organes, leur divi­sion, leur orga­ni­sa­tion, leur hié­rar­chie, le pou­voir d’Etat d’une classe (et une seule) est à la fois orga­ni­sa­tion de la classe domi­nante (comme pou­voir d’Etat détenu par la frac­tion momen­ta­né­ment hégé­mo­nique de la classe domi­nante pour le compte de l’ensemble de cette classe) et orga­ni­sa­tion de toute la société sous la domi­na­tion de cette classe. Mais, si d’un côté, l’Etat du mode de pro­duc­tion capi­ta­liste réa­lise com­plè­te­ment la fusion de ces deux fonc­tions2, de l’autre il devient la néces­sité « natu­relle » de toute repro­duc­tion sociale. Alors que ce sont leur divi­sion même et leur sépa­ra­tion fon­da­men­tale (réelle et idéo­lo­gique) des rap­ports de pro­duc­tion qui en font les organes d’un appa­reil d’Etat néces­sai­re­ment appa­reil de classe (voir Marx, La Guerre civile en France), tous les organes de l’appareil d’Etat (armée, police, admi­nis­tra­tion, tri­bu­naux, par­le­ment, bureau­cra­tie, édu­ca­tion, aide sociale, infor­ma­tion, par­tis, syn­di­cats, etc.) n’apparaissent plus que comme des ins­tru­ments pliables à la volonté de ceux qui en sont les maîtres. De cette double fonc­tion de l’appareil d’Etat (non pas deux fonc­tions, mais fonc­tion double) comme dic­ta­ture d’une classe et repro­duc­tion de toute la société naissent à la fois leur fusion et la neu­tra­lité des organes. Pour le com­plo­tiste, répon­dant par là à la pen­sée spon­ta­née, ces organes sont neutres et non, dans leur exis­tence même et leur forme, ceux d’une dic­ta­ture de classe. En consé­quence, s’ils ne fonc­tionnent pas « comme ils devraient », comme un « ser­vice public », comme un « bien com­mun », c’est qu’ils sont pré­emp­tés, détour­nés et per­ver­tis par une clique, une caste. Le com­plo­tiste est le citoyen idéal.

Repo­sant sur cette concep­tion « natu­relle » de l’Etat, le com­plo­tisme n’est pas la « psy­cho­pa­tho­lo­gie de quelques éga­rés », il est le « symp­tôme néces­saire de la dépos­ses­sion poli­tique » et de la « confis­ca­tion du débat public ». Il répond à la « mono­po­li­sa­tion de la parole légi­time » par les « repré­sen­tants » assis­tés des « experts », toute cri­tique devient une aber­ra­tion men­tale immé­dia­te­ment dis­qua­li­fiée comme « com­plo­tiste ». Il est vrai que si le com­plo­tisme est devenu le nou­vel indice du cré­tin, c’est qu’il est le nou­veau lieu com­mun de la bêtise jour­na­lis­tique et de nom­breux phi­lo­sophes et socio­logues qui se gardent tout de même d’épingler un pré­sident de la Répu­blique sou­te­nant que les Gilets Jaunes sont le résul­tat d’une manœuvre mos­co­vite (Le Point février 2019). Lor­don qui revient régu­liè­re­ment sur le sujet dans Le Monde diplo­ma­tique résume la chose : « Mais plus encore que la dépos­ses­sion, le conspi­ra­tion­nisme, dont les élites font le signe d’une irré­mé­diable mino­rité, pour­rait être le signe para­doxal que le peuple, en fait, accède à la majo­rité puisqu’il en a soupé d’écouter avec défé­rence les auto­ri­tés et qu’il entre­prend de se figu­rer le monde sans elles. » (Diplo, juin 2015).

Le com­plo­tisme ne serait pas un sys­tème de réponses avec ses déter­mi­na­tions sociales propres mais une simple réac­tion jus­ti­fiée néga­ti­ve­ment. Cela ne peut suf­fire, il faut sai­sir la nature de la « réac­tion » posi­ti­ve­ment comme un sys­tème de réponses adé­quat à ce qui le pro­voque.

Le com­plo­tisme appa­rait alors comme une contes­ta­tion de l’ordre domi­nant, presque comme une lutte de classe. Mais il n’en est rien. De même que l’antisémitisme était le socia­lisme des imbé­ciles, le com­plo­tisme est la lutte des classes des experts en exper­tises qui ne se situent pas n’importe où, ni dans la société, ni dans l’éventail politico-idéologique.

La « réponse com­plo­tiste » veut exac­te­ment le même monde, le même Etat, mais débar­ras­sés de la « caste » : il se « figure le monde sans elle ». Il s’agit seule­ment de conser­ver tous les élé­ments de cette société en les sous­trayant aux pra­tiques de ces indi­vi­dus « mal­veillants » et « mani­pu­la­teurs » qui les per­ver­tissent et les cor­rompent. Un vrai sala­riat, une vraie édu­ca­tion, une vraie poli­tique de santé, une vraie démo­cra­tie, une vraie infor­ma­tion, une vraie agri­cul­ture, une vraie consom­ma­tion, une vraie éco­no­mie, un vrai Etat.

Le com­plo­tisme cri­tique tout, en dési­rant que ce qui existe devienne « vrai ». Mais en conce­vant son objet comme « face obs­cure » et détour­ne­ment démo­niaque, cette cri­tique fait de cet objet un simple acci­dent de ce même monde. Elle affirme par là ne sou­hai­ter que la pour­suite du monde tel qu’il est. Le tout de ce qui existe pour­rait être si beau s’il n’était pas mani­pulé, détourné. La classe domi­nante, sa repro­duc­tion, ses pra­tiques, la pour­suite de ses inté­rêts, la pro­duc­tion idéo­lo­gique ne sont plus le pro­duit natu­rel de tous les rap­ports sociaux que le com­plo­tiste veut conser­ver, mais le fait d’une bande de mal­frats cher­chant à nous prendre pour des imbé­ciles. Le com­plo­tiste est un malin et on ne la lui fait pas, il est expert en tout. Il est remar­quable de consta­ter (il y a eu quelques études là-dessus) que le com­plo­tisme affecte en pre­mier lieu une classe moyenne diplô­mée, celle qui aime son « esprit cri­tique », s’en vante et le porte par­tout en ban­dou­lière. Pour ceux qui vivent quo­ti­dien­ne­ment toutes les humi­lia­tions et la misère des rap­ports sociaux capi­ta­listes, les « com­plots » visant à asser­vir notre liberté à nous contrô­ler n’ont guère de sens. Il faut aimer ce monde pour ne pas vou­loir qu’il nous mente.

Pour­quoi cet écho général

Ce qui pré­cède est une petite ana­lyse du dis­cours com­plo­tiste comme dis­cours cri­tique venant d’une par­tie, se consi­dé­rant comme délais­séée, des caté­go­ries domi­nantes de la popu­la­tion sur la ges­tion éta­tique et plus lar­ge­ment sur le monde envi­ron­nant. Une fois cela fait, la vraie ques­tion impor­tante est celle de savoir pour­quoi actuel­le­ment cette cri­tique est prise en charge ou relayée par une frange impor­tante des classes pro­lé­taires. D’où vient cette volonté de « sau­ve­tage » de l’État capi­ta­liste et pour­quoi n’y a-t-il pas actuel­le­ment d’autres dis­cours cri­tiques propres à des franges du pro­lé­ta­riat qui portent.

Nous n’apporterons pas de réponse, seule­ment quelques indices dont cer­tains par­sèment déjà ces notes.

Il y a dans le com­plo­tisme des briques qui rap­pellent le démo­cra­tisme radi­cal : la com­mu­nauté des citoyens dans l’Etat comme forme concrète et par­ti­ci­pa­tive de leur com­mu­nauté d’individus iso­lés. Mais la situa­tion a changé depuis les années 1990 et le début des années 2000.

Dans le capi­ta­lisme issu de la restruc­tu­ra­tion des années 1970 / 1980, la repro­duc­tion de la force de tra­vail a été l’objet d’une double décon­nexion. D’une part décon­nexion entre valo­ri­sa­tion du capi­tal et repro­duc­tion de la force de tra­vail, d’autre part, décon­nexion entre la consom­ma­tion et le salaire comme revenu.

La rup­ture d’une rela­tion néces­saire entre valo­ri­sa­tion du capi­tal et repro­duc­tion de la force de tra­vail brise les aires de repro­duc­tion cohé­rentes dans leur déli­mi­ta­tion natio­nale ou même régio­nale. Ce dont il s’agit c’est de sépa­rer, d’une part, repro­duc­tion et cir­cu­la­tion du capi­tal, et d’autre part, repro­duc­tion et cir­cu­la­tion de la force de tra­vail.

Comme iden­tité d’une crise de sur­ac­cu­mu­la­tion et de sous-consommation, la crise de 2008 fut une crise du rap­port sala­rial qui est deve­nue crise de la société sala­riale en met­tant en mou­ve­ment toutes les couches et classes de la société qui vivent du salaire. Par­tout, avec la société sala­riale, il s’agit de poli­tique et de dis­tri­bu­tion. Comme prix du tra­vail (forme fétiche), le salaire en appelle à l’injustice de la dis­tri­bu­tion, c’est nor­mal. L’injustice de la dis­tri­bu­tion a un res­pon­sable qui a « failli à sa mis­sion » : l’Etat. L’enjeu qui est alors posé est celui de la légi­ti­mité de l’Etat vis-à-vis de sa société. Le pro­lé­ta­riat par­ti­cipe à tout cela, sa propre struc­tu­ra­tion comme classe l’embarque.

Dans la crise de la société sala­riale, les luttes qui se déroulent autour de la dis­tri­bu­tion désigne l’Etat comme le res­pon­sable de l’injustice. Cet Etat, c’est l’Etat déna­tio­na­lisé, tra­versé par et agent de la mon­dia­li­sa­tion. A l’inverse de la « déna­tio­na­li­sa­tion » les poli­tiques key­né­siennes rele­vaient d’un « natio­nal inté­gré » : com­bi­nai­son d’économie natio­nale, de consom­ma­tion natio­nale, de for­ma­tion et édu­ca­tion de main-d’œuvre natio­nale et maî­trise de la mon­naie et du cré­dit. Dans la « période for­diste », l’Etat était en outre devenu « la clé du bien-être », c’est cette citoyen­neté qui a foutu le camp dans la restruc­tu­ra­tion des années 1970 et 1980. Si la citoyen­neté est une abs­trac­tion, elle réfère à des conte­nus bien concrets : plein emploi, famille nucléaire, ordre-proximité-sécurité, hété­ro­sexua­lité, tra­vail, nation. C’est autour de ces thèmes que dans la crise de la société sala­riale se recons­truisent idéo­lo­gi­que­ment les conflits de classes et la délé­gi­ti­ma­tion de tous les dis­cours offi­ciels. La citoyen­neté devient alors l’idéologie sous laquelle est menée la lutte des classes.

Au pre­mier abord, cette délé­gi­ti­ma­tion et cette idéo­lo­gie citoyenne (car le com­plo­tiste est l’archétype du bon citoyen) sont cri­tiques, mais seule­ment dans la mesure où elles sont le lan­gage de la reven­di­ca­tion dans le miroir que lui tend la logique de la dis­tri­bu­tion et de la néces­sité de l’Etat. Les pra­tiques qui opèrent sous cette idéo­lo­gie sont effi­caces parce qu’elles ren­voient aux indi­vi­dus une image vrai­sem­blable et une expli­ca­tion cré­dible de ce qu’ils sont et de ce qu’ils vivent, elles sont consti­tu­tives de la réa­lité de leur vie quo­ti­dienne. La recons­truc­tion idéo­lo­gique des conflits de classes devient le peuple face aux élites qui mono­po­lisent la parole légi­time (ce qui a tou­jours été le cas), mais une parole qui ne fait plus sens. Le conflit mute en conflit cultu­rel se menant au nom de valeurs : l’artifice et le men­songe contre l’authenticité et la vérité (celle qu’on nous cache, comme le chan­tait iro­ni­que­ment déjà Dutronc et bête­ment aujourd’hui Arkana).

Ce qui, dans le com­plo­tisme, se joue de façon tota­le­ment per­verse comme « conflit » c’est le rap­port de l’Etat, de tous ses appa­reils idéo­lo­giques, de la classe domi­nante dans son ensemble à sa société. Dans la crise des Etats et de tous leurs appa­reils vis-à-vis de leur société, le dis­cré­dit social dans lequel ce rap­port est tombé confère au com­plo­tisme un écho géné­ral. De façon tota­le­ment per­verse, car le fonc­tion­ne­ment même du com­plo­tisme sup­pose de vou­loir conser­ver cette société telle quelle. Cela, dans la mesure où la classe domi­nante ne serait qu’une élite para­si­taire se main­te­nant par le men­songe, et non, comme classe domi­nante, la néces­sité même de cette société et de tous ses rapports.

Que les prin­ci­pales firmes de Wall Street s’adressent à l’agence de régu­la­tion du mar­ché des capi­taux aux Etats-Unis pour obte­nir la modi­fi­ca­tion d’une loi ou un avan­tage quel­conque, ce n’est pas un « com­plot », même si l’action est concer­tée et dis­si­mu­lée. Que les repré­sen­tants éco­no­miques géné­raux de la classe capi­ta­liste amé­ri­caine (et mon­diale) s’adressent aux repré­sen­tants géné­raux de la léga­lité de la même classe, ce n’est pas un « com­plot », c’est l’Etat. Ou alors on ima­gine que l’Etat est ou devrait être « autre chose ». A la place des rap­ports sociaux capi­ta­listes (que l’on veut conser­ver), il n’y aurait qu’un petit nombre d’hommes cyniques qui assoient leur domi­na­tion et leur exploi­ta­tion du « peuple » par une repré­sen­ta­tion faus­sée du monde qu’ils ont ima­giné pour s’asservir les esprits. Il faut au com­plo­tisme cette concep­tion sim­pliste de l’idéologie, du mode de pro­duc­tion et de l’Etat pour être ce qu’il est : l’apologie et la conser­va­tion des condi­tions d’existence actuelles. Mal­heu­reu­se­ment, ou heu­reu­se­ment, comme pra­tique quo­ti­dienne, l’idéologie est autre chose : la pra­tique de sujets qui, en tant que tels, peuvent s’imaginer trom­pés et l’être (ce qui va de soi pour un sujet). Le mode de pro­duc­tion, autre chose que la recherche du « pognon maxi­mum ». L’Etat, au tra­vers de ses appa­reils, autre chose qu’une « clique ».

Le com­plo­tisme est une approche glo­bale de la société. Pour répondre à la ques­tion de la géné­ra­lité de son écho, nous ne pré­sen­tons ici que des indices et des pistes, des élé­ments de com­pré­hen­sion qui ne cherchent qu’à poser « cor­rec­te­ment » la question.

Concluons (momen­ta­né­ment)

Les manœuvres, les intrigues, les coups tor­dus du billard à trois bandes existent mais n’expliquent rien, ils néces­sitent eux-mêmes d’être expli­qués comme évé­ne­ments his­to­riques inter­sti­tiels. En his­toire, le com­plo­tisme n’aime pas la « longue durée ». Davos est une arène déci­sive de la mon­dia­li­sa­tion, mais c’est la mon­dia­li­sa­tion qui a fait Davos et non l’inverse. Si, contrai­re­ment à ce que nous disent Marx et Engels dans les pre­mières pages de L’Idéologie alle­mande, le « monde » n’est pas un « livre ouvert », c’est que sa com­pré­hen­sion néces­site la pro­duc­tion de concepts et non parce qu’il dis­si­mule une cor­po­ra­tion, une caste de chefs d’orchestre et d’Illu­mi­nati.

T – R.S

Jan­vier 2021

1 Pour anec­dote sur ces consi­dé­ra­tions sur la popu­la­tion, durant ces vacances de la Tous­saint 2020, deux évè­ne­ments mar­quants – le deuxième confi­ne­ment et l’assassinat de Samuel Paty — ont mis en scène deux types d’agents fon­da­men­taux dans cette repro­duc­tion des caté­go­ries de la popu­la­tion que sont les parents :

- Ceux s’indignant contre la volonté d’asservir et de déshu­ma­ni­ser leur pro­gé­ni­ture au tra­vers du port du masque à l’école à par­tir de 6 ans – mena­çant de ne plus mettre leurs enfants à l’école ;

- D’autres pour qui la prio­rité était de défendre en déses­poir de cause la confor­mité de leur pro­gé­ni­ture avec l’école répu­bli­caine au tra­vers d’une urgence à faire entendre à leurs enfants — disons issus de l’immigration — l’interdit de parole, de réac­tion, de réfé­rence, à l’assassinat du prof à la ren­trée sco­laire, au risque d’une exclu­sion et de mise à l’amende ins­ti­tu­tion­nelle et finan­cière des familles concernées.

2 En cela, il dif­fère de l’Etat féo­dal ou d’ « Ancien régime ».

Textes de travail

Note sur le mou­ve­ment des gilets jaunes

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Voici un texte de tra­vail au sujet du mou­ve­ment en cours.
En page 2, nous avons mis le texte
“Une séquence par­ti­cu­lière” dont il est ques­tion dans cette note.
En page 3, des extraits per­ti­nents ici de
“Mr Le pen et la dis­pa­ri­tion de l’identité ouvrière“
Les com­men­taires, ajouts, apports divers sont les bienvenus!!

LA FRANCE QUI ROULE DES CLOPES ET FUME AU DIESEL
(Elle fait aussi griller des mer­guez et appré­cie « le jaune », pas seule­ment en gilet)

Ce n’est pas que le mou­ve­ment dit des « gilets jaunes » n’apporte rien de nou­veau, mais si on relit Une séquence par­ti­cu­lière (TC 25), la grille d’analyse pos­sible du mou­ve­ment dit des « gilets jaunes » est déjà en quasi tota­lité pré­sente : le pas­sage de la crise du rap­port sala­rial à celle de la société sala­riale ; la délé­gi­ti­ma­tion de l’Etat res­pon­sable de l’injustice (que ren­force la fis­ca­lité) ; le peuple et le popu­lisme (dont il fau­drait redon­ner la défi­ni­tion, voir texte Le Pen, TC 18 et livre sur l’Iran) ; le local, les élites, les riches et les pauvres, le peuple avec sa culture et sa « com­mon décency ». Cer­tains para­graphes de ce texte sont même qua­si­ment « pré­mo­ni­toires » (Le ter­ri­toire et le local, TC 25, pp.42 – 43 et la syn­thèse p.50). C’est bien sûr de la nature même de la crise qu’il fau­drait par­tir : iden­tité crise de sur­ac­cu­mu­la­tion et crise de sous-consommation, le rap­port sala­rial : TC 25, p.38 et ailleurs.

L’interclassisme découle évi­dem­ment de ces pré­misses (pas­sage du salaire comme rap­port de pro­duc­tion au salaire comme rap­port de dis­tri­bu­tion ; l’injustice sociale via le fisc dont le res­pon­sable est l’Etat), mais nous devons obser­ver que notre approche habi­tuelle des classes moyennes (je pré­fé­re­rais le sin­gu­lier voir texte dans TC 25, p.84) dites « nou­velles » ne colle pas vrai­ment avec le mou­ve­ment actuel dans lequel on voit plu­tôt des com­mer­çants, des arti­sans, des patrons rou­tiers, des membres des pro­fes­sions libé­rales « infé­rieures ». (suite page 2)

Le petit patro­nat repré­sente idéa­le­ment cette récon­ci­lia­tion du tra­vail res­pec­table et du capi­tal mérité, s’épanouissant dans le cadre de la nation, sociale et fami­liale. Mal­heu­reu­se­ment, si c’est un idéal c’est que c’est aussi une réa­lité. La moi­tié des ouvriers tra­vaillent dans le cadre d’une petite, voire d’une toute petite entre­prise, on pour­rait dire que ce n’est pas le nombre qui compte mais la place dans la com­po­si­tion de la classe ouvrière par rap­port aux dyna­miques capi­ta­listes en cours, or, de ce point de vue, force est de consta­ter que cet écla­te­ment n’est pas archaïque. Comme leur patron, ces ouvriers sont sou­vent sou­mis à la pres­sion directe de la clien­tèle qu’elle soit pri­vée ou celle d’entreprises plus impor­tantes, celui qui appa­raît comme aggra­vant les condi­tions de tra­vail, for­çant à tenir les salaires, c’est tout autant le patron que le client impé­rieux. A de nom­breux égards, le « point de vue ouvrier » fait sou­vent corps avec celui du patron : ils dénoncent avec lui, les délo­ca­li­sa­tions, la mon­dia­li­sa­tion de la concur­rence, l’envolée des reve­nus « indus » du capi­tal finan­cier, la pres­sion des banques et fina­le­ment le poids des charges sociales et des règle­ments. Non seule­ment le petit patron for­ma­lise le mou­ve­ment popu­liste, mais encore les petits patrons sont spé­ci­fi­que­ment mis en mou­ve­ment en tant que caté­go­rie sociale dont le pou­voir éco­no­mique et poli­tique est atta­qué. Les condi­tions actuelles de la crise retra­vaillent la tra­di­tion de l’extrême droite (tra­vail, famille, patrie, racisme) pour pro­duire les thèmes du popu­lisme : jus­tice éco­no­mique, com­mu­nauté natio­nale, res­pec­ta­bi­lité du tra­vail, répu­blique et sou­ve­rai­neté ren­due au peuple. Le popu­lisme du tra­vail res­pec­table et du capi­tal mérité doit se prou­ver comme la repré­sen­ta­tion en acte de la « com­mu­nauté du peuple », et cela en pro­dui­sant le peuple contre l’ « impo­pu­laire », le « non-citoyen » : la finance, les élites poli­tiques de la démo­cra­tie repré­sen­ta­tive, les bobos des centre villes et les grands capi­taines d’industrie d’un côté ; les « pro­fi­teurs du Wel­fare », les « assis­tés », dont les immi­grés et leurs des­cen­dants sont d’autant plus le para­digme qu’ils appa­raissent comme liés à la mondialisation.

Le rap­pro­che­ment avec le pou­ja­disme des années 1950 est cepen­dant un fan­tasme. Le pou­ja­disme était clai­re­ment orga­nisé autour de ces pro­fes­sions, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, leur poids social était incom­pa­rable avec ce qu’il est actuel­le­ment. Tout le contexte social, éco­no­mique et poli­tique était dif­fé­rent. La réfé­rence au pou­ja­disme n’est là que pour évi­ter toute ques­tion gênante sur l’interclassisme et pour jus­ti­fier un juge­ment a priori.

Pour évi­ter tout nor­ma­ti­visme, il faut évi­ter de juger le mou­ve­ment sur ce qu’il ne fait pas ou « mal ». C’est en déga­geant les dyna­miques à l’œuvre, en mon­trant ce que nous dit un mou­ve­ment de là où nous en sommes dans la crise qu’on le juge et qu’on se posi­tionne, non à par­tir d’une idée tou­jours déjà là de la révo­lu­tion et de la bonne lutte de classe. Pre­nons garde, nous serons jugés comme nous avons jugé (Mat­thieu 7 : 2).

C’est un mou­ve­ment qui se réclame du tra­vail, le vrai, celui qui assure la dignité face aux têtes d’œuf et autres para­sites qui dirigent l’Etat. Le mou­ve­ment ne cherche pas à « blo­quer le tra­vail » ni « l’économie » et quand cela arrive, les gilets jaunes s’en excusent. Ce n’est pas leur but, juste un moyen, l’économie n’est pas leur ennemi. On ne peut pas repro­cher aux gilets jaunes de ne pas faire (ou inver­se­ment les féli­ci­ter de faire) ce qu’ils n’ont pas l’intention de faire (c’est un peu à quoi se résume les quelques textes ou notes en cir­cu­la­tion). Ce qui n’empêche pas que centres com­mer­ciaux, grandes entre­prises de trans­port, ronds points stra­té­giques sont bel et bien sérieu­se­ment per­tur­bés (les ten­ta­tives autour des raf­fi­ne­ries et dépôts pétro­liers paraissent vel­léi­taires et ne pas fonctionner).

Le pro­blème que ren­contre la cri­tique de l’interclassisme est sou­vent de croire que les classes en pré­sence forment sim­ple­ment une somme, qu’elles s’additionnent tout en demeu­rant des élé­ments dis­crets bien défi­nis et déli­mi­tés en eux-mêmes, que fina­le­ment l’interclassisme ne les affecte pas, que l’action n’existe pas. C’est bien à par­tir de ses inté­rêts propres que chaque com­po­sante se retrouve dans le mou­ve­ment, mais l’interclassisme est alors pour cha­cun de façon interne, le cours de son action propre. L’interclassisme n’est pas une addi­tion mais la résul­tante de ces inté­rêts propres inté­rieu­re­ment affec­tés par leur coexis­tence, se fon­dant dans une reven­di­ca­tion com­mune. Il ne suf­fit pas de consta­ter l’interclassisme et d’en faire une condam­na­tion sans appel, il faut dire chaque fois spé­ci­fi­que­ment les condi­tions de son exis­tence, non seule­ment par exi­gence intel­lec­tuelle mais avant tout pour se posi­tion­ner dans son appréhension.

Dans le cas pré­sent, la reven­di­ca­tion com­mune porte sur le niveau de vie et plus pré­ci­sé­ment, à l’intérieur de ce qui l’affecte, l’ensemble des dépenses contraintes et parmi elles, celle que tout le monde désigne comme « la goutte d’eau qui a fait débor­der le vase » : l’augmentation du prix des car­bu­rants (prin­ci­pa­le­ment le gazole). La ques­tion est celle du niveau de vie, des reve­nus. Mais cette ques­tion ne demeure pas une ques­tion éco­no­mique, elle devient immé­dia­te­ment poli­tique. Les taxes, les impôts, c’est l’Etat. C’est dans cette immé­diate muta­tion de l’économie en poli­tique que l’interclassisme trouve sa forme qui le défi­nit et le conforte. La résul­tante n’est jamais socia­le­ment neutre mais consacre dans l’interclassisme, l’hégémonie d’une de ses com­po­santes : les arti­sans et petits patrons qui fédèrent le « peuple ».

Pour pla­gier Marx dans les Gloses sur le roi de Prusse et la réforme sociale : c’est « une révolte éco­no­mique à âme poli­tique ». Et l’on retrouve ici la ques­tion de la légi­ti­mité de l’Etat. L’ « âme poli­tique » d’une révolte éco­no­mique consiste dans la ten­dance des classes sans influence poli­tique de mettre fin à leur iso­le­ment de l’Etat et du pou­voir. Mettre fin à cet iso­le­ment, c’est pro­mou­voir le peuple et pro­cla­mer celui-ci comme étant immé­dia­te­ment l’Etat. Le popu­lisme, à peu de choses près, n’est rien d’autre (cf. Appel de St Nazaire).

Même s’il s’agit de niveau de vie et de revenu (voir Une séquence par­ti­cu­lière, la pré­do­mi­nance des rap­ports de dis­tri­bu­tion en rai­son même de la nature de la crise, c’est tou­jours de là qu’il faut par­tir), ce ne sont pas les plus pauvres qui sont sur les ronds points. L’âme poli­tique du mou­ve­ment, ce qui consti­tue la fusion inter­clas­siste, les en exclut. Trans­mu­ter la reven­di­ca­tion éco­no­mique en « iso­le­ment » vis-à-vis de l’Etat (il fal­lait que l’Etat déna­tio­na­lisé en arrive à sa propre cari­ca­ture dans la figure de Macron, il ne faut pas sous-estimer l’impact des petites phrases du Pré­sident et de ses aco­lytes) est le fait de ceux qui s’estiment lésés par cet iso­le­ment dans leur tra­jec­toire sociale et se consi­dèrent en mesure d’y remédier.

S’il est exact que le mou­ve­ment est pour l’instant bien repré­senté dans ce que l’on appelle la « France péri­phé­rique » (Chris­tophe Guilluy), cette « France » ne se confond pas, contrai­re­ment aux thèses de Guilluy avec la France pauvre (si Zemour reprend les thèses de Guilluy, il fait bien atten­tion de s’en dis­tin­guer sur ce point pour faire de cette « révolte » avant tout un phé­no­mène iden­ti­taire, ce qui existe chez Guilluy mais « secon­dai­re­ment »). Cette « France péri­phé­rique » n’est pas glo­ba­le­ment à l’écart des flux et des oppor­tu­ni­tés de la mon­dia­li­sa­tion. La « France péri­phé­rique » est avant tout une for­mule per­for­ma­tive qui fait exis­ter ce qu’elle est cen­sée dési­gner : c’est-à-dire une popu­la­tion (ouvriers comme petits patrons et arti­sans) subor­don­née aux acti­vi­tés des prin­ci­pales métro­poles et se dis­tin­guant des ban­lieues. De l’ouvrier au petit patron, l’affiliation à ces flux, emplois et oppor­tu­ni­tés est aléa­toire et peut constam­ment être remise en ques­tion. Les trans­ports et la mobi­lité dépen­dante de l’automobile sont essen­tiels face à cette pré­ca­rité de l’affiliation. Face aux métro­poles des élites boboi­sées et des ban­lieues immi­grées, cette « France » devient l’emblème du vrai tra­vail et du com­bat pour le conser­ver qui en fait une valeur, du peuple et de la Nation. C’est en se disant « péri­phé­rique » que le peuple devient « « authen­tique ». On ne peut négli­ger la dimen­sion et la sur­dé­ter­mi­na­tion ter­ri­to­riale des pra­tiques de classes et des alliances que cette dimen­sion peut engen­drer (pas tou­jours en subor­don­nant la classe ouvrière, cf. les Ardennes à la fin des années 1970). Cette dimen­sion est consti­tu­tive du mou­ve­ment des gilets jaunes, mais il faut la consi­dé­rer pour ce qu’elle est.

Quand la mobi­lité, donc la ter­ri­to­ria­lité, joue un rôle dans les luttes, le rap­port social qui struc­ture la lutte et défi­nit les enjeux n’est pas le capi­tal ou le tra­vail sala­rié mais la pro­priété fon­cière régis­sant l’aménagement de l’espace. L’interclassisme est le symp­tôme de ce rap­port social de pro­duc­tion. En effet, parce que c’est la pro­priété fon­cière qui les struc­ture et se pose elle-même comme leur enjeu, les luttes de classes comme luttes sur l’aménagement urbain ou l’aménagement du ter­ri­toire portent sur un rap­port de pro­duc­tion « second » : la rente n’est qu’une par­tie de la plus-value extor­quée dans le rap­port entre capi­tal et tra­vail. Ce carac­tère « second » mani­feste son essence propre en orga­ni­sant les luttes autour du revenu et de la consom­ma­tion. C’est la rente qui dis­tri­bue sur un ter­ri­toire les fonc­tions dans la divi­sion sociale du tra­vail, les lieux de can­ton­ne­ment et de cir­cu­la­tion des diverses classes sociales, leur pos­si­bi­lité d’action et de pré­sence dans les métro­poles, c’est elle qui assigne des places concrètes, qui déter­mine la maté­ria­lité des rela­tions sociales et des voi­si­nages. Par elle, les niveaux de salaires et de reve­nus, les diverses fonc­tions auto­no­mi­sées du capi­tal, deviennent des réa­li­tés loca­li­sées. Si j’habite ici parce que je suis un ouvrier, là parce que je suis un tra­der, et encore là parce que je suis un ouvrier noir, cela dépend de mon salaire ou de mes reve­nus, mais c’est parce que la rente fon­cière existe, ce n’est pas un effet direct de mon salaire ; c’est un effet ne deve­nant effec­tif que média­tisé par la rente. L’affectation selon le revenu semble une telle évi­dence que l’on en oublie la méca­nique interne qui la com­mande. Tous les rap­ports sociaux de pro­duc­tion capi­ta­listes sont « ligo­tés au sol », ainsi que les classes et leur dis­tinc­tion. Per­sonne n’est atta­ché à la glèbe, mais le pro­lé­taire ne quit­tera sa cité, son bidon­ville ou son pavillon que pour une autre cité ou un autre quar­tier ouvrier. Le capi­tal nous fait pro­lé­taire en géné­ral, la rente fait que l’on est tou­jours de quelque part… pro­vi­soi­re­ment (« Etre de quelque part » ne concerne ici que la rela­tion à des ter­ri­toires, sont ici lais­sées de côté les ques­tions de « culture »). Mais de même que la rente assigne une fonc­tion ou une classe à un lieu et à des cir­cu­la­tions entre divers lieux de la pro­duc­tion et de la repro­duc­tion, inver­se­ment elle attri­bue ces lieux à cette classe ou ce frag­ment de classe, elle les désigne comme les siens. En même temps qu’il struc­ture la ville, l’ordre glo­bal dont la rente est par­tie pre­nante, amène à des formes d’appropriation tou­jours déter­mi­nées par lui, mais qui sont pour lui tou­jours une menace dans la mesure où ces déter­mi­na­tions sont inté­rio­ri­sées et recons­truites par les classes domi­nées comme modes de vie propres tou­jours ter­ri­to­ria­li­sés. La ter­ri­to­ria­li­sa­tion devient une forme de conscience de soi.

Le pro­lé­taire « libre comme l’air », arché­type pour Engels de la classe révo­lu­tion­naire, n’est pas une réa­lité immé­diate comme il le pré­tend dans La Ques­tion du loge­ment, ce n’est pas un mythe non plus, c’est une abs­trac­tion légi­time, c’est-à-dire un concept qui per­met de com­prendre son « assi­gna­tion à résidence ».

Cri­ti­quant le prou­dho­nien alle­mand qui lui sert de punching-ball et qui regrette que le pro­lé­taire n’ait pas de lieu pour habi­ter et se trouve de ce fait « en des­sous des sau­vages », Engels écrit : « Pour créer la classe révo­lu­tion­naire moderne du pro­lé­ta­riat, il était indis­pen­sable que fût tran­ché le cor­don ombi­li­cal (ah ! cette image récur­rente du cor­don ombi­li­cal comme rela­tion de l’espèce humaine à la nature, nda) qui rat­ta­chait au sol le tra­vailleur du passé. Le tis­se­rand qui pos­sé­dait à côté de son métier sa mai­son­nette, son jar­di­net et son bout de champ, était, avec toute sa misère et mal­gré l’oppression poli­tique, un homme tran­quille et heu­reux, qui vivait “en toute piété et hon­nê­teté”, tirait son cha­peau devant les riches, les curés et les fonc­tion­naires de l’Etat, et était au fond de lui-même 100 % un esclave. C’est la grande indus­trie moderne qui a fait du tra­vailleur rivé au sol un pro­lé­taire ne pos­sé­dant abso­lu­ment rien, libéré de toutes les chaînes tra­di­tion­nelles, libre comme l’air ; c’est pré­ci­sé­ment cette révo­lu­tion éco­no­mique qui a créé les condi­tions qui seules per­mettent d’abolir l’exploitation de la classe ouvrière sous sa forme ultime, la pro­duc­tion capi­ta­liste. Et voici que notre prou­dho­nien s’en vient, comme s’il s’agissait d’une grande régres­sion, pleu­rant et gémis­sant sur l’expulsion des tra­vailleurs de leur foyer, alors qu’elle fut jus­te­ment la toute pre­mière condi­tion de leur éman­ci­pa­tion morale. (…) Le pro­lé­taire anglais de 1872 se trouve à un niveau infi­ni­ment supé­rieur à celui du tis­se­rand rural de 1772 ayant “feu et lieu”. Et le tro­glo­dyte avec sa caverne, l’Australien avec sa cabane de tor­chis, l’Indien avec son propre foyer, feront-ils jamais une insur­rec­tion de juin et une Com­mune de Paris ? » (Engels, op.cit., pp. 28 – 29). Sans remon­ter à la prise de la Bas­tille et au Fau­bourg Saint Antoine (cf. Sartre, Cri­tique de la Rai­son dia­lec­tique) l’insurrection de juin 1848 et la Com­mune de Paris ne sont pas des exemples pro­bants de l’action révo­lu­tion­naire du pro­lé­taire qui, bien que non-propriétaire, serait « libre comme l’air » et « sans feu ni lieu ».

Si la pro­priété fon­cière est un rap­port social de pro­duc­tion, elle ne l’est pas au même titre que le capi­tal ou le tra­vail sala­rié. On peut la qua­li­fier de rap­port social « second ». En effet : « Si nous conce­vons le capi­tal sous le seul aspect de la pro­duc­tion de plus-value, à savoir dans son rap­port avec l’ouvrier, quand il extorque du sur­tra­vail par la contrainte qu’il fait peser sur la force de tra­vail, c’est-à-dire sur le sala­rié, cette plus-value, en plus du pro­fit (pro­fit d’entrepreneur plus l’intérêt), com­prend éga­le­ment la rente… » (Marx, Le Capi­tal, Ed. Sociales, t.8, p.201). Rente abso­lue ou rente dif­fé­ren­tielle : « Ce sur­pro­fit est enlevé sous forme de rente au capi­tal en fonc­tion par celui dont un titre de pro­priété sur une par­celle du globe a fait le pro­prié­taire de ces richesses natu­relles. En ce qui concerne les ter­rains à bâtir, A. Smith a mon­tré que leur rente, comme celles de tous les ter­rains non agri­coles, est basée sur la rente agri­cole pro­pre­ment dite. » (idem, p.156). Que ce soit comme exploi­ta­tion de la terre aux fins de repro­duc­tion ou d’extraction, ou « l’espace, élé­ment de toute pro­duc­tion et néces­saire à toute acti­vité humaine, des deux côtés, la pro­priété fon­cière exige un tri­but. » (idem, p.157). C’est bien d’un tri­but dont il s’agit, c’est-à-dire d’une par­tie de la plus-value que le capi­tal extorque à l’ouvrier qui tombe dans la poche du pro­prié­taire fon­cier à qui sont rede­vables aussi l’artisan ou le petit patron.

En 1872, Engels avait écrit trois articles sur la ques­tion du loge­ment pour l’organe cen­tral du parti social-démocrate alle­mand, réunis en bro­chure en 1887 : La ques­tion du loge­ment (éd. Sociales).

« Le tra­vailleur se pré­sente devant l’épicier comme un ache­teur, c’est-à-dire comme quelqu’un pos­sé­dant de l’argent ou du cré­dit, donc nul­le­ment comme un tra­vailleur, c’est-à-dire comme quelqu’un ven­dant sa force de tra­vail. L’escroquerie peut certes le tou­cher, comme d’ailleurs toute la classe moins for­tu­née, plus dure­ment que les classes sociales aisées : elle n’est point un mal qui soit propre à sa classe. Il en est exac­te­ment de même pour la crise du loge­ment. L’extension des grandes villes modernes confère au ter­rain, dans cer­tains quar­tiers, sur­tout dans ceux situés au centre, une valeur arti­fi­cielle crois­sant par­fois dans d’énormes pro­por­tions (dans le cha­pitre « Rente sur les ter­rains à bâtir », Marx explique cette « valeur arti­fi­cielle » comme une variante de la rente dif­fé­ren­tielle qu’il nomme alors « prix de mono­pole » : Le Capi­tal, t.8, p.158) ; les construc­tions qui y sont édi­fiées, au lieu de rehaus­ser cette valeur, l’abaissent plu­tôt, parce qu’elles ne répondent plus aux condi­tions nou­velles ; on les démo­lit donc et on les rem­place par d’autres. Ceci a lieu sur­tout pour les loge­ments ouvriers qui sont situés au centre et dont le loyer, même dans les mai­sons sur­peu­plées, ne peut jamais, ou du moins avec une extrême len­teur, dépas­ser un cer­tain maxi­mum. On les démo­lit et à leur place on construit des bou­tiques, des grands maga­sins, des bâti­ments publics (Engels ne pou­vait pas pré­voir le rôle de tête de pont joué par les éta­blis­se­ments cultu­rels offi­ciels ou paral­lèles et une popu­la­tion pas tou­jours aisée mais à fort capi­tal cultu­rel avec ses asso­cia­tions et ses mani­fes­ta­tions de « défense du quar­tier » dans ces pro­ces­sus de « réno­va­tion urbaine », nda). (…) Il en résulte que les tra­vailleurs sont refou­lés du centre des villes vers la péri­phé­rie, que les loge­ments ouvriers, et d’une façon géné­rale les petits appar­te­ments deviennent rares et chers et que sou­vent même ils sont introu­vables ; car dans ces condi­tions, l’industrie du bâti­ment, pour qui les appar­te­ments à loyer élevé offrent à la spé­cu­la­tion un champ beau­coup plus vaste, ne construira jamais qu’exceptionnellement des loge­ments ouvriers.

« Cette crise de la loca­tion touche par consé­quent le tra­vailleur cer­tai­ne­ment plus dure­ment que toute autre classe plus aisée ; mais pas plus que l’escroquerie de l’épicier, elle ne consti­tue un mal pesant exclu­si­ve­ment sur la classe ouvrière (sou­li­gné par moi), et, dans la mesure où elle la concerne, elle ne peut man­quer de trou­ver éga­le­ment une cer­taine com­pen­sa­tion éco­no­mique, lorsqu’elle a atteint un cer­tain degré et une cer­taine durée (Engels expose plus loin que cela doit entraî­ner une aug­men­ta­tion du salaire, nda). Ce sont ces maux-là, com­muns à la classe ouvrière et à d’autres classes, par exemple à la petite bour­geoi­sie, aux­quels s’intéresse de pré­fé­rence le socia­lisme petit-bourgeois, dont fait par­tie Prou­dhon lui aussi. Et ce n’est ainsi nul­le­ment un hasard, si notre dis­ciple alle­mand de Prou­dhon s’empare avant tout de la ques­tion du loge­ment qui, nous l’avons vu, n’intéresse pas du tout la seule classe ouvrière à l’exclusion de toutes les autres, et s’il déclare au contraire que c’est une ques­tion qui la concerne véri­ta­ble­ment et exclusivement.

« “Le sala­rié est au capi­ta­liste ce que le loca­taire est au pro­prié­taire.” Ceci est com­plè­te­ment faux. Dans la ques­tion du loge­ment nous avons, en face l’une de l’autre, deux par­ties : le loca­taire et le logeur ou pro­prié­taire. Le pre­mier veut ache­ter au second l’usage tem­po­raire d’un loge­ment ; il a de l’argent ou du cré­dit (…). Il s’agit là d’une simple vente de mar­chan­dise, non d’une affaire entre pro­lé­taire et bour­geois, entre ouvrier et capi­ta­liste ; le loca­taire – même s’il est ouvrier – se pré­sente comme un homme qui a de l’argent (sou­li­gné dans le texte) ; il faut qu’il ait déjà vendu la mar­chan­dise qu’il pos­sède en propre, sa force de tra­vail, avant de se pré­sen­ter, avec le prix qu’il en a retiré, comme acqué­reur de la jouis­sance d’un appar­te­ment – ou bien il doit pou­voir garan­tir la future vente de cette force de tra­vail. Tout ce qui carac­té­rise la vente de la force de tra­vail au capi­ta­liste manque ici tota­le­ment. (…) Il y a donc ici (dans le rap­port de l’ouvrier au capi­ta­liste, nda) pro­duc­tion d’une valeur excé­den­taire ; la somme totale de la valeur exis­tante se trouve aug­men­tée. Il en va tout autre­ment dans une loca­tion de loge­ment. Quels que soient les avan­tages exor­bi­tants que le pro­prié­taire tire du loca­taire, il n’y a jamais ici que le trans­fert d’une valeur déjà exis­tante, pro­duite aupa­ra­vant ; la somme totale des valeurs pos­sé­dées ensemble par le loca­taire et son logeur reste la même après comme avant. (…) C’est donc défor­mer com­plè­te­ment les rap­ports entre loca­taires et logeurs que vou­loir les iden­ti­fier à ceux qui existent entre tra­vailleurs et capi­ta­listes. Bien au contraire nous avons affaire ici à une tran­sac­tion com­mer­ciale du type cou­rant, entre deux citoyens, et elle s’effectue selon les lois éco­no­miques qui règlent la vente des mar­chan­dises en géné­ral et, en par­ti­cu­lier, celle de cette mar­chan­dise qu’est la pro­priété fon­cière. » (Engels, op. cit., pp. 23−24−25).

Ce qu’Engels écrit à pro­pos du loca­taire et du logeur, nous pou­vons l’étendre au rap­port du contri­buable à l’Etat à pro­pos des ser­vices publics. Il est évident que le pro­lé­taire, expulsé du centre ville ou vivant dans une favela décon­nec­tée des réseaux, souf­frira plus que le bour­geois qui peut se payer des ser­vices pri­vés ou avoir les moyens per­son­nels de sup­pléer au manque ou à la décré­pi­tude des ser­vices publics, mais dans la cou­leur ter­ri­to­riale que prend alors sa révolte, le rap­port social dans lequel il est engagé n’est pas le rap­port de l’ouvrier au capi­ta­liste, mais du contri­buable à l’Etat, du consom­ma­teur aux ser­vices publics. C’est comme l’écrit Engels une « tran­sac­tion com­mer­ciale du type cou­rant » même si le pro­lé­taire a l’impression par­fai­te­ment jus­ti­fiée d’avoir été escro­qué. La ter­ri­to­ria­li­sa­tion de la révolte est néces­sai­re­ment inter­clas­siste (comme le sou­ligne Engels en par­lant d’ « échanges mar­chands ») mais l’interclassisme n’est pas en soi, par défi­ni­tion, une « tare » de la lutte des classes, il peut être une ten­sion à son dépas­se­ment, tout dépend de l’instance qui le for­ma­lise, elle-même dépen­dante des condi­tions éco­no­miques, sociales et his­to­riques de l’irruption des contra­dic­tions entre les classes, donc de leur exis­tence réelle.

Le rap­port social qui struc­ture la lutte et défi­nit les enjeux n’est pas le capi­tal ou le tra­vail sala­rié mais la pro­priété fon­cière régis­sant l’aménagement de l’espace. L’interclassisme est le symp­tôme de ce rap­port social de pro­duc­tion, il dif­fère en cela de ce qu’il est comme déve­lop­pe­ment des rap­ports sociaux de pro­duc­tion que sont le capi­tal ou le tra­vail sala­rié pour les­quels il peut être comme ne pas être. Ici, avec la pro­priété fon­cière, il est néces­saire. Parce que c’est la pro­priété fon­cière qui les struc­ture et se pose elle-même comme leur enjeu, les luttes de classes comme luttes engen­drée par l’aménagement du ter­ri­toire portent sur un rap­port de pro­duc­tion « second ». Ce carac­tère « second » mani­feste son essence propre en orga­ni­sant les luttes autour du revenu et des rap­ports d’échange. Pour la classe ouvrière, cette lutte est une lutte sur ses condi­tions de repro­duc­tion : il est vrai que « le pou­voir immense de la pro­priété fon­cière lui per­met d’empêcher en fait les ouvriers en lutte pour leur salaire, pra­ti­que­ment d’élire domi­cile sur terre. Une par­tie de la société exige de l’autre qu’elle lui paie dans ce cas un tri­but pour avoir le droit d’habiter la terre » (Marx, op. cit., p.156). Et, en consé­quence, un tri­but pour cir­cu­ler sur terre. Mais le sta­tut même de la pro­priété fon­cière qui struc­ture la lutte (de par les propres objec­tifs et reven­di­ca­tions de cette lutte) fait que cette repro­duc­tion de la force de tra­vail est désar­ti­cu­lée (auto­no­mi­sée) de la valo­ri­sa­tion, la lutte est figée au niveau des reve­nus et des rap­ports inhé­rents aux échanges mar­chands « du type courant ».

Donc une reven­di­ca­tion éco­no­mique où le salaire n’est qu’un rap­port de dis­tri­bu­tion (bien sûr injuste) et corol­lai­re­ment le mode de pro­duc­tion est occulté, réduit au détour­ne­ment du tra­vail du peuple (qui n’est rien d’autre que la somme des indi­vi­dus telle que leur acti­vité engendre un revenu, cha­cun ayant sa source propre, cha­cun contri­buant à la richesse géné­rale de par la valeur d’usage de son acti­vité ou de son pro­duit, le mar­gi­na­lisme est l’économie poli­tique du peuple) par la finance et les grandes entre­prises, plus pré­ci­sé­ment leurs patrons (voir Appel de St Nazaire). En résumé d’étape : une reven­di­ca­tion éco­no­mique à « âme poli­tique » (Une séquence par­ti­cu­lière explique le phénomène)

Mais c’est pré­ci­sé­ment là que les choses se com­pliquent. Il ya ceux qui ne voient là-dedans que du « nau­séa­bond », et ceux qui « en sont » pourvu que « ça bloque », comme ils en « auraient été » le 6 février 1934 pourvu qu’on attaque la Chambre des dépu­tés. Puisque c’est seule­ment de reve­nus dont il s’agit, les rap­ports de dis­tri­bu­tion, le salaire comme revenu font que les sala­riés se retrouvent eux-mêmes confon­dus et ame­nés à côtoyer d’autres sources de reve­nus (arti­sans, petits patrons) subis­sant, bien que de façon dif­fé­rente quan­ti­ta­ti­ve­ment et qua­li­ta­ti­ve­ment (achats des biens de sub­sis­tance ou renou­vel­le­ment et exten­sion des biens de pro­duc­tion appe­lés « outils de tra­vail ») ;. Dans le cha­pitre inti­tulé La for­mule tri­ni­taire, après avoir rap­pelé la mys­ti­fi­ca­tion inhé­rente à toute pro­duc­tion mar­chande (p.204), Marx sou­ligne qu’avec le MPC « cet uni­vers magique et ren­versé connaît d’autres déve­lop­pe­ments encore » (p.205). Cepen­dant, il apporte immé­dia­te­ment une res­tric­tion : « Si l’on consi­dère d’abord le capi­tal dans le pro­cès de pro­duc­tion immé­diat – en sa qua­lité de sou­ti­reur de sur­tra­vail, ce rap­port y est encore très simple et les liens internes réels du phé­no­mène s’imposent aux agents de ce pro­cès, aux capi­ta­listes, qui ont conscience de ces liens. Une preuve frap­pante en est la lutte vio­lente au sujet des limites de la jour­née de tra­vail. » (ibid). Il est à noter que Marx prend ici comme exemple la jour­née de tra­vail et non les luttes sur le salaire, vis-à-vis des­quelles il a tou­jours une posi­tion très cri­tique. Non pas qu’il soit contre (cf. la polé­mique avec Prou­dhon dans Misère de la Phi­lo­so­phie), « cri­tique » au sens où il en sou­ligne tou­jours le carac­tère éter­nel­le­ment recom­mencé car contrainte par la loi de la valeur de la force de tra­vail et fina­le­ment la fai­sant res­pec­ter (cf. les confé­rences devant l’AIT : Salaire, prix et pro­fit – 1865).

Reve­nons à la « com­plexi­fi­ca­tion des choses » : les rap­ports de dis­tri­bu­tion ne sont que « l’envers des rap­ports de pro­duc­tion », les deux « niveaux » ne sont pas dans une situa­tion (rela­tion) d’exclusion réci­proque, mais fonc­tionnent dans ce que l’on peut appe­ler un « jeu dia­lec­tique » : les uns se réflé­chis­sant dans les autres (cf. TC 25 Se posi­tion­ner : rap­ports de pro­duc­tion et rap­ports de dis­tri­bu­tion, p. 59).

Sur les rap­ports de dis­tri­bu­tion se construit une dis­tinc­tion entre pauvres et riches, dis­tinc­tion qui ne remet pas en cause l’origine et la sub­stance de la richesse : valeur et plus-value. Entre riches et pauvres (ceux qui voyagent en jet prive et ceux qui ne peuvent pas faire le plein), la ques­tion de la répar­ti­tion n’est pas liée à la sub­stance même de la richesse. Les rap­ports de dis­tri­bu­tion c’est la rela­tion féti­chiste des reve­nus à leur source. Le tra­vail n’est plus relié qu’à une cer­taine frac­tion de la valeur produite.

Dans les mou­ve­ments tels que celui des gilets jaunes, il faut appro­cher la « ligne de par­tage » déli­mi­tant dans quelle mesure d’une part, les rap­ports de dis­tri­bu­tion se dési­gnent comme envers des rap­ports de pro­duc­tion et, d’autre part, dans quelle mesure ils s’absolutisent eux-mêmes comme la tota­lité de la réa­lité sociale. Cette abso­lu­ti­sa­tion et ce qu’elle implique poli­ti­que­ment et cultu­rel­le­ment ne va pas de soi, l’envers est tou­jours présent.

A l’origine des gilets jaunes, ce n’est pas un fol opti­misme ni une pro­pen­sion acti­viste que d’envisager que la « ligne de par­tage » se situe entre d’une part, un tra­vail social et poli­tique qui non seule­ment enté­rine le fait mais encore érige et pro­meut les rap­ports de dis­tri­bu­tion comme pôle absolu et, d’autre part, des luttes, des pra­tiques qui dési­gnent les rap­ports de dis­tri­bu­tion pré­ci­sé­ment comme « l’envers des rap­ports de pro­duc­tion », c’est-à-dire qui se situent dans la réflexi­vité. Tout en sachant qu’il peut y avoir de nom­breuses situa­tions inter­mé­diaires. La dis­tinc­tion peut tra­ver­ser une même pra­tique et/ou un même groupe social (sub­di­vi­sions de classe). Dans une lutte, elle peut être syn­chro­nique ou diachronique.

Si ce n’est sur inter­net et sous pseudo, qui va aller dire à l’ouvrier retraité de la sidé­rur­gie et à sa femme employée de col­lec­ti­vi­tés qui ne bouclent pas leurs fins de mois et aident un peu leurs enfants au chô­mage qu’ils sont « nau­séa­bonds » ? Il faut dis­tin­guer ce qui fait indi­vi­duel­le­ment la pré­sence impor­tante d’ouvriers, retrai­tés, employés (pro­por­tion­nel­le­ment car en chiffres abso­lus les ras­sem­ble­ments et mani­fes­ta­tions sont réduits) et la confi­gu­ra­tion d’ensemble que construit, dans le contexte actuel, leur mobi­li­sa­tion. Il faut dis­tin­guer les moti­va­tions de cette pré­sence et le dis­cours poli­tique qui en découle. C’est pré­ci­sé­ment en les dis­tin­guant que l’on com­prend la néces­sité de ce dis­cours à par­tir de ces moti­va­tions. La trans­mu­ta­tion poli­tique avec tout ce qui l’accompagne s’impose indé­pen­dam­ment de la volonté indi­vi­duelle de chaque par­ti­ci­pant, c’est leur com­mu­nauté indé­pen­dante d’eux qui existe ainsi de par leur pré­sence et leurs moti­va­tions mêmes. Il faut encore pré­ci­ser que dans un mou­ve­ment dis­pa­rate comme celui-ci, cette « indé­pen­dance » (j’ajoute ici expres­sé­ment des guille­mets) trouve dans une frac­tion du mou­ve­ment ses repré­sen­tants et incarnation.

C’est par cette « indé­pen­dance » que l’absolutisation passe par la décli­nai­son de toutes les recons­truc­tions idéo­lo­giques décou­lant des rap­ports de dis­tri­bu­tion dont les prin­ci­pales mani­fes­ta­tions sont bien décrites et arti­cu­lées dans Une séquence par­ti­cu­lière. Nous ne nous éten­drons pas plus. Dans le second cas, la reven­di­ca­tion contre l’injustice, la pau­vreté, l’Etat déna­tio­na­lisé, dési­gne­rait les rap­ports de pro­duc­tion à l’intérieur même de la façon dont les rap­ports de dis­tri­bu­tion sont atta­qués. Et, il est impos­sible de dire que dans les mobi­li­sa­tions des gilets jaunes la chose est absente.

Il est exact que ce sont tou­jours les rap­ports de dis­tri­bu­tion qui sont au devant, en pre­miers, parce que les indi­vi­dus partent tou­jours de leur exis­tence. C’est vrai, les indi­vi­dus partent de leur vie quo­ti­dienne, de leurs reve­nus, c’est-à-dire des rap­ports de dis­tri­bu­tion, du féti­chisme vécu comme un « des­tin ». Mais est-ce que les rap­ports de pro­duc­tion sont for­cé­ment très loin de cela ? Il y a tou­jours jeu et non dicho­to­mie entre rap­ports de pro­duc­tion et rap­ports de distribution.

Parmi les gilets jaunes, la lutte contre l’injustice de la dis­tri­bu­tion s’est arti­cu­lée avec les rap­ports de pro­duc­tion. Comme com­pré­hen­sion de soi et de cette injus­tice, consciem­ment ou non, dans la pra­tique, dans les formes de son modus ope­randi peu contrôlé. Dans le Vau­cluse, Cha­len­çon, le porte parole, lui-même petit patron d’une forge avec deux sala­riés, s’est déso­li­da­risé dès le dimanche soir (18 novembre) de la pour­suite des blo­cages en semaine … avant de se reprendre dès le len­de­main. Cette lutte contre l’injustice de la « dis­tri­bu­tion des pro­duits » s’est reliée aux rap­ports de pro­duc­tion en met­tant en avant la « dis­tri­bu­tion des élé­ments de pro­duc­tion » : l’absence de pro­priété, absence de moyens de pro­duc­tion, la dépen­dance vis-à-vis de l’emploi dépen­dant de la mobi­lité, la pau­vreté et l’assignation ter­ri­to­riale (le cré­dit de la mai­son ou de l’appartement deve­nus inven­dables quand l’entreprise qui struc­tu­rait la zone a fermé ou s’est délocalisée).

« Aux yeux de l’individu, la dis­tri­bu­tion (il s’agit à la fois de la dis­tri­bu­tion des pro­duits et de la dis­tri­bu­tion des ins­tru­ments de pro­duc­tion, Marx vient de défi­nir les deux comme corol­laires) appa­raît tout natu­rel­le­ment comme une loi sociale qui fixe sa posi­tion au sein de la pro­duc­tion (nous y voilà !), c’est-à-dire le cadre dans lequel il pro­duit : elle pré­cède donc la pro­duc­tion (atten­tion : “aux yeux de l’individu”, mais jus­te­ment à par­tir des rap­ports de dis­tri­bu­tion et de leur injus­tice c’est le point de départ). L’individu n’a ni capi­tal ni pro­priété fon­cière de par sa nais­sance : en venant au monde, il est voué au tra­vail sala­rié par la dis­tri­bu­tion sociale. » (Marx, Intro­duc­tion de 1857). C’est essen­tiel­le­ment à par­tir de la révolte contre l’injustice, au tra­vers de cette forme de la dis­tri­bu­tion (des ins­tru­ments de pro­duc­tion) liée à la dis­tri­bu­tion des pro­duits (reve­nus) que le jeu entre rap­ports de pro­duc­tion et rap­ports de dis­tri­bu­tion peut être impac­ter de façon dyna­mique selon les cir­cons­tances his­to­riques et locales. Une pro­tes­ta­tion contre l’utilisation de l’argent public, contre le peu d’investissement dans un quar­tier ou un « ter­ri­toire », peut éta­blir une rela­tion dyna­mique dans le jeu entre rap­ports de dis­tri­bu­tion et rap­ports de pro­duc­tion car c’est le rap­port tra­vail néces­saire / sur­tra­vail qui est en jeu (voir Marx, Le Capi­tal, éd. Sociales, t.8, p.24, com­men­tée TC 25, p.67).

Dif­fé­rentes ten­dances peuvent se croi­ser dans un même mou­ve­ment, se com­battre ou s’ignorer. Dans ce jeu, toutes sortes de cir­cons­tances peuvent inter­ve­nir, mais ce qu’il faut défi­nir c’est sur quelle matière celles-ci inter­viennent. Il faut non seule­ment que cette matière soit sus­cep­tible d’être « dyna­mi­sée », mais encore il faut que ce soit cette matière elle-même qui déter­mi­nant la spé­ci­fi­cité pré­sente de la crise, déter­mine les rela­tions de classes qui vont la « dyna­mi­ser » ou inver­se­ment « l’absolutiser ». Entre l’absolutisation et la réflexi­vité, il ya tou­jours une ten­dance qui prend le des­sus et ce dès la nais­sance d’un mou­ve­ment de par ce qui consti­tue sa carac­té­ris­tique cen­trale. Pour les gilets jaunes, ce fut la trans­mu­ta­tion poli­tique de la reven­di­ca­tion éco­no­mique qui a assuré la vic­toire de l’absolutisation, trans­mu­ta­tion qui contient alors toutes les déter­mi­na­tions égre­nées dans Une séquence par­ti­cu­lière : de la valeur tra­vail à l’authenticité popu­laire. La réflexi­vité fut immé­dia­te­ment absor­bée comme moment de l’absolu des rap­ports de dis­tri­bu­tion avec sa for­ma­li­sa­tion poli­tique. La toute petite bour­geoi­sie (je n’écris pas « classes moyennes ») pou­vait alors dans le mou­ve­ment, au nom du peuple et de ce qui s’en suit, être hégé­mo­nique, c’est-à-dire fixer le cadre géné­ral de la reven­di­ca­tion et celui des conflits (et de leurs termes) pou­vant inter­ve­nir au sein même du mou­ve­ment. Paro­diant Hegel (Prin­cipes de la phi­lo­so­phie du droit, § 297), on peut écrire qu’elle deve­nait « l’intelligence culti­vée et la conscience légale (juri­dique) de la masse du peuple ».

C’est para­doxa­le­ment là où, atta­quant l’Etat, le mou­ve­ment appa­raît comme le plus « radi­cal » qu’il se défi­nit et se limite comme le peuple. Il ne s’agirait plus que de rame­ner l’Etat dans le peuple (à ce pro­pos, Marx, Cri­tique de la phi­lo­so­phie de l’Etat de Hegel, éd. Costes, pp. 240 – 241). Ce fai­sant ce n’est pas dans les rap­ports sociaux qui font qu’il y a Etat que sont pré­sen­tées les causes de « l’injustice », mais dans une forme poli­tique déter­mi­née (la mau­vaise repré­sen­ta­ti­vité, les élites, l’énarchie …) qu’il s’agit de rem­pla­cer par une autre. Face au peuple deve­nant direc­te­ment Etat, la cri­tique démo­cra­tique du popu­lisme n’est pas chose aisée. Pierre Rosan­val­lon fai­sait remar­quer, il y a déjà quelques années : « Nous avons besoin de pou­voir faire phi­lo­so­phi­que­ment une cri­tique démo­cra­tique du popu­lisme. Ce qui est en cause, pour faire vite, dans une pers­pec­tive popu­liste, c’est une vision extrê­me­ment pauvre de la démo­cra­tie, une vision pri­mi­tive de la volonté géné­rale. Le popu­lisme consi­dère que l’énergie sociale est en per­ma­nence étouf­fée par les élites, étouf­fée par les appa­reils, étouf­fée par les par­tis, étouf­fée par les ins­ti­tu­tions. C’est une vision très dis­cu­table de la démo­cra­tie. La démo­cra­tie ce n’est pas sim­ple­ment l’enregistrement pas­sif des volon­tés, c’est la construc­tion du vivre ensemble. La volonté com­mune n’est pas don­née au point de départ. Elle se construit dans le débat et la déli­bé­ra­tion. C’est sur cette base que l’on peut faire une cri­tique métho­do­lo­gique, phi­lo­so­phique du popu­lisme. Il n’y a pas un “ déjà là “de la volonté géné­rale, un “ déjà là “de l’énergie sociale. (…). Si l’on a une vision déci­sion­niste de la démo­cra­tie, on ne peut pas faire la dif­fé­rence entre popu­lisme et démo­cra­tie. » (Pierre Rosan­val­lon, le Monde du 14 décembre 1993.) La démo­cra­tie a un pro­blème avec le popu­lisme. Disons seule­ment que la « volonté géné­rale » est une réa­lité, ce sont tou­jours les inté­rêts de la classe domi­nante qui se font valoir comme inté­rêts géné­raux, la démo­cra­tie, dans le mode de pro­duc­tion capi­ta­liste, est le pro­ces­sus le plus adé­quat de ce « faire valoir » et ce pour les rai­sons même qu’énonce Rosanvallon.

La repré­sen­ta­tion paci­fiée en « volonté géné­rale » d’une société recon­nue comme néces­sai­re­ment conflic­tuelle (c’est là toute la force de la démo­cra­tie) est un tra­vail et non un reflet. C’est-à-dire que dans le fonc­tion­ne­ment démo­cra­tique de l’Etat, la réi­fi­ca­tion et le féti­chisme sont des acti­vi­tés, c’est la poli­tique comme par­tis, débats, déli­bé­ra­tions, rap­ports de force dans la sphère spé­ci­fique de la société civile, déci­sions. La démo­cra­tie semble inexo­ra­ble­ment deve­nir popu­liste parce que c’est le tra­vail de repré­sen­ta­tion qui est en crise. Par­tout c’est la dis­pa­ri­tion de l’identité ouvrière et par là de sa repré­sen­ta­tion poli­tique social-démocrate et/ou com­mu­niste qui désta­bi­lise le fon­de­ment poli­tique de l’Etat démo­cra­tique. Celui-ci est la paci­fi­ca­tion d’un cli­vage social que la démo­cra­tie recon­naît comme réel au moment où elle en est la repré­sen­ta­tion comme affron­te­ment entre citoyens. Contrai­re­ment au popu­lisme, la démo­cra­tie est la recon­nais­sance du carac­tère irré­duc­ti­ble­ment conflic­tuel de la « com­mu­nauté natio­nale », de ce point de vue la recon­nais­sance de la classe ouvrière a été his­to­ri­que­ment au cœur de la construc­tion de la démo­cra­tie, elle en fut même le moteur et le cri­tère. Dans les formes poli­tiques actuelles du cours de la crise, on peut rele­ver une crise de l’hégémonie de la classe capi­ta­liste. Domi­na­tion et hégé­mo­nie ne sont pas iden­tiques, il peut y avoir domi­na­tion sans hégé­mo­nie (Gram­sci). L’hégémonie consiste à pro­duire le cadre incon­tour­nable des débats et des oppo­si­tions, c’est impo­ser à l’autre les termes mêmes de son oppo­si­tion. Le pro­ces­sus de deve­nir hégé­mo­nique de la bour­geoi­sie fut très long à s’achever en France, on peut dire qu’il n’arrive à terme qu’avec la troi­sième Répu­blique, il s’effondre actuel­le­ment. Ce qui est loin de signi­fier ipso facto l’émergence d’une dis­cours révo­lu­tion­naire par­lant sa langue propre, c’est plu­tôt un puzzle, un émiet­te­ment qui occupe la place de l’hégémonie, émiet­te­ment que le peuple vient sub­su­mer et couronner.

Avec les gilets jaunes, c’est dans la poli­tique et la cri­tique de l’Etat actuel que sont abso­lu­ti­sés les rap­ports de dis­tri­bu­tion avec leur cor­tège idéologique.

C’est fina­le­ment tou­jours sur la ques­tion du « plan­cher de verre » que butte cette dia­lec­tique entre rap­ports de pro­duc­tion et rap­ports de dis­tri­bu­tion. Dans le cours du mou­ve­ment avait lieu à Car­pen­tras et à Mon­teux une grève sala­riale sur deux sites de Mc Cor­mick (Ducros et Vahiné). Sur une photo publiée dans La Pro­vence (20 novembre 2018), sous la ban­de­role « usines en grève », de nom­breux gré­vistes portent le gilet jaune. Sans tom­ber dans une sur­va­lo­ri­sa­tion des « luttes d’usine », actuel­le­ment la domi­na­tion des rap­ports de dis­tri­bu­tion est non seule­ment, comme tou­jours, le fait que c’est l’ « illu­sion néces­saire dans laquelle nous vivons », mais encore tient aux condi­tions de la crise et au dérou­le­ment, du moins en occi­dent, des « grands mou­ve­ments sociaux » que nous avons eu ces der­nières années et au « plan­cher de verre » qui leur est lié (leur inca­pa­cité à péné­trer les lieux de pro­duc­tion). De même que le mou­ve­ment des gilets jaunes ne pou­vait par nature péné­trer les lieux de la pro­duc­tion, de même le ral­lie­ment ouvrier au mou­ve­ment ne pou­vait être que sym­bo­lique (c’est en pas­sant au niveau de la repro­duc­tion qu’une lutte reven­di­ca­tive peut se remettre en cause en tant que telle). Sym­bo­lique mais exis­tant. Seuls les révo­lu­tion­naires pro­fes­sion­nels se pré­ci­pitent tête bais­sée sur n’importe quel blo­cage, voyant la dyna­mique révo­lu­tion­naire à l’œuvre dans tout ce qui bouge ou, inver­se­ment, sachant ce qu’est la révo­lu­tion com­mu­niste de ses débuts à sa fin se bouchent le nez quand les cases de leur tableau à double entrée ne sont pas toutes cochées.

Le pékin moyen (entre autres rédac­teurs et/ou lec­teurs de Théo­rie Com­mu­niste), sait que les fins de mois sont dif­fi­ciles, que les salaires ne bougent pas, que la pres­sion fis­cale aug­mente, que les défi­cits publics ont été sciem­ment creu­sés depuis trente ans, que tout s’est accé­léré quand la dette publique a explosé à par­tir de 2008 pour ren­flouer le sys­tème finan­cier et que main­te­nant il faut épon­ger. Le pékin moyen le sait, alors, selon les cir­cons­tances, il se tourne contre son patron (Mc Cor­mick a lâché 80 Euros mini­mum d’augmentation à ses sala­riés de Mon­teux et Car­pen­tras) et/ou contre l’Etat, trou­vant de moins en moins que payer l’impôt est un « acte citoyen » (son­dage du Monde du 23 novembre 2018). Et si, comme il s’avère main­te­nant, tous les coor­don­na­teurs dépar­te­men­taux qui se concertent à Paris (ven­dredi 23 novembre) ont des allures et des têtes de petits patrons, le pékin moyen qui n’est pas un imbé­cile s’en aper­ce­vra … ou non. « Ou non » ? C’est la ques­tion. Les pres­sions objec­tives qui embarquent tout le monde sur la ques­tion du revenu, du peuple, de la légi­ti­mité de l’Etat ne sont pas des « manœuvres », elles sont actuel­le­ment fortes et résultent de la nature même de la crise depuis 2008. Quelle que soit sa com­po­si­tion sociale le mou­ve­ment des gilets jaunes ne peut y échap­per d’autant plus qu’il s’y reconnaît.

Chris­tophe Cha­len­çon, porte-parole des gilets jaunes dans le Vau­cluse (dépar­te­ment par­ti­cu­liè­re­ment actif) pro­cla­mait sur une vidéo tour­née sur un point de blo­cage dimanche 18 : « nous avons lancé un mou­ve­ment pla­né­taire ». S’il exa­gé­rait légè­re­ment, l’Appel de St Nazaire se réclame « seule­ment » d’une « vague euro­péenne » de réveil des peuples, on sait que c’est là le dis­cours de Marine Le Pen, de Vic­tor Orban, des mani­fes­tants de Chem­nitz, etc.

Dans la crise telle qu’elle se déve­loppe main­te­nant comme crise de la mon­dia­li­sa­tion (voir Trump), cette crise de la mon­dia­li­sa­tion est une crise de ce qui en consti­tuait le cœur : la double décon­nexion (voir Reven­di­quer pour le salaire, TC 22, p.135 et TC 22, le cha­pitre sur la mon­dia­li­sa­tion in « La restruc­tu­ra­tion telle qu’en elle-même »). Les linéa­ments d’une pos­sible restruc­tu­ra­tion (qui s’effectuera réel­le­ment comme d’habitude dans l’affrontement entre la classe capi­ta­liste et le pro­lé­ta­riat sur les moda­li­tés de l’exploitation, de l’extraction de sur­tra­vail) passent pour l’instant par le conflit avec les mou­ve­ments popu­laires plus ou moins natio­na­listes sur les thèmes de la répar­ti­tion du revenu, de la famille, des valeurs, de la citoyen­neté (pour une fois, si l’histoire se répète tou­jours deux fois, la farce aura pré­cédé la tra­gé­die). La double décon­nexion est au cœur du moment pré­sent de la crise de la mondialisation.

C’est cela que mani­festent des mou­ve­ments comme celui des gilets jaunes, mais tant que la crise de la mon­dia­li­sa­tion se dérou­lera ainsi ce n’est que la dyna­mique conflic­tuelle de la restruc­tu­ra­tion (au moins ses linéa­ments) qui est à l’œuvre. Rien d’autre. Même si de telles oppo­si­tions ne doivent pas être sous-estimées (cf. Tsi­pras et Bruxelles : La ciga­rette sans cra­vate, le cha­pitre Syriza et les ins­ti­tu­tions un affron­te­ment non feint, p.67 et prin­ci­pa­le­ment p.70, sur le même thème atten­dons la suite de la confron­ta­tion entre l’UE et l’Italie), le capi­tal est pré­sent des deux côtés et reste l’avenir du monde.

23 novembre 2018

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Note de lecture

Notes sur les Marches

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Notes sur les Marches

1983 et 1984

  • Chris­tian Delorme : La Marche, éd. Bayard
  • Salika Amara : La Marche de 1983, éd. FFR (Filles et Fils de la République)
  • Michelle Zan­ca­rini – Four­nel : Les luttes et les rêves, éd. La Décou­verte, pp. 871 à 878.
  • Col­lec­tif : Conver­gences 84, la ruée vers l’égalité, éd. Mélanges
  • Cathe­rine Wih­tol de Wen­den : Rup­tures post­co­lo­niales, p. 258, éd. La Décou­verte (la réap­pa­ri­tion de la citoyenneté)
  • Ahmed Bou­be­ker : Rup­tures …, Les Min­guettes et la Marche, pp. 268 et sq, éd. La découverte.
  • Hou­ria Bou­teldja : Les Blancs, les Juifs et nous, pp.110 et sq., éd. La Fabrique et Sadri Khiari : La contre– révo­lu­tion colo­niale en France, pp.105 – 111, éd. La Fabrique

Les Marches (mal­gré leurs dif­fé­rences) enté­rinent le pas­sage du tra­vailleur immi­gré à l’immigré comme autre cultu­rel (mais un « autre » para­doxal : une « recon­nais­sance » — et un enfer­me­ment – d’une alté­rité essen­tielle à l’intérieur de la néga­tion de l’altérité au nom « l’universalisme répu­bli­cain », « l’autre » est per­dant à tous les coups). (la suite page 2)

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Textes de travail

Chris­tian Delorme, La Marche

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Chris­tian Delorme, La Marche (2013)

Pour­quoi la « Marche pour l’égalité et contre le racisme » de 1983 s’inscrit dans la période de la bas­cule et la pro­duit dans sa pratique ?

Delorme revient sur la situa­tion des tra­vailleurs immi­grés dans les années 1960 – 1970 :

« Rares sont ceux qui ont pu béné­fi­cier de for­ma­tions qua­li­fiantes et qui ont vu leur sta­tut de tra­vailleur pro­gres­ser. Dès le début des années 1980, ils se sont trou­vés parmi les pre­miers tou­chés mas­si­ve­ment par le chô­mage, dès lors que leur fonc­tion dans l’appareil de pro­duc­tion deve­nait inutile, rem­pla­cée par la méca­ni­sa­tion puis par l’informatique » (p. 49)

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Note de lecture

Salika Amara, La Marche de 1983, une pierre à l’édifice des luttes de l’immigration

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Salika Amara, La Marche de 1983, une pierre à l’édifice des luttes de l’immigration (2013)

Le sous-titre, une pierre à l’édifice des luttes de l’immigration, ren­voie au pro­blème de la construc­tion du concept « luttes de l’immigration » (cf. Pitti) ; Toute lutte d’immigrés n’est pas par là-même « lutte de l’immigration ». « Lutte de l’immigration » est une réa­lité sociale qui n’apparaît qu’à un cer­tain moment, au début des années 1980 (avec une appa­ri­tion en ten­sion avec luttes des tra­vailleurs immi­grés dans la seconde moi­tié des années 1970). (la suite page 2)

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Note de lecture

Col­lec­tif : Conver­gences 84 pour l’égalité / La ruée vers l’égalité

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index

Col­lec­tif : Conver­gences 84 pour l’égalité / La ruée vers l’égalité (éd. Mélanges et Edit 71, 1985)

« Conver­gence 84 pour l’égalité » se fixe pour objec­tif « l’égalité » et la « nou­velle citoyen­neté », mais les ini­tia­teurs sont eux-mêmes conscients, contrai­re­ment à la Marche de 1983, de l’insuffisance de cet objec­tif et de ce qu’il « masque ». « Nous pro­po­sons un consen­sus de société (et non plus natio­nal) : met­tons en com­mun nos diverses res­sources cultu­relles. Pour cela : éga­lité des droits, nou­velle citoyen­neté. Même si nous savons que l’égalité des droits en matière de citoyen­neté, ne consiste qu’à reven­di­quer les inéga­li­tés sociales qui tra­versent déjà la société fran­çaise — mais uni­que­ment celles-là !… Mais cette avance de l’idée d’Egalité rebon­dira sur l’ensemble de la société, mobi­li­sant éga­le­ment des couches dis­cri­mi­nées “à l’intérieur de la société fran­çaise” » (4° de cou­ver­ture de la bro­chure rédi­gée par les ini­tia­teurs de la Conver­gence : La ruée vers l’égalité, éd. Mélanges 1985). Inéga­li­tés de droits et inéga­li­tés sociales sont insé­pa­rables, il n’y a pas de neu­tra­lité ins­ti­tu­tion­nelle, c’est la contra­dic­tion fon­da­trice de Conver­gences 84 et ses orga­ni­sa­teurs le savent et vont s’y affron­ter avant de se déchi­rer. (la suite page 2)

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Note de lecture

Hou­ria Bou­teldja, “Les Blancs, les Juifs et nous” et Sadri Khiari ,“La contre– révo­lu­tion colo­niale en France”

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Les-Blancs-les-Juifs-et-nous.

Hou­ria Bou­teldja : Les Blancs, les Juifs et nous, éd. La Fabrique, pp.110 – 111-112.

Contre révolution

Sadri Khiari : La contre-révolution colo­niale en France, de De Gaulle à Sar­kozy, éd La Fabrique, pp.105 et sq.

« Ça se passe en 1983, la Marche pour l’égalité et contre le racisme. Nous défer­lons sur Paris et nous impo­sons pour la pre­mière fois sur la scène poli­tique. Nous ne la quit­te­rons plus. Mais qui sont-ils ? Où étaient-ils cachés, D’où viennent-ils ? (…) “Nous ne sommes pas du gibier à flics.” C’était notre cri de ral­lie­ment. (la suite page 2)

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Textes de travail

Extraits de TC 25

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Nous met­tons ici un extrait de TC 25 qui doit ser­vir d’outil de réfé­rence dans des dis­cus­sions à venir

Une séquence particulière

Où en sommes-nous dans la crise ?

« Il nous a levé l’envie de rire pour dix ans »

(André Gide après la confé­rence d’Antonin Artaud : Artaud-Mômo)

Des luttes et des mou­ve­ments aussi divers que le sou­lè­ve­ment arabe depuis 2011, les mou­ve­ments « indi­gnés » ou « occupy », les mani­fes­ta­tions turques, bré­si­liennes ou bos­niennes, les émeutes ukrai­niennes, le « mou­ve­ment des fourches » en Ita­lie, les grèves et émeutes ouvrières en Chine, Asie du sud et du sud-est, Afrique du Sud, et même, à une échelle incom­pa­rable, les évé­ne­ments de Bre­tagne, en France, à l’automne 2013 ou l’adhésion popu­laire aux thèses poli­tiques de l’extrême droite par­tout en Europe, défi­nissent, à l’intérieur de la crise ouverte en 2007 / 2008, une séquence par­ti­cu­lière de la lutte des classes débu­tant autour de 2010 et dans laquelle nous nous trou­vons actuel­le­ment. (pour lire la suite, cli­quer sur les numé­ros de pages ci-après)

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Note de lecture

La Fabrique du Musulman

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Ned­jib Sidi Moussa :

La Fabrique du Musul­man, éd. Liber­ta­lia 2017

Avec deux Annexes :

Sur l’idéologie anti-islamophobe (Flora Grim et Alexan­dra Pinot-Noir – G/P – sur le site ddt21, suivi d’un entre­tien sur le même site)

Racisme anti-musulmans et logique identitaire

(non signé, publié sur le site Zones sub­ver­sives le 18 février 2017)

Sidi Moussa : La Fabrique du Musulman

  • La toile de fond de la pro­blé­ma­tique de Sidi Moussa℠

D’abord, quelques citations :

« Si la fin des immi­grés a pré­cédé la fabrique des Musul­mans, la dis­pa­ri­tion de ce der­nier groupe au pro­fit d’individus libé­rés de toute assi­gna­tion iden­ti­taire et de leur condi­tion mino­ri­taire ne se pro­duira qu’en liai­son avec le mou­ve­ment de la classe ouvrière alliée à la petite bour­geoi­sie intel­lec­tuelle. » (p.37)

« N’est-on pas en train de tout mettre en œuvre pour sépa­rer le pro­lé­ta­riat fran­çais d’origine algé­rienne – à com­men­cer par sa jeu­nesse — du reste du pro­lé­ta­riat de France. Et donc se ser­vir de ce groupe pour faire explo­ser la classe ouvrière, ses orga­ni­sa­tions et ses conquêtes ? (…) Cer­tains seg­ments de “la gauche de la gauche” ont contri­bué à leur échelle, par leurs prises de posi­tion ou leurs alliances, à mettre l’accent sur les pré­oc­cu­pa­tions iden­ti­taires au détri­ment de la ques­tion sociale. (…) dans la France de 2017, et sans doute pour les années à venir, chaque indi­vidu épris de liberté est ou sera sommé de choi­sir son camp celui des “inté­gristes répu­bli­cains” contre celui des “islamo-gauchistes”.» (pp.8 – 9)

« Cela ne doit tou­te­fois pas conduire à sous-estimer, dans cette conjonc­ture, le rôle cru­cial du mou­ve­ment ouvrier, de ses ins­ti­tu­tions, mai­sons d’édition et médias. En dépit de sa fai­blesse et de son écla­te­ment, cette famille poli­tique demeure un pôle d’attraction pour des mil­liers de per­sonnes. Elle peut en influen­cer des mil­lions d’autres qui veulent lut­ter contre l’exploitation et la domi­na­tion d’un ordre injuste car il s’agit d’une néces­sité pour des pans entiers de la popu­la­tion labo­rieuse. Mais elle peut aussi les conduire à une impasse tra­gique. » (p.9)

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Note de lecture

La méca­nique raciste

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Les trois notes de lec­ture ci des­sous s’inscrivent dans le tra­vail en cours pour un texte por­tant sur la seg­men­ta­tion du pro­lé­ta­riat et la méca­nique des assi­gna­tions raciales dans le mode de pro­duc­tion capi­ta­liste en géné­ral et dans son his­toire récente en par­ti­cu­lier. Texte qui consti­tuera l’essentiel du pro­chain n° de Théo­rie Communiste.

tevanian

Pierre Teva­nian : La méca­nique raciste, éd La Décou­verte 2008 puis 2017

  • Teva­nian n’explique jamais quel est le pro­ces­sus de pro­duc­tion des dif­fé­rences qu’il construit et sur les­quelles il se foca­lise (comme Guillau­min, comme Haj­jat – c’est un peu comme pour les femmes) : pp. 122. 123. 125. 127 (« les lignes de cli­vage n’ont apriori aucune per­ti­nence, le racisme leur en confère une a pos­te­riori ». OK com­ment, pour­quoi, quel pro­cès de pro­duc­tion, pour­quoi le choix sur tel ou tel élé­ment). 146. Teva­nian qua­li­fie le racisme de « croyance » (99), de « fic­tion » (128), l’objectivité n’est que l’effet du « pou­voir per­for­ma­tif » (128) des « croyances » et des « fic­tions », de la « sub­jec­ti­vité raciste ». Teva­nian sou­ligne les effets objec­tifs du racisme comme « pro­ces­sus d’infériorisation sociale » et « dis­cri­mi­na­tion sys­té­ma­tique qui limite la concur­rence » (128), mais ce sont des effets et non le racisme lui-même. (la suite page 2)

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